Comme titre d’ouverture du Klara Festival de Bruxelles, le choix de la direction s’est porté sur Le Barbier de Séville – version Paisiello – qui, après avoir été donné en version scénique au Theater An Der Wien le mois passé, est présenté en version de concert (non figée) dans la magnifique salle de concert Art Déco du Palais des Beaux Arts, familièrement appelé le « Bozar ».
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette tentative audacieuse sera couronnée, aux saluts, par un beau et franc succès auprès d’un public qui, connaissant très bien la partition de Rossini, aurait pu ne pas faire l’effort d’entrer dans l’univers de Paisiello. Car, on le sait, le public de la création de l’opéra de Rossini aimait tant la musique de Paisiello qu’il siffla copieusement le nouveau Barbier. De nos jours, c’est justement la comparaison entre les deux œuvres qui fascine : celle de Paisiello, entièrement tournée vers l’esthétique du théâtre napolitain du XVIIIe siècle, qui sera sublimé par le Mozart de Cosi fan tutte et des Noces de Figaro ; celle de Rossini, aux innovations plus poussées et aux motivations plus précises, toutes tendues vers le renouveau du théâtre romantique.
Elégance raffinée, tact ineffable de Paisiello
A Bruxelles, on pense souvent à Mozart en écoutant ce Barbier de Séville, créé en 1782 à la cour de Catherine II à Saint-Pétersbourg. C’est bien cette Rosine-là, aimante, pudique, sensuelle, qui deviendra la Comtesse des Noces, et non la « vipera » rossinienne, volontaire, farouche, qui n’accepte pas un un seul instant sa condition et se révolte sans cesse. Paisiello, comme Mozart, dénoue avec une poésie infinie, une élégance raffinée, un tact ineffable des situations galantes chargées de sous-entendus. Rossini, lui, vise à l’essentiel et peint les caractères avec des traits plus marqués.
La distribution vocale dépasse toutes attentes, hors peut-être l’Almaviva du ténor islandais Topi Lethipuu, un peu pâle vocalement parlant, mais aussi scéniquement, avec une présence moins immédiate que ses collègues. En revanche, satisfaction totale avec la Rosine de la soprano norvégienne Mari Eriksmoen, toute en nuances, toute en demi-teintes exquises, et d’une musicalité irréprochable. Son chant s’avère exemplaire et la ligne est conduite avec soin. Excellent également le Figaro du baryton autrichien Andrè Schuen, même si Paisiello le rend très épisodique, le laissant à sa place de valet sans lui donner le rôle écrasant que lui réserveront Rossini et Mozart. Pietro Spagnoli est Bartolo sans caricature, sans excès, lui aussi plus intégré dans un contexte d’ensemble très mozartien avec une voix pénétrante mais parfois un peu sourde, tout comme Fulvio Bettini dont la « Calunnia » n’a rien à voir avec le « colpo di cannone » rossinien.
A la tête du formidable Freiburger Barockorchester, le grand René Jacobs offre une impeccable leçon de style, obtenant de la phalange allemande clarté et lumière, tout en laissant aux voix la possibilité de définir caractères et situations.
Bref, une belle soirée qui nous fait souhaiter voir d’autres œuvres de Paisiello à l’affiche. A propos, justement, pourquoi ne le joue-t-on pas plus souvent ?
Compte-rendu, concert. Bruxelles. Bozar, Salle Henry Le Bœuf. Le 8 mars 2015. Giovanni Paisiello : Il Barbiere di Siviglia (Version de concert). Topi Lehtipuu, Mari Eriksmoen, Pietro Spagnoli, Andrè Schuen, Fulvio Bettini. René Jacobs, direction.
Illustration : Mari Eriksmoen (© Sveinung Bjelland)