samedi 7 décembre 2024

CD. Ivan Ilic, piano. The Transcendentalist (Scriabine, Cage, Wollschleger, Feldman)

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Ilic-ivan-the-transcendentalist-piano-cd-heresy-clic-classiquenewsCD. Ivan Ilic, piano. The Transcendentalist (Scriabine, Cage, Wollschleger, Feldman). Piano cosmique, piano intellectuel, clavier défricheur d’autres mondes… en quête d’invisible, l’excellent pianiste Ivan Ilic ne cède pas à la facilité (il l’avait démontré dans un album précédent dédié à Godowski, défi méritoire idéalement accompli à la main gauche -presque un comble pour un pianiste qui a la pleine maîtrise de ses deux mains agiles). Revoici notre interprète voyageur au diapason des univers à la fois grandioses, visionnaires, surtout, intimistes de Scriabine, Cage, Feldman… ou le moins connu du quatuor, Scott Wollschleger,  dont il sait pour chacun ciseler l’intense et volubile nécessité intérieure, caractériser l’activité de la pensée autant que la virtuosité du jeu digital.
La référence esthétique des photos de couverture et du livret renvoie à un célèbre tableau surréaliste de Dali, adepte du discours superphétatoire et lui aussi tant délirant que … transcendant. L’art ne décrit pas: il suggère. Cette règle s’applique évidemment au programme superlatif dont il est question. Or rien d’artificiel ici dans un choix d’abord souverain sur le plan des œuvres mises en perspective. La pertinence d’un récital de piano, outre le style et la sensibilité du toucher, réside premièrement dans l’articulation du programme ; Ivan Ilic aborde de fait le mythe même du piano : au-delà des défis techniciens, le jeu du pianiste fait entendre et résonner concrètement les vibrations sublimes qui dans le déroulement de l’œuvre abolissent temps et espace. Un temps romantique par essence qui se perd en perspectives à l’infini et se rétablissent comme le miroir intérieur des auteurs invités, comme de l’interprètes qui en est l’instigateur.
C’est donc un hommage à l’instrument de Liszt et de Wagner, Schubert et Beethoven, sans omettre Debussy et Ravel qui de facto font oublier les seuls éléments de la performance digitale (rapidité, agilité, contrôle…) pour atteindre à cette conscience musicale d’où coule et se déploie une … pensée en action.

Au-delà des sons

Piano mystique et irrésistible d’Ivan Ilic

 

Piano pudique et mystique d'Ivan IlicDerrière le jeu acrobate et la réalité matérielle du clavier, la pure émanation de mondes inconnus, brossés comme des visions à la fois introspectives et contemplatives se profilent ; des questionnement intimes qui font de la musique, l’émanation d’humanismes critiques à l’œuvre, s’invitent : tel est le défi de ce disque très personnel qui implique et révèle derechef la grande sensibilité du pianiste Ivan Ilic, son exigence artistique comme sa fougue et son questionnement interprétatif.
Pour étayer son propos pianistique et fonder la cohérence de ce programme, Ivan Ilic s’inscrit dans les pas du romantique américain Ralph Waldo Emerson, auteur argumenté de The Transcendentalist (1842) : manifeste d’un courant esthétique opposé aux notions de rationalisme et de matérialisme, proche des pensées sacrées orientales. Le pianiste semble heureux de dévoiler l’évidence de sa découverte en proposant donc dans ce récital hors normes : le mysticisme de Scriabine, la pensée bouddhiste de Cage, l’approche hautement intuitive de Feldman aux questionnements hypnotiques, l’offrande synthétique d’un Wollschleger dont l’écriture synesthésique paraît récapitulative de tous.
La sérénité chantante et liquide, déjà éthérée, mystique du premier Scriabine (Prélude opus 16), puis sa face plus insouciante et comme libérée (Prélude opus 11) ; les climats suspendus énigmatiques de Cage (Dream, 1948), énoncés à l’infini comme des questions sans réponses, des broderies ou des arabesques projetées dansantes dans l’espace (In a Landscape, même date, liquide et cyclique) aux résonances de gong asiatiques (alors que s’agissant de Feldman, l’idée de gong basculerait plutôt vers l’annonce funèbre de glas).
Scriabine s’avère le plus inventif, le plus visionnaire et le plus expérimental, un mentor pour tous, une puissante source d’inspiration : les quatre pièces enchaînées suivantes (Guirlandes opus 73, Préludes opus 31, 39, 15) semblent découler d’un processus radical qui dilate l’espace musical, repousse et abolit les frontières, rendant sensibles et tangibles tous ces mondes invisibles à découvrir. Jouant subtilement de la pédale, soignant les passages aux croisement des tonalités et les transitions entre chaque épisode, Ivan Ilic convainc grâce à une intelligence suggestive réellement superlative. C’est un parcours construit comme une quête continue et sans retour d’où la grande tension sous jacente à chaque formulation : plus récente entre toutes les pièces, Music Without Metaphor (2013) du contemporain trentenaire Wollschleger sait recueillir l’héritage interrogatif et spirituel de ses prédécesseurs en une qualité d’onirisme pudique, -entre résonance et silence, vibrations ciselées-, qui questionne et … enchante lui aussi. Même accomplissement pour le dernier tableau, le plus long de tous : Palais de Mari (1986) signé Feldman, où le questionnement interroge la forme même, et le silence et la résonance ultime ; où le bruit de la mécanique du clavier participe d’une question qui touche l’essence et le sens de la musique comme langage de connaissance et de dépassement. Le jeu puissant, intense confine à l’exténuation d’une formulation condamnée à se répéter sans trouver d’écho libérateur. A trop chercher, le penseur ne prend-t-il pas le risque de se perdre ? Sa question ne trouve-t-elle pas sa réponse en lui-même, au terme de cette traversée magicienne ?

CLIC_macaron_2014Le récital est l’un des voyages intérieurs les mieux aboutis jamais écoutés. Ce qui frappe le plus c’est peut-être moins la maîtrise technicienne, – qui le rend déjà palpitant en un jeu ardent, crépusculaire, essentiellement énigmatique-, que l’intelligence préalable qui a sélectionné les différentes pièces choisies : des questionnements déroulés, tendus, presque terrifiants à mesure qu’ils restent sans retour, le pianiste concepteur sait aussi libérer le flux et l’écoute (Rêverie opus 49 et Poème languide de Scriabine, aux lueurs empruntant à Liszt et Wagner)… leur parenté exprime une correspondance secrète, des horizons insoupçonnés, des ivresses partagées, une claire ambition musicale et humaine qui dépassent la seule et finalement restreinte performance pianistique. Comme un miroir riche en vertiges justes et habités, l’interprète offre un modèle d’approfondissement, loin c’est à dire très haut au dessus de la mêlée nonchalante aux émanations démonstratives et si vagues. Geste mesuré, sensibilité affûtée : Ivan Ilic nous séduit et nous captive du début à la fin de ce formidable programme. L’album The Transcendentalist d’Ivan Ilic est un coup de coeur et CLIC de Classiquenews.

The Transcendentalist. Ivan Ilic, piano. Scriabine, Cage, Wollschleger, Feldman. 1 cd  Heresy. Durée: 1h04. Enregistré en novembre 2013 à Paris. Parution annoncée : le 27 mai 2014.

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