mardi 19 mars 2024

CD événement, critique. VINCI / HANDEL : DIDONE ABBANDONATA (1737) — 2 cd DHM (nov 2016)

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Haendel réécrit VINCI : une Didon ciseléeCD événement, critique. VINCI / HANDEL : DIDONE ABBANDONATA (1737) — 2 cd DHM (nov 2016). Jeu de styles, apport du « Pasticcio », admiration haendélienne … admirateur de son prédécesseur à Naples, Leonardo Vinci (comme le peintre de la Renaissance mais sans la particule), Haendel reprend et adapte à Londres, l’opéra primitif de Vinci, sa Didone Abbandonata / Didon abandonnée, tragédie sentimentale dont il fait une synthèse de l’amour tragique en 1737 (pour l’audience londonienne de Covent Garden). La production ici enregistrée à Berlin en nov 2016, a été présentée dans le cadre de « l’Hiver Baroque de Schwetzingen » (dont le chef fondateur de Lautten Compagney, Wolfgang Katschner fut le directeur de 2012 à 2016). Son ensemble berlinois Lautten Compagney dont le sens de la brillance et de la fluidité dramatique fait merveille, confirme une évidente affinité avec l’opéra baroque napolitain et haendélien.

 

 

CLIC D'OR macaron 200On connaissait la Didone de Jommelli (compositeur napolitain du plein XVIIIè, qui admiré de Balzac, allait reprendre le même livret de Metastase) ; voici celle antérieure de Vinci (Rome, 1726), d’une subtilité inouïe, servie par une sensualité et un sens des affects dont on comprend qu’ils aient tant plu à Haendel lui-même. C’est une relecture, et une réappropriation dramatique très intelligemment pilotée par Haendel à Londres en 1737, alors que Paris assiste à la révolution lyrique menée par Rameau (création scandaleuse d’Hippolyte et Aricie en 1733) : à l’image de la couverture, quand Handel redécouvre Vinci, William Turner au XIXè revisite les paysages marins du classique français, Claude Lorrain, ce qui lui inspire une sublime recréation originale sur le thème de la Didon bâtisseuse, fondatrice de Carthage (voir la couverture du présent coffret). Voici donc ce style déjà « galant », et préclassique, qui allait définitivement étouffé l’opéra vénitien expirant (avec Vivaldi, impuissant bien que très actif), soit le standard napolitain destiné à régner sur l’Europe pendant tout le XVIIIè. Haendel allait imposer sa « marque » comme impresario et grand connaisseur du seria italien, avec ce pasticcio (dans lequel il place des airs de Hasse, Vivaldi… aux côtés de ses arrangements persos et des airs écrits par Vinci) ; pour triompher, – goût de l’époque oblige, Haendel invite à Londres, deux chanteurs vedettes dans les deux rôles principaux : Didon et Enée, soit la soprano fétiche Anna Maria Strada del Po (Vinci avait confié le rôle au castrat Giacinto Fontana dit il Farfallino), et le castrat alto Gioachino Conti (venu de Dresde). Haendel n’en est pas à son premier « Vinci » : il s’est très largement inspiré de la Partenope du Napolitain pour composer la sienne (1730). De fait, il y a bien chez Vinci, – maître de Pergolèse, un sens inné de la vibration émotionnelle, une franchise de ton qui n’appartient qu’à lui et qui a probablement marqué et inspiré continûment Haendel tout au long de son travail ; en particulier dans les années 1730, où le Saxon tente d’établir un festival permanent d’opéra seria italien à Londres…

 

 
 

 

 

Somptueuse résurrection

Révélée par Haendel, la Didone de Vinci
rayonne, servie par l’ensemble LAUTTEN COMPAGNEY

 
 

 

CD : VINCI / HANDEL, Didone Abbandonata (1737) par Lautten Compagney

  

 



Leonardo_Vincihandel-haendel-portrait-582-grand-portrait-handel-haendelComme connaisseur et collectionneur avisé et génial de sentiments humains, le quinqua Haendel, spécialiste de l’opéra italien, coupe et va à l’essentiel, réalisant de l’opus de Vinci, créé originellement à Rome en 1726, soit 10 années avant l’opération du Saxon, un drame prenant, percutant, où file la course impuissante et sublime qui mène la Reine de Carthage, Didon, d’un amour embrasé pour Enée (le Troyen en exil, destiné à fondé Rome) vers un suicide enténébré. Illustrations : à gauche, HAENDEL / à droite : Leo VINC). En cet hiver berlinois de 2016, la réalisation musicale et stylistique menée par Wolfgang Katschner est en tout point admirable : elle témoigne de l’engouement de Haendel en terre italienne ; son affection pour l’expressivité opératique de l’Italie contemporaine (ou quasi), son adhésion à l’esthétique napolitaine qui privilégie l’exaltation des passions et des affects, – exacerbés par le culte de la vocalise acrobatique, cependant « adoucie » par un raffinement nouveau dans l’essor mélodique et l’écriture pour l’orchestre. En génie comptable du drame, Haendel raccourcit les récitatifs originaux ; il s’intéresse principalement au réalisme de chaque situation psychologique ; il en ressort une galerie de portraits particulièrement caractérisés où perce la dignité tragique et très humaine de Didon (Robin Johannsen, au timbre flûté, plutôt étroit comme un castrat masculin, mais percutant, référence évidente à la figure du castrat très applaudi à la création romaine, Giacinto Fontana), le profil inflexible et héroïquement intouchable de l’Enée travesti de la mezzo Olivia Vermeulen ; Vinci et son librettiste ont ajouté un couple supplémentaire qui vient « parasiter » et aussi exacerber celui principal (Didon / Enée), soit Iarba et Selene (chacun amoureux respectivement des deux premiers) : Antonio Giovannini, haute contre énergique et précis au très bel abattage ; Julia Böhme, timbre ample et velouté, affirmant l’intensité du désir… servis par des chanteurs d’un haut niveau (précision, intelligibilité, articulation, intonation…), le drame psychologique gagne une acuité frappante qui renouvelle la perception du drame antique.
Seul ombre au tableau, car en dessous de ses partenaires sur le plan vocal, le ténor japonais Namwon Huh (Araspe), certes doté d’un beau timbre, mais au style réduit et répétitif, au maniérisme hors sujet, et à l’articulation de l’italien bien peu orthodoxe (avec des fins de phrases d’une flottante imprécision, et des aigus trop tendus) ; de toute évidence, voilà un jeune chanteur trop tôt poussé sur les planches et qui devrait revoir sa technique. De fait, son niveau rend instable une distribution qui était en tous points très cohérente.

 

 

KATSCHNER WolfgangLa tenue de l’ensemble sur instruments anciens Lautten Compagney / Compagnie du luth, nouveau collectif berlinois, sait tisser la plus belle étoffe pour ce Vinci révisé / énergisé par Haendel ; du tact, de la nervosité, de la finesse pour une partition exemplaire, devenue standard du bon goût, élu par le Saxon, meilleur connaisseur de l’opéra italien à son époque, et de l’opéra tout court. De sorte que Vinci ne pouvait trouver meilleur adoubement et reconnaissance dans une version et lecture à laquelle le chef Wolfgang Katschner, serviteur zélé et inspiré de Porpora ou de Traetta – autres figures napolitaines-, apporte toute l’intelligence instrumentale et la sensibilité expressive nécessaire.

DHM Deutsche Harmonia Mundi a bien raison d’éditer cet enregistrement qui montre à Berlin, un regain d’activité sur la scène baroque. Le label nous offre de suivre aussi les réalisations d’un autre ensemble d’outre-Rhin, né en 2004, L’Arte del Mondo (Leverkussen) dirigé par le chef colonais Werner Ehrhardt (Lire notre compte rendu critique complet de l’opéra oublié, mais perle comique : La Scuola de’Gelosi de Salieri, 1783 – pendant du Cosi fan tutte mozartien
https://www.classiquenews.com/cd-compte-rendu-critique-salieri-la-scuola-degelosi-werner-ehrahardt-3-cd-dhm-2015/
Il reste essentiel grâce au disque de découvrir ce que les meilleurs interprètes « osent » ressusciter et défendre hors de l’Hexagone. Un vent rafraîchissant où en France où tend à répéter toujours les mêmes oeuvres défendues par les mêmes interprètes… Ce Vinci version Haëndel est une excellente surprise, le cd événement de l’été 2018, dans nos rayonnages baroques.

 
En savoir plus sur l’ensemble LAUTTEN COMPAGNEY
http://www.lauttencompagney.de/index.php?m=77&f=05_personendetail&ID_Person=7

 

 

 
 

 

 

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