vendredi 19 avril 2024

Antonio Vivaldi: Ottone in Villa. Giovanni Antonini2 cd Naïve

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Ottone in villa convoque dans son intrigue un chassé croisé d’émois amoureux dont le trouble favorise chez les personnages et les couples décomposées, recomposés, vertiges et doutes en perspectives. Un temps fort de cette action qui mêle sensualité et cynisme demeure évidemment la scène « fleuve » de l’acte II où Caio, abandonné par Cleonilla, épanche sa plainte désespérée (aria: « L’ombre, l’aura… »), et trouve un écho illusoire en Tullia, cachée dans une grotte: tout le Vivaldi poète et magicien est là (cd1, plage 32), d’une hypersensibilité qui palpite au diapason d’une nature mystérieuse, inspiratrice, miraculeuse: flûtes enchantées, cordes souples et évocatrices… il n’y a qu’un pas avec l’alchimiste démiurge des… Quatre Saisons. La pauvre errance des coeurs et l’éblouissement que suscite la divine nature créent l’un des tableaux les plus saisissants de l’écriture lyrique vivaldienne. La sensibilité de Giovanni Antonini, maître dans l’art des sentiments musicaux, fait miracle en un continuo d’une légèreté expressive idéale. Jamais surdimensionné par rapport aux voix, l’orchestre Il Giardino Armonico distille de suaves couleurs et sait aussi développer le plus rugissant des moteurs dramatiques. Sa versatilité articulée confirme bien qu’il est aujourd’hui l’un des rares orchestres baroques italiens à savoir colorer et nuancer.
Côté chanteurs, l’unité et la vraisemblance des tempéraments défendent cette furià lyrique propre au Pretre Rosso qui en fait l’égal d’un Haendel à la même époque (1713). C’est une savoureuse galerie de portraits, exaltés et fiers, tendres et perdus à la fois: palmes pour le Caio de la soprano russe Julia Lezhneva (superbe émotivité de son grand air au II qui ouvre le cd2: « Leggi almeno, tiranna infedele »…): véritable révélation de la lecture; à la Cleonilla de Veronica Cangemi (par laquelle l’agent perturbateur prend son essor), la Tullia piquante et très engagée de Roberta Invernizzi (intensité agissante du dernier aria du cd1: Due tiranni ho nel mio core).

Opéra de jeunesse

Dans le rôle travesti de l’empereur Otton, assez crédule pour se laisser berner par l’insatiable Cleonilla, la contralto Sonia Prina s’affirme par le timbre opulent et chaud, large et souple d’une voix impliquée, avec cet abattage proche du texte qui confère à chacun de ses airs, une vérité émotionnelle irrésistible.

On reste moins convaincu par Topi Lehtipuu qui tout en sachant briller par une articulation projetée séduisante, déçoit par des aigus tirés et limités, une palette dynamique moins étendue et affirmée que ses consoeurs, un maniérisme affecté qui réduit son personnage de Decio, à la caricature du bellâtre en pâmoison.

Or les nuances et l’ambivalence (cette folie qui menace tout amoureux soumis au doute et au poison de la jalousie paranoïaque) caractérise les opéras amoureux de Vivaldi: tout l’orchestre et les milles diaprures instrumentales qui s’y cachent, indiquent en effet cette profondeur que l’on peine à reconnaître chez l’opéra vivaldien (alors qu’il ne pose aucun problème chez Haendel), mais que, opportunément, Giovanni Antonini sait capter et remarquablement exprimer: en fait, v beaucoup mieux que ses confrères italiens Biondi (qui empoigne et trépigne) ou Alessandrini (moins riche et profond par un continuo trop lisse et poli). Nous voici donc avec un vivaldien parmi les plus aboutis et réfléchis de l’intégrale Naïve, avec les chefs Dantone et Sardelli.

Voilà donc un excellent document lyrique, nouvel accomplissement de l’intégrale vivaldienne en cours. Naïve rassemble les interprètes idoines pour exprimer la fureur du premier Vivaldi au théâtre. Ottone in villa reste son premier opus d’importance, créé à Vicenza (Teatro delle grazie) en 1713. A 35 ans, celui qui s’est déjà forgé une solide réputation comme compositeur de musique instrumentale (il est en outre un excellent violoniste), montre une capacité éblouissante dans la veine lyrique.

Antonio Vivaldi (1678-1741): Ottone in villa, 1713. Livret de Lalli. Avec Sonia Prina (Ottone), Julia Lezhneva (Caio), Cleonilla (Veronica Cangemi), Roberta Invernizzi (Tullia), Topi Lehtipuu (Decio). Il Giardino Armonico. Giovanni Antonini, direction.

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