jeudi 18 avril 2024

CD. François Ier, musiques d’un règne. Music of a reign. Doulce Mémoire, Denis Raisin Dadre (Livre 2 cd ZZT)

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13_cd-francois1erCD, critique. François Ier, musiques d’un règne. C’est certainement le meilleur cd réalisé à ce jour sur les musiques de François 1er, soit au début du XVIème français, d’autant plus délectable qu’il est ici superbement édité, sous la forme d’un livre aux textes passionnants (signés en grande partie, Denis Raisin Dadre). Outre la finesse et les multiples subtilités de l’interprétation révélant aujourd’hui une approche superlative des musiques du XVIè français, à la fois sacrées et profanes (soit le siècle de la Renaissance en France puisque le XVè est gothique), la réalisation de Doulce mémoire affirme une intelligence artistique qui doit être particulièrement saluée. Pour illustrer les fastes sonores des fameuses célébrations musicales, protocolaires voire politiques du Camp du Drap d’or (juin 1520), et aussi illustrer l’inspiration des poètes et compositeurs favorisés par le souverain couronné en 1515, Denis Raisin Dadre s’appuie sur une importante phase préalable de recherche et choisit les sources les plus proches des originaux (à ce jour non identifiés : pas de description précise des musiques jouées pour les souverains de France et d’Angleterre, réunis en grande pompe sur la prairie du Val doré, par exemple). Les interprètes ont soigné la cohérence collective de l’approche et aussi, surtout, le raffinement sensuel sonore : souci de la langue, souci du verbe articulé et incarné, élans des polyphonies collectives où se dilue la notion même d’individualité… que les enregistrements (nocturnes) à Fontevrault (pour la Messe du Camp du Drap d’or) et à Chambord (pour les chansons et mélodies) subliment par leur relief chambriste, leur saisissante intensité poétique et expressive, leur éloquence concentrée et intime (Chambord).

 

 

Denis Raisin Dadre et Doulce Mémoire confrontent François Ier et Henry VIII

Vertiges anglais, solennité suave des Français

 

2015 : l'année François Ier par Doulce MémoireComparée aux confrontations artistiques des autres grandes rencontres du règne : Aigues-Mortes en 1538 avec Charles Quint et auparavant, Bologne avec le pape Léon X en décembre 1515 (où il y a convergence stylistique car les princes en question se disputent les mêmes chantres et compositeurs au style majoritairement franco flamand), c’est assurément le Camp du Drap d’or du 5 au 23 juin 1520 qui marque un jalon important dans l’histoire musicale française : la chapelle de François 1er se confronte ainsi à celle de Henry VIII, dont la singularité liée à l’insularité, marque particulièrement les esprits. Hors du continent, les voix, le chant anglais se distinguent nettement des pratiques et styles continentaux. A la noblesse et solennité française, non dépourvu de grande et suave nostalgie, répond l’agilité flexible des chantres d’Angleterre, aux vertiges virtuoses d’une infinie séduction.

 

Pour illustrer la messe clôturant le Drap d’or (23 juin, dont on ne sait rien des partitions jouées), Denis Raisin Dadre (DRD) suit les descriptions originelles de son déroulement et le plan en interventions alternées : Kyrie chanté par les Français, Gloria par les Anglais… Ainsi côté français, aux côtés des motets virtuoses de Jean Mouton (dont le très opportun motet Reges terrae / Les Rois de la terre…), DRD choisit la Messe à 5 voix « Quare fremuerunt gentes » (Pourquoi les gens…) et l’Agnus Dei à 8 (sa simplicité verticale plus directe, puissante, virile) de Claudin de Sermisy, alors jeune compositeur promis à devenir le premier compositeur de la Chambre… auquel répond en complément le Credo à 6 voix de Divitis (qui mieux que Sermisy fait entendre cet accroissement vocal – deux voix de dessus indiquées sur le manuscrit : primus et secundus puer-, propres à exprimer la profession de foi des fidèles en un moment essentiel de la messe). Enfin, autre facette passionnante de cette restitution riche en références, DRD ajoute l’hymne O salutatis hostia anonyme en style vertical fécond en dissonances entre dessus et ténor, accents troubles et étranges propres eux aussi à ce temps important de la dévotion.
Vraie confrontation, – passionnante en vérité, la Messe permet aussi d’écouter la musique anglaise contemporaine si différente et d’un raffinement singulier : DRD retient ainsi la Messe Benedicta et venerabilis à 6 voix de Nicholas Ludford qui au hiératisme retenu et solonnel de Sermisy, développe une inventivité mouvante de la forme, changeant les formations à 5,6 puis 3, favorisant aussi la diversité rythmique… Les chantres anglais sont ici selon les usages a capella quand les français sont diversement accompagnés d’instruments (cornets, sacqueboutes, flûtes, bassons…) ; de même que le diapason change selon la nationalité : haut chez les Anglais (464Hz), bas pour les Français (415 voire 392 pour le motet Reges congregati sunt). A voir les deux portraits officiels des souverains : François Ier par Jean Clouet et Henry VIII par Holbein (les deux portraits son reproduits opportunément en pages 51 et 52 du livre cd), on redécouvre ce réalisme pointilliste si raffiné propre à l’époque, lequel dépasse la question des nationalismes, tout en offrant deux facettes diversement caractérisée de chaque sensibilité, selon les modèles : buste dynamique et teintes chaudes pour le français, stature frontale en nuances froides pour le Britannique.

 

 

 

Divins Meslanges profanes de Serton

 

 

Dans le cd2, Doulce Mémoire s’intéresse à la riche littérature de chansons et mélodies cultivées à la Cour de François Ier pour laquelle les compositeurs de la Chambre livrent d’abondants recueils. Denis Raisin Dadre écarte le très connu et déjà longuement abordé Clément Jannequin (qui fait surtout sa carrière à Angers et Bordeaux). Pour honorer l’anniversaire de l’avènement de François Ier en 1515, DRD dévoile surtout les manières des compositeurs de la génération du souverain, et comme lui, portés par une ardeur juvénile poétique, d’une constante invention, d’une permanente exigence poétique : Claudin de Sermisy, Pierre Certon, Pierre Sandrin. Sans sa partie de quintus, le fameux recueil des Meslanges de Certon était injouable : qu’importe le défi si l’enjeu est prometteur… donc DRD aidé du musicologue chanteur Marc Busnel (basse) rétablit le manque : ainsi est dévoilé le cycle le plus étonnant de chansons édité en 1570 et qui reprend nombre de succès musicaux signés Jannequin, Cadeac et Certon lui-même.
En un phénomène de réécritures hommages, Certon actualise les chansons de ses prédécesseurs, avec le raffinement et la complexité captivante qui le caractérisent : ajout de voix, changements rythmiques, transformation régénérante qui permet ici aux standards de l’époque : La volonté, Contre raison, Susanne un jour … de perdurer selon les sensibilités et les changements de goût. Accord secret de la note et du verbe, chaque texte poétique mis en musique étonne par sa profondeur, sa richesse sémantique, la complexité harmonique et mélodique : l’équivalent français du madrigal italien. DRD ajoute le jeu des instrument qui selon le goût, l’inspiration du moment, comme à l’époque, réalise une partie initialement dévolue à la voix. En maître des sens, Denis Raisin Dadre opère une gastronomie vocale et instrumentale riche en saveurs, surprises, accents, mélanges subtilement associés : Las je my plains de Certon, Si par fortune, Reviens vers moy offrent des textures nouvelles inédites où les voix s’accordent au chant des flûtes, au basson, ductile, éloquent opérant comme un liant, composant une mosaïque de couleurs, très proches de la peinture de l’époque, où à l’idéal de la Renaissance classique répond aussi les dissonances du chromatisme nuancé acide des maniéristes, les Primatice et Rosso invités par François Ier comme Leonard pour y perfectionner encore pour la Cour de France, leur maîtrise inégalé du dessin et de la couleur.

CLIC_macaron_2014La sensibilité, suave, précise, mesurée, toujours délicieusement intime des chanteurs et instrumentistes de Doulce Mémoire restitue un univers élégant, complexe, foisonnant, étonnamment voluptueux qui éclaire l’art de Cour sous François Ier, tel un âge d’or enfin revivifié. Programme magistral, coup de coeur de classiquenews (CLIC d’avril 2015) et qui tourne dans de nombreux sites tout au long de l’année 2015 pour l’anniversaire de l’avènement de François 1er (1515). Retrouvez ici l’agenda des dates de la tournée François Ier par Doulce Mémoire en 2015 : en France (l’Indonésie en mai) : le 9 avril à Paris (Bnf), le 11 avirl à Rambouillet, puis les 21 juillet à Vincennes (le Camp du Drap d’or), 12 septembre à Azay le rideau… etc… voir toutes les dates et les différents programmes.

 

 

 

13_cd-francois1erCD. François Ier, musiques d’un règne. Music of a reign. CD1 : Messe pour le Camp du Drap d’or (juin 1520) : Messe de Sermisy, Credo de Diviti, motets de Jean Mouton. Gloria, Sanctus, Benedictus de Nicholas Ludford. Enregistré à Fontevraud en novembre 2013. CD2 : La Chambre du Roy : chansons de Gervaise, Certon, Rippe, Sandrin, Attaingnant, Sermisy, Penet, Lupi, Févin… Enregistré à Chambord en mars 2014. Doulce Mémoire, Denis Raisin Dadre, 2 cd ZZT 357.

 

 

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