samedi 20 avril 2024

Claudio Monteverdi (1567-1643): Le Couronnement de Poppée

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Classiquenews.com vous permet de préparer votre soirée opéra ou votre découverte de l’oeuvre, en vous apportant une présentation de l’ouvrage. Voici un éclairage synthétique sur le chef d’oeuvre lyrique de Claudio Monteverdi. Révisez vos classiques ! La Rédaction

Claudio Monteverdi (1567-1643): Le Couronnement de Poppée


L’incoronazione di Poppea, dramma per musica en un Prologue et trois actes,
Livret de Busenello, d’après les Annales de Tacite (Livre XIV), créé à Venise en 1642

Genèse: L’Incoronazione ne couronne pas seulement la favorite de Néron : Poppée. Elle marque l’apothéose de la vie et de la carrière de son auteur. Monteverdi est à Venise depuis 1613, l’année où il a été nommé pour diriger l’institution musicale la plus prestigieuse de l’Italie baroque : la chapelle de la Basilique Saint-Marc, rattachée au prestige du Doge et de la Sérénissime. C’est un compositeur reconnu et respecté qui achève après Orfeo (1607), -œuvre visionnaire de la jeunesse-, son travail dramaturgique avec cet Incoronazione de 1642, à laquelle succède l’année suivante, l’ultime testament, Le retour d’Ulysse dans sa patrie. Poppée est un nouveau chef-d’œuvre lyrique qui recueille l’expérience de la maturité. L’œuvre illustre la vitalité du foyer vénitien au milieu du XVII ème siècle : l’opéra public, ouvert à l’élite et aux princes mais surtout au peuple, -sous condition qu’il paye sa place-, y a été créé en 1637. Poppée incarne un sommet de l’inspiration au moment où Venise après Florence et Rome, donne le ton. L’opéra à la française n’existe pas encore. Monteverdi laisse un modèle lyrique que perpétueront, chacun, selon leur style, ses élèves, Cavalli, Cesti, Ferrari, autant de noms hier méconnus, aujourd’hui mieux identifiés, qui appartenant au laboratoire musical regroupé autour du Maître, alors âgé de 76 ans, ont, pour certains, composé quelques parties de l’Incoronazione.

L’œuvre: Inspiré des Annales de Tacite (Livre XIV), le sujet se concentre sur le couple Néron/Poppée. Il en fait l’archétype d’une passion amoureuse à laquelle rien -ni personne ni valeur (en particulier Fortune et Vertu incarnées au Prologue)- ne peuvent s’opposer. Aucune source fiable ne précise la date de création (probablement fin 1642) ni les conditions techniques (quel orchestre, quel déploiement scénique, pourquoi les danses y sont-elles quasi absentes alors que d’Orfeo à Ulysse, le ballet est un élément constitutif du drame montéverdien et plus généralement vénitien ?). Les deux partitions parvenues (conservées à Venise et à Naples) sont postérieures à la création de 1642 et révélatrices du contenu des reprises. Elles dévoilent la collaboration des « disciples » (Cavalli, Ferrari) et des contemporains de l’auteur (Francesco Sacrati et Filiberto Laurenzi). Ces apports furent-ils décidés au début de la genèse ou sont-ils propre aux reprises après la mort du compositeur ? Faudrait-il changer notre regard sur l’œuvre et plutôt que de « dramma per musica », l’appeler, comme l’ouvrage créé à la même période que Poppée : La Finta Savia, de « musica di diversi » (œuvre collective)?

Les clés: La partition est l’œuvre d’un génie moderne qui depuis Orfeo n’a cessé d’innover pour la réforme de la langue musicale. Tout son travail recherche à articuler et expliciter le texte afin d’exprimer les passions de l’âme au travers d’une action cohérente. Père de l’opéra, Monteverdi pose dès ses premiers ouvrages les fondements du genre. L’articulation du mot est ici l’objectif de toute une vie, vécue dans une élaboration progressive depuis ses livres de madrigaux jusqu’aux drammas per musica des années 1640. Avec Orphée, Monteverdi dévoile la toute puissance magicienne de la musique. La lyre du poète chanteur sait infléchir les dieux. Mais l’opéra est une tragédie, selon le modèle des tragédies grecques, et Orphée même s’il libère Eurydice des Enfers, la perd aussitôt car il n’est pas maître de ses propres passions. Maîtrise ta nature, connais toi, toi-même. Avec Poppée, la désillusion s’aggrave : Néron incarne en un degré supérieur le comble de la possession aveugle : il est bel et bien esclave du désir que suscite la belle et ineffable tentatrice. Triomphe d’un érotisme délicieusement vénéneux, le livret de Busenello est frappé du sceau d’un cynisme non moins effrayant. Le Philosophe Sénèque n’échappe ni à la rumeur populaire ni aux rets de l’indiscutable Poppée : elle obtient de Néron la mort du vieillard. Le pouvoir politique préfère ici s’enivrer des vertiges du sexe que profiter des leçons du stoïcien. Incontinence d’un jeune Empereur, intrigues et cruauté d’une ambitieuse, sacrifice de la raison, perte de toute valeur morale : le tableau de la Rome antique, choisi par les auteurs, est des plus décadents.

Comprendre aujourd’hui l’Incoronazione, c’est remarquer l’équilibre de la vision poétique entre l’expression d’un érotisme dévorant et les preuves terrifiantes d’un monde qui a perdu ses valeurs : ici, Poppée envoûte littéralement sa victime (Néron) : « Signor, deh, non partire… » (acte I), scène d’une sensualité murmurée, hypnoptique, à laquelle répondent, à l’acte II, sur le même mode obsessionnel, le duo de Néron et de Lucain, ivresse à deux voix masculines ; puis le duo final Néron/Poppée (pur ti miro, pur ti godo), chant de l’amour triomphant, qui a été réattribué à Benedetto Ferrari. Sur l’autre versant de l’œuvre, symbole d’une lecture désenchantée , le long monologue puis la mort de Sénèque, enfin la déploration de ses disciples sur son cadavre (Acte II) illustrent sans équivoque ce monde perdu qui a plongé dans l’horreur.
Sur le plan esthétique, Monteverdi, maître des contrastes, sait aussi développer la veine comique voire bouffone au travers des personnages secondaires, en particulier les servantes de Poppée (Arnalta) et d’Octavie (Nutrice). Grotesques voire délirantes, elles n’en sont pas moins frappées du bon sens. Cette savante alliance du comique et de l’héroïque demeure emblématique de la liberté poétique avec laquelle le compositeur caractérise sa galerie de portraits et d’individualités.

Distribution: Prologue : Fortune, Vertu, Amour (sopranos). Ottone (alto), Poppea (soprano), Nerone (soprano), Arnalta (Alto), Ottavia (soprano), Nutrice (alto), Seneca (basse), Valetto (soprano), Damigella (soprano), Lucano (tenore).

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