vendredi 29 mars 2024

COMPTE-RENDU, concert. DIJON, le 3 avril 2018. Franck, Strauss… ONF / Krivine.

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Compte rendu, concert. Dijon, Opéra, auditorium, le 3 avril 2018. Franck, R. Strauss, Ravel, Debussy. Orchestre national de France, Emmanuel Krinine, Francesco Piemontesi, piano. Il y a vingt ans, pour la saison inaugurale de l’Auditorium de Dijon, Emmanuel Krivine dirigeait l’Orchestre  national de Lyon… Quarante-huit heures avant la Maison de la Radio, il est à la tête de l’Orchestre national de France, pour un concert exceptionnel. Pour commencer, deux œuvres concertantes pour piano, relativement rares au concert, excellent couplage et mise en perspective.

De César Franck, les Variations symphoniques pour piano et orchestre (1885) ouvrent le programme. L’O.N.F., comme le pianiste, donnent une plénitude à cette œuvre austère, tour à tour sombre, pathétique, tendre, héroïque, tourmentée, recueillie,  finalement jubilatoire, toujours changeante dans ce chant à deux voix où les partenaires tissent leurs liens plus qu’ils ne s’opposent. C’est brillant, animé, d’un romantisme juste, avec de belles progressions, superbement conduites, avec le lyrisme de chaque pupitre, même si on attendait des accents plus incisifs de l’orchestre. L’articulation du pianiste, parfois, surprend. Ainsi, le thème exposé « espresso con simplicità » (m.100), délibérément morcelé par Franck, est joué ici d’un trait, les silences disparaissant dans la résonance de la dernière note de chaque cellule. Cette pratique, répandue, étonne de la part d’un pianiste aussi scrupuleux. Mais cela n’altère pas le bonheur de cette interprétation de haut vol.

strauss richardA Dijon, jamais on n’aura autant joué de Strauss que depuis dix jours. Après Anima Eterna, puis  les Dissonances, c’est au tour de l’O.N.F. de se frotter à ce répertoire fascinant. Burlesque pour piano et orchestre en ré mineur (1886), scherzo concertant, quasi contemporain de la pièce de Franck, dans la descendance directe de Liszt et de Brahms pour la métrique, avec un piano virtuose à souhait, nous fait regretter que Richard Strauss n’ait pas davantage illustré le genre. Tout l’humour, la vivacité,  l’invention du compositeur y sont déjà perceptibles. Dès le début, c’est le délice, avec les timbales énonciatrices du premier motif. La variété des climats, la richesse et la légèreté de l’écriture font plus que séduire. Burlesques, sans doute, enjoués  –  on pense à Till Eulenspiegel dix ans après – l’orchestre comme le pianiste nous en donnent une lecture brillante, étincelante, tendre, avec légèreté, souplesse, élégance et  sourire. Le jeu du pianiste, avec juste ce qu’il faut d’épanchement, est superbe. On en oublie la virtuosité diabolique.
La direction, d’une complicité parfaite, porte cette pièce avec enthousiasme, jusqu’au pied-de-nez final, où l’orchestre et le piano s’effacent, pianissimo, pour une simple frappe de la timbale (piano, sur un ré). Magistrale et jubilatoire interprétation donc, qui se hisse au plus haut niveau, qui l’emporte même sur les références connues par son esprit, sa clarté, sa légèreté séduisante, partagés par le soliste et l’orchestre.
Les acclamations et rappels du public nous valent beaucoup plus qu’un bis « ordinaire » brillant et bref : l’intermezzo en ut dièse mineur, de Brahms. La lecture, habitée,  est toujours servie par une prodigieuse technique. De la première partie, accablée, contrapuntique, au passage central tourmenté, pour revenir à la partie initiale, Francesco Piemontesi est un pianiste vrai. Italo-suisse formé en Allemagne (on pense à Busoni, Respighi), c’est un grand du piano, humble, au jeu dépourvu d’ostentation, avec un sens du legato, des phrasés subtils, où chaque note est pensée, dosée, pesée, de l’assurance, du brio sans jamais la moindre enflure, une riche  et séduisante palette de couleurs, la clarté du jeu, l’énergie comme le raffinement et la poésie, des tempi justes, qu’ajouter ? Trop rare en France, il s’inscrit dans la lignée de Brendel, dont il fut l’élève, la puissance athlétique en plus. Il redonnera ce programme à Paris, puis à Séoul en juin.

krivine emmanuel maestro chef philharmonique review critique classiquenewsLa seconde partie, réservée au seul orchestre dans sa grande formation, juxtapose Ravel et Debussy. Ainsi l’ONF va-t-il chanter dans son arbre généalogique. On connaît davantage Une barque sur l’océan (Miroirs, n°3) dans sa version originale. Ravel l’orchestra un an après la publication du recueil pour piano. Même s’il désavoua sa réalisation, force est de reconnaître la richesse de l’orchestre, peut-être au détriment du piano, qui estompe ses couleurs et ses moirures. Les bois, parmi les meilleurs au monde, mais aussi les cors, les cuivres, ronds et de velours, les cordes soyeuses, tout est là pour faire de cette page un bijou. La direction, techniquement la plus aboutie, est animée, efficace. C’est fluide à souhait, avec la douceur caressante comme avec la puissance extrême, on oublierait l’original.
Toujours recommencée, la Mer, de Debussy, était attendue. L’interprétation qu’en donnent l’ONF et Emmanuel Krivine soulève l’enthousiasme. Tout est là, mieux que jamais, la vie, les respirations, c’est toujours clair, équilibré, construit, avec des modelés idéaux. Chef et musiciens exultent dans une même communion (Quel beau cor anglais !) On nage dans le bonheur.  Jeu de vagues, a tout le relief, les équilibres subtils, l’harmonie parfaite. Attentive à chaque départ mais aussi à toutes les finales, la direction, bondissante si besoin, communique une formidable énergie à l’orchestre. Ça frémit, chante, avec une plénitude souriante, enfiévrée. Le Dialogue du vent et de la mer, constitue l’aboutissement, l’apothéose. Tout y est admirable, la retenue, les respirations et le lyrisme contenu, les progressions monumentales jusqu’au fortissimo final.  L’Orchestre national de France a-t-il jamais mieux joué cette œuvre emblématique ? Pas sûr !

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Compte rendu, concert. Dijon, Opéra, auditorium, le 3 avril 2018. Franck, R. Strauss, Ravel, Debussy. Orchestre national de France, Emmanuel Krinine, Francesco Piemontesi, piano. Crédit photographique © Orchestre National de France,  et © Francesco Piemontesi

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