vendredi 19 avril 2024

Claire Coleman, Fernando Ortega: comprendre MozartAvec Mozart (Editions Lethielleux)

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Comprendre Mozart


Claire Coleman et Fernando Ortega écoutent depuis des années les oeuvres de Mozart. Ils en ont compris surtout le sens et les enseignements spirituels qui outre la déconcertante cohérence du chemin de vie du compositeur, atteste de sa conscience sur la vie et les hommes, sur la finalité de l’existence terrestre… sa clairvoyance éblouit chacune de ses partitions qui semble touchée par la grâce céleste. En octobre 2010, les deux auteurs mozartiens font paraître « 
Avec Mozart »: un parcours à travers ses grands opéras (éditions Lethielleux). L’ouvrage d’un apport majeur pour la compréhension profonde des partitions mozartiennes fait suite à deux autres titres tout aussi indispensables: « Beauté et révélation en Mozart », surtout « Mozart, la fin de sa vie », deux ouvrages édités par Parole et Silence. Claire Coleman et Fernando Ortega ont bien voulu répondre aux questions de classiquenews.com à propos de leur ouvrage « Avec Mozart », écrit avec Fernando Ortega.

Que savons-nous réellement de la conscience spirituelle de Mozart, de sa foi?

Mozart a été élevé dans la foi catholique: dans une famille, une ville, un milieu catholique. C’était l’atmosphère de Salzbourg à son époque et cela l’a forcément marqué. En outre, on peut découvrir ses convictions religieuses dans maintes lettres, spécialement celles écrites à son père pendant le grand voyage à Paris, où le jeune Mozart exprime sa foi sans ambigüité, et sa conscience d’avoir reçu de Dieu, un don inouï pour la composition musicale. Plus tard, sa lettre du 4 avril 1787 où il parle de la mort, est révélatrice de sa conscience spirituelle. En 1789, le témoignage de Rochlitz nous parlera d’un Mozart qui dit avoir l’expérience vécue de la foi, au centre de laquelle rayonne celle de la miséricorde divine (Agnus Dei, qui tollis peccata mundi).

A part ça, pour répondre vraiment à votre question, il faut interroger la musique. Mais, à l’inverse de celle de Bach, la musique de Mozart n’est pas une confession “religieuse”. En d’autres termes, ce que nous pouvons deviner de sa foi à travers elle, n’est pas vehiculé par le vocabulaire habituel du sentiment religieux. Le Dieu qui s’entend chez Mozart n’est pas un Dieu “religieux” mais un Dieu “théologal” et “humain”: la joie, le bonheur, la tendresse en sont les caractéristiques, elles touchent toutes les partitions –pas seulement les oeuvres pour l’église!– mais aussi les plus profanes comme les concertos, les symphonies, la musique de chambre et, par-dessus tout, les opéras. Les opéras de Mozart portent en eux le profane et le sacré, l’humain et le divin, tout ce qui fait l’épaiseur de nos vies, nos douleurs, nos bonheurs, notre espérance. Le Dieu qui s’entend chez Mozart est un Dieu de miséricorde et de joie. Un Dieu insaisissable! C’est bien cela qui est dérangeant: Mozart nous donne le goût d’un Dieu tout autre, qu’on ne peut reconnaître que par l’avènement, en nous, d’une meilleure humanité lorsque nous écoutons sa musique avec l’oreille, le coeur, l’intelligence…


Comme il y a dans chaque opéra, un air de bascule, avez-vous identifié dans son oeuvre, les traces d’une prise de conscience, les marques d’une révélation?

Les sept derniers opéras de Mozart, bien que très différents sur le plan de l’action extérieure (les intrigues), peuvent être considérés comme un seul opéra quand on se place du point de vue de leur action intérieure, purement musicale. C’est là que Mozart nous laisse percevoir, d’un opéra à l’autre, les traces d’une progressive prise de conscience au sujet des questions centrales qui occupaient sa pensée: l’amour, la mort, le pardon, le péché, la réconciliation des classes sociales dans l’amitié, etc. Dans ce sens, comme nous l’écrivons, l’enfer de Don Giovanni dépassera en sérieux et en intensité celui d’Idoménée. Così fan tutte soulèvera des questions autrement complexes que celles posées dans l’Enlèvement. Enfin, la Flûte enchantée conduira le bonheur de la réconciliation atteint dans les Noces à un degré plus eschatologique… Quant à la Clémence de Titus cet opéra va nous plonger au cœur du message évangélique. Cette évolution, considérée globalement, révèle un approfondissement de l’expérience de la rédemption qui s’accomplit finalement dans la rencontre avec la figure d’un père aimant : c’est pour nous le passage du « Dieu de Mozart » au « Mozart de Dieu ».


Qu’est-ce que le Requiem, même inachevé, manifeste précisément de la spiritualité de Mozart l’année de sa mort ?

La mort, la conscience de la mort occupait beaucoup l’esprit de Mozart et la Maçonnerie a été pour lui l’occasion d’approfondir cette question. Vous savez que, selon Harnoncourt, le Requiem est la seule œuvre de Mozart qui soit autobiographique. Non qu’il ait cru sa dernière heure arrivée (ce qui est probablement une légende), mais parce qu’un génie comme lui ne pouvait pas aborder un tel sujet sans penser explicitement à lui-même. Il est donc très émouvant de constater l’intensité dramatique de cette musique. Là, Mozart s’est vraiment coulé dans le psychisme d’un pécheur à l’heure du Jugement et, parce qu’il prend la chose au sérieux, il écrit une musique aussi sévère et archaïque que le texte, et dont la secousse est salutaire. Et, surtout dans la Séquence, on touche du doigt ce que nous venons de dire par rapport aux opéras : c’est une véritable expérience de la rédemption qui se déploie à partir de la terreur du Dies irae jusqu’aux appels extatiques du Voca me et la prière confiante de l’Oro supplex, qui s’achève sur un paisible accord de fa majeur. Puis, dans le Lacrymosa la musique composée par Mozart s’arrête avec les mots homo reus… qui est déjà sauvé !


Avez-vous un opéra mozartien favori, et pour quelles raisons ?

Claire Coleman : En réalité, chacun des opéras est mon favori pour des raisons différentes. Mais je dois dire que j’ai un faible pour le dernier Singspiel, c’est-à-dire la Flûte enchantée. C’est une musique qui touche non seulement mes sentiments mais ella va au plus profond de moi-même. La rencontre de Tamino avec le Sprecher au premier acte, cette scène d’une poésie insurpassable, où je suis Tamino face à un mystère que je pressens et qui m’échappe, représente pour moi le véritable début de l’opéra. A partir de cette scène je pénêtre dans la musique comme on avance en eau profonde, et le 2° acte avec les arias de Sarastro, la marche des prêtres, les épreuves de Tamino et Pamina, si discrètes, agissent profondément sur moi, comme si je recevais l’explication de tout !

Fernando Ortega : Pour moi, à ce moment de ma vie, c’est La Clémence de Titus, à cause de sa décantation musicale extrême –sa pauvreté « franciscaine »– et par le fait que la beauté que je ressens est en même temps le fruit accompli d’un formidable itinéraire spirituel qui parle humblement –et musicalement– de la beauté de l’Évangile, surtout de la parabole du fils prodigue.

Avec Mozart, un parcours à travers ses grands opéras. Claire Coleman et Fernando Ortega. Editions Lethielleux.

Les
thématiques et lectures sont multiples et souvent captivantes. Au
final, ce sont les opéras de Mozart qui gagnent un surcroît d’intérêt:
en plus de dévoiler ce qui fait la dévotion particulière de Mozart à
Vienne, à la fois frère-maçon et chrétien, les analyses mettent
davantage en lumière la structure éblouissante de chaque oeuvre, et la
métamorphose spirituelle de Mozart qui s’en dégage en un regard plus
général, d’Idomeneo à Titus. Passionnant.

Avec Mozart, un parcours à travers ses grands opéras par Claire Coleman et Fernando Ortega. Editions Lethielleux, 186 pages. Parution: septembre 2010. 17 euros.

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