samedi 26 avril 2025

CD événement, critique. TEATRO SANT’ANGELO, Vivaldi, Chelleri, Ristori…: Adèle Charvet / Le Consort (1 cd Alpha classics)

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Venise, Carnaval 1637: en billetterie ouverte au public, l’Andromeda de Francesco Manelli remporte un franc succès au Teatro San Cassiano ; le premier opéra ouvert à tous était ainsi créé, inaugurant l’essor florissant de l’opéra public dans la Cità. Tous les théâtres à Venise s’engouffrent dans la brèche, chacun rivalisant de surprises, souhaitant se démarquer des autres. En témoigne le fabuleux teatro Sant’Angelo que dirigea Vivaldi, compositeur et directeur dont le goût et la programmation sont ici les sujets passionnants de ce programme. Jusqu’à la fin des années 1720, c’est l’esthétique vénitienne, aux registres mêlés, tragique, pathétique, comique qui rayonne alors apportant son lot de pépites lyriques d’une indiscutable justesse. Le jeune mezzo Adèle Charvet dévoile ainsi plusieurs airs totalement inconnus, et surtout deux compositeurs que Vivaldi a programmé alors : Fortunato Chelleri et Giovanni Alberto Ristori, deux tempéraments, vivaldiens, c’est à dire expressifs et subtils dont la carrière a d’ailleurs permis au style vénitien de rayonner en Europe… avant la déferlante napolitaine, propre aux années 1730.
La collection de « premières mondiales » laisse envisager de prochaines découvertes tout aussi captivantes, surtout quand elles sont défendues avec un tel engagement juste et poétique ; dévoilant l’intensité dramatique comme la flamboyante virtuosité des airs qui ne manquent ni d’éclat ni de profondeur.

 

Dès le premier air « Il mio crudele amor » de Rodomonte Sdegnato de Michelangelo Gasparini (programmé par Vivaldi au Sant’Angelo en 1714), la jeune diva déploie d’irrésistible arguments vocaux et expressifs : énoncé naturel et sincère d’une prière, chaleur du timbre, texte articulé sur un tapis instrumental tendu, langueur suggestive sur une basse obstinée à peine développée… tout convainc.
Le Chelleri, qui suit, le plus vivaldien des compositeurs ainsi révélés s’engage dans la même veine lyrique (« Astri aversi » de l’opéra présenté au Sant’Angelo en 1719) : c’est un air vif argent, virtuose, dont le texte est à nouveau magnifiquement articulé ; coloratoure maîtrisée, vertiges, passions clarifiés, … Adèle Charvet sait canaliser chaque inflexion vocale dans le respect du texte et des enjeux dramatiques ; elle incarne une âme aimante qui souffre mais reste étonnamment clairvoyante sur son destin et l’adversitéà surmonter…
Giovanni Alberto Ristori est le second compositeur qu’il est passionnant d’écouter dans ce programme : sa Cleonice diffuse une même justesse psychologique (dans ce premier air « Con favella de pianti ») : prière lacrymale d’une profondeur épurée, désarmante, accompagnée par les cordes seules qui semblent soupirer, enveloppant en ciselure, la voix qui étire de longues tenues de notes, en une déploration plaintive et mourante.
Les 2 Vivaldi qui suivent sont connus et expriment les fabuleux contrastes nés de l’imaginaire vivaldien (qui ont certainement façonné l’attractivité du Sant-Angelo au XVIIè) : frénésie surexpresive de « Siam Navi » (L’Olimpiade), belle leçon de réalisme et de sagesse où le cœur humain traverse les tempêtes du sort comme les navires en mer… analogie que reprend au pied de la lettre les remarquables instrumentistes du Consort, d’une puissance océane qui sculptent chaque accent ; d’autant que la voix qui palpite reste toujours intense, flexible et superbement articulée.
L’air très développée « Sovvente il sole » de l’Andromeda liberata (plus de 9 mn l’opéra le plus tardif : créé en 1726) démontre davantage la complicité et l’entente audible entre la diva et les instrumentistes : subtilité de l’image instrumentale, à la fois détaillée et dense ; chaleur et onctuosité de la voix, riche en harmoniques et souplesse expressive ; l’air qui célèbre l’éclat solaire d’autant plus éblouissant s’il a été auparavant couvert par l’ombre, fait valoir le mezzo cuivré et palpitant d’Adèle Charvet, ici d’une langueur poétique ciselée, irrésistible.

 

Adèle Charvet et Le Consort
explorent et embrasent tous les vertiges de l’opéra vénitien
dans unt série d’inédits lyriques…

Vivaldi, Chelleri, Ristori
Trilogie génial au Sant’Angelo de Venise

 

 

 

 

La suite du programme déploie un véritable « Festival de premières lyriques », alternant Chelleri et Ristori, deux astres vénitiens à (re)découvrir d’urgence : au Ristori, expressif et suave (plage 8, Arianna « Nell’onda chiara ») ; d’une précision linguistique, inventive, très juste (« Su Robusti », extraits d’Un Pazzo ne fa cento ovvero Don Chisciotte) ; qui s’alanguit aussi (plage 7 : long air « Aspri rimorsi » de Temistocle, de presque 7 mn) avec la couleur spécifique du hautbois sombre exprimant le regret et l’impuissance, en vagues somptueusement graves voire lugubres ; – répond la subtilité d’un Chelleri fin dramaturge dans l’air « La navicella » extrait d’Amalasunta (1719) : cantatrice et musiciens y expriment l’infini de la fragilité et de l’inquiétude d’une âme chancelante au destin bien peu sûr ; comme hallucinés, somnambuliques, les interprètes en soulignent avec finesse, la sincérité démunie, le vertige alangui avec une subtilité remarquable.
De Ristori distinguons aussi « Qual crudo vivere » de Cleonice (plage 15) a la gravité des grands airs haendéliens, ceux de clairvoyance et de renoncement…
Le récital comprend aussi deux inédits de Vivaldi dont le premier saisit par son réalisme inquiet voire amer : « Ah non so, se quel ch’io sento » (Arsilda créé en 1716 / plage 12), évoque ce labyrinthe amoureux où se perdent les cœurs éprouvés ; Adèle Charvet exprime la prière d’un être détruit intérieurement à laquelle les instruments apportent un éclat à la fois rond et incisif, des résonances semées d’interrogations presque glaçantes.
Difficile de ne pas reconnaître alors s’agissant du Pretre Rosso, son génie psychologique, la justesse d’une écriture qui a tout analysé des sentiments humains, jusqu’au néant du désarroi.
Et pour se remettre de tels vertiges ciselés dans la finesse et la justesse, l’ultime air de Giovanni Porta (Arie nove dà Batello, 1719), autre somptueux inédit apporte une conclusion vive et percutante par sa justesse : dernier air à la fois tendre, juste, plein de bon sens et de réalisme psychologique, « Patrona reverita ») – tandis que juste avant, aussi fugace que coloré et bondissant, l’inédit de Vivaldi surprend lui aussi : chanson troussée comme une danse exultant de rythme, d’énergie, de vivacité solaire (avec traverso) extrait du Couronnement de Darius (« Quella bianca e tenerina »)…
Tout au long de ce passionnant récital qui plonge au coeur de l’opéra vénitien en son âge d’or, la palette des nuances du Consort répond au souci du texte du mezzo d’Adèle Charvet, superbe de précision et de finesse

 

 

 

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CD événement, critique. TEATRO SANT’ANGELO : Adèle Charvet / Le Consort (1 cd Alpha classics) – écoutez / achetez le CD Teatro Sant’Angeo / Adèle Charvet / Le Consort : https://lnk.to/TeatroSantAngelo

 

 

 

 

LIRE notre ENTRETIEN avec Adèle Charvet, à propos de son nouvel album TEATRO SANT’ANGELO (1 cd Alpha classics) :
https://www.classiquenews.com/entretien-avec-adele-charvet-a-propos-de-son-nouvel-album-teatro-santangelo-le-consort-1-cd-alpha-classics/

Associée à la vitalité d’un continuo efferverscent et juste, la jeune diva ressuscite ainsi plus de 10 airs en première mondiale (dont 2 de Vivaldi !), tout en dévoilant les figures oubliées d’un âge d’or de l’opéra vénitien, tels Chelleri ou Ristori dont l’acuité et le sens théâtral indiquent le goût du Vivaldi, impresario et directeur de théâtre…

 

 

 

LIRE aussi notre annonce du CD TEATRO SANT’ANGELO (1 cd Alpha classics) : https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-teatro-santangelo-adele-charvet-le-consort-1-cd-alpha-classics/

« Cette conspiration de l’enthousiasme »…les mots de Maupassant, rapportés dans le livret parlant de Venise, sont bien à propos pour caractériser le présent programme et qualifier l’accueil qu’il suscite : accordé en complicité dramatique avec le feu éruptif mais millimétré des instrumentistes du Consort, le mezzo rond, charnu, agile de l’excellente Adèle Charvet offre un nouveau regard sur les passions vénitiennes et vivaldiennes, avec d’autant plus d’audace et d’impertinente justesse que la plupart des airs ici sélectionnés sont des premières mondiales…

 

 

 

 

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