Compte rendu, concert. Dijon, OpĂ©ra, auditorium, le 30 novembre 2018. Beethoven. Nelson Freire et lâOrchestre de lâAcademy of St Martin in the Fields. Entre Luxembourg et Berlin, une grande tournĂ©e europĂ©enne de lâAcademy of St Martin in the Fields fait Ă©tape Ă Dijon, avec un programme exclusivement consacrĂ© Ă Beethoven. Murray Perahia, annoncĂ©, devait y donner le 5Ăšme concerto de Beethoven, « LâEmpereur ». Las, aprĂšs ses inquiĂ©tantes Ă©clipses qui faisaient craindre la perte de ses moyens, il ne peut assurer son engagement de ce soir (*). Plus quâune consolation, un miracle : câest son aĂźnĂ© de trois ans, alerte septuagĂ©naire, Nelson Freire qui le remplace. Chacun connaĂźt lâAcademy of St Martin in the Fields, fondĂ©e il y a soixante ans par Neville Marriner compte-tenu de son passĂ© prestigieux et de lâabondance de sa production discographique. Les sonoritĂ©s sont superbes et tĂ©moignent de la riche histoire de la formation, cependant lâorchestre, composĂ© dâinstruments modernes, a quelque chose de surannĂ© dans ses Ă©quilibres : les cordes, trĂšs puissantes, dominent souvent les bois, comme dans les enregistrements dâil y a cinquante ans.
Impérial Nelson Freire
La premiĂšre romance pour violon et orchestre est toujours un rĂ©gal, une mise en bouche. DâemblĂ©e la sĂ©duction du jeu de Tomo Keller est indĂ©niable. Le violon chante, sonore, plein et chaleureux. Les bois ne sont pas en reste, mais lâorchestre surprend, semblant ignorer la nuance « piano », et amoindrissant ainsi les contrastes voulus par le compositeur. La dynamique est rĂ©elle et ne se dĂ©mentira jamais. La deuxiĂšme symphonie, qualifiĂ©e par certains de « derniĂšre de lâAncien rĂ©gime », est quelque peu oubliĂ©e par les interprĂštes comme par les programmations, coincĂ©e entre sa devanciĂšre et lâEroica. Le chef, Tomo Keller, dirige de son pupitre. Lâadagio molto, pris beaucoup plus vite quâĂ lâhabitude (Beethoven prĂ©cise : la croche Ă 84 !) prend des couleurs sombres, tourmentĂ©es, dans lâurgence. Lâallegro con brio est dâune rare violence, trĂšs accentuĂ©, toujours nerveux. Son dĂ©veloppement est conduit avec clartĂ©, mais le parti pris interprĂ©tatif gomme tout le charme et le mystĂšre dont sont empreints les bois. Le larghetto, trĂšs liĂ©, atteint Ă une plĂ©nitude que lâon pourrait parfois qualifier de schubertienne, ne manque que le sourire. Le scherzo claque, vigoureux, mais lâexcitation nâest pas la joie. La dĂ©monstration, techniquement aboutie, gomme lâesprit. Le finale, allegro molto, est splendide, bouillonnant, du vif argent, insaisissable, subtil. Les contrastes y sont accusĂ©s comme jamais, un feu dâartifice. AprĂšs cette interprĂ©tation menĂ©e au sabre dâabordage, on sâinterroge sur ce que Nelson Freire nous rĂ©serve. Chacun attend « lâEmpereur »âŠ
Les trois accords cadentiels qui introduisent le premier thĂšme, fortissimo et expressifs, portent la marque du pianiste : la puissance, assortie dâun son, dâune couleur qui nâappartiennent quâĂ lui. Lâorchestre, toujours nerveux, martial, nous offre une belle pĂąte, somptueuse, un Ă©crin de luxe pour un piano impĂ©rial. Le passage binaire/ternaire du premier solo est un moment de grĂące, tout comme les trilles et le marcato en triples octaves. Lâorchestre flamboie. Toujours concentrĂ© sur son jeu, Nelson Freire impose ses tempi, et ainsi, son dialogue avec les bois, trĂšs retenu, est admirable. Alliant une puissance surhumaine Ă une douceur caressante, avec une jeunesse enviable, le grand pianiste brĂ©silien nous offre Ă la fois une leçon, humble, jamais dĂ©monstrative, efficace, et la joie en partage, au sens beethovenien. Lâadagio des cordes ne chante guĂšre, avec des pizz des basses toujours trop sonores. Il appartiendra au piano de nous donner ce bonheur refusĂ© par lâorchestre. Le rondo enchaĂźnĂ© est⊠dĂ©chaĂźnĂ©, jubilatoire, intense, dru, fluide, aĂ©rien, avec un agogique important, qui mĂ©nage les attentes. Sous les doigts de Nelson Freire, on croit dĂ©couvrir lâĆuvre, il la joue, au meilleur sens du terme. Un moment exceptionnel dâune Ă©motion vraie.
Un grand bis, parfaitement appropriĂ© rĂ©pond aux acclamations dâun public conquis : lâintermezzo en la majeur, op 118 n°2 de Brahms, que le pianiste affectionne particuliĂšrement. Les polyphonies en sont claires, ça chante avec simplicitĂ©, du trĂšs grand piano.
(*) âIâm very sorry to have to withdraw from this tour that I was so much looking forward to doing with the Academy as their Principal Guest Conductor. I wish them all the best for the concerts with Jan Lisiecki, Nelson Freire and Rudolf Buchbinder and I look forward to performing with the orchestra again in the near future.â
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Compte rendu, concert. Dijon, OpĂ©ra, auditorium, le 30 novembre 2018. Beethoven. Nelson Freire et lâOrchestre de lâAcademy of St Martin in the Fields. CrĂ©dit photographique © Gilles Abbeg â OpĂ©ra de Dijon.