vendredi 29 mars 2024

CD, événement. Compte rendu critique : MOZART, Don Giovanni (3 CD Sony classical, Teodor Currentzis, 2015)

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don-giovanni-teodor-currentzis-cd-sony-classical-VIGNETTE carre review announceCD, opéra événement, compte rendu critique. LE MOZART CARNASSIER, ERUPTIF de CURRENTZIS. Don Giovanni de Mozart par Teodor Currentzis achève la trilogie en provenance de l’Opéra Tchaikovsky de Perm (Russie), dont le chef est directeur musical. Pari réussi pour cette nouvelle gravure qui saisit par son éloquence subtile des nuances, sa fougue générale, la caractérisation très fine des personnages, le jeu en clair)obscur parfaitement maîtrisé du chef, en particulier dans la continuité du cd3 (lire ci après).
C’est la réalisation lyrique la plus attendue de cette fin 2016 : achevant leur trilogie Da Ponte / Mozart, Teodor Currentzis et les instrumentistes de son ensemble « MusicAeterna » redoublent ici de nuances expressives et d’engagement d’une exceptionnelle tenue. Sur un diapason incisif, angulaire à 430 hz, le chef grec livre dans cet enregistrement réalisé à l’Opéra Tchaikovsky de Perm en décembre 2015, soit il y a déjà une année, l’accomplissement le mieux affiné de son cycle mozartien. Tempis fouettés, d’une trempe vorace, carnassière (à la mesure du désir permanent, instinctif, primaire, irrépressible de Don Giovanni, séducteur / félin / prédateur), – écoutez ici la réalisation du Fin ch’han al vino – d’une incontrôlable frénésie de jouissance-, la direction de Teodor Currentzis chez Mozart confirme mais avec plus de cohérence que ses deux précédents (Cosi puis Le Nozze), son art de la ciselure éruptive, émotionnelle, incandescente : forte caractérisation vocale de chaque personnages conçues comme des individualités jamais résolues, et qui semblent même en état d’apesanteur, à l’équilibre jamais certifié sur un tapis instrumental à l’affût de chaque humeur, y compris la plus fugace… ; vitalité parfois martiale et percussive du continuo (avec pianoforte d’une inventivité et d’une présence inédite à ce jour) et de l’orchestre (calibré sur le même diapason délirant poétique). C’est peut dire que le geste acide, affûté, acéré, félin du chef grec rétablit dans une suractivité émotionnelle électrique les décharges érotiques et même sexuelles de la partition ciselée par Da Ponte et Mozart (avec une tenue d’archet qui ne triche jamais mais tranche dans le vif : vertiges et tension progressive du final de l’acte I avec le jeu des masques et en second plan, le viol tenté sur Zerlina couplé à l’hymne à la libertà). Dans cette vision primaire où la force de l’instinct et du désir pirment évidemment sur la raison, le chef sait éclairer comment la présence du Séducteur provocateur trouble tous ceux et toutes celles qui croisent son chemin, comme sa fascinante allure.

 

 

 

Teodor Currentzis achève en beauté sa trilogie Da Ponte / Mozart avec les effectifs de l’Opéra de Perm et son ensemble MusicAeterna…

Don Giovanni éruptif, juste, profond

 

currentzis mozart don giovanni sony classicalTout cela transpire d’expressivité toujours racée, parfois grimaçante. Cette grande maîtrise des champs expressifs multiples, de la tension globale, du relief sculpté, tranchant, vif, de l’orchestre comme des portraits vocaux, atteste d’une vision mûrie, en rien artificielle ni outrageusement creuse : Teodor Currentzis conclut sa trilogie mozartienne Da Ponte avec une classe carnassière plus que convaincante : irrésistible, d’autant que contrairement à ses gravures précédentes (Cosi et surtout Le Nozze di Figaro qui pâtit entre autres de la comtesse indigne et caricaturale de Simon Kermes), le plateau de solistes réuni pour ce Don Giovanni de l’hiver 2015, est en tout point irréprochable. Chacun ici tient sa partie entre maîtrise, mesure et expressivité consciente du grand démon désir. Currentzis signe de toute évidence une partition traitée comme un festival d’éclairs intérieurs, de secousses troublantes qui électrisent l’éros de la musique mozartienne. Sa palette de nuances et de dynamiques à l’orchestre fourmille d’idées, de résonnances, en une richesse d’intonation qui semble libre et parfois improvisée (le violoncelle préludant à Donna Anna dans son premier air avec Ottavio)…

Gourmand, généreux, – et finalement amoureux de Mozart tout simplement, le chef joue tous les airs avec une voracité aiguë, nerveuse, incisive, fusionnant ainsi la version de la création à Prague en 1788, et celle de Vienne en 1788 (boudée par un public bourgeois et plutôt conservateur). Dès l’ouverture, l’action s’inscrit dans une palpitation électrique parfois instable qui exprime cette pulsion du désir, cet érotisme explicitement articulé qui trouble les personnages que le séducteur fascine, et qui électrise d’autant plus l’enjeu de chaque situation : de cepoint de vue c’est le duo du désir progressif Givanni / Zerlina qui en sort renouvelé, ragaillardi au diapason d’un flûte champêtre qui insuffle une ardeur fraîche, inédite. Dans cette lecture des plus vivantes, le couple des barytons (quasiment interchangeables entre Don Juan et son valet Leporello) est très bien cerné : Currentzis souligne la gémellité des deux ardeurs (Don Giovanni auquel rien ne résiste mais que tout lasse déjà ; Leporello qui trépigne à changer de statut, ce dès son premier air : ne plus faire le valet et devenir gentilhomme… ). Dimitri Tiliakos (Don Giovanni) et Vito Pirante (Leporello) jouent astucieusement de ce jeu des masques et des identités en miroir, avec pour chacun d’eux, une fluidité nuancée de chaque instant. Ardente, avançant comme une funambule éprouvée, à la fois portée par l’esprit de vengeance et tout autant le trouble que lui cause toujours Don Giovanni, l’excellente Karine Gauvin habite le personnage d’Elvira, avec une sincérité sensible passionnante ; du duo des « nobles », c’et la Donna Anna de Myrto Papatanasiu qui scintille par la pureté de son émission et la couleur suave de son timbre toujours percutant (le moment de la révélation, quand la jeune femme reconnaît en Don Giovanni le meurtrier de son père et peut-être son violeur est superbement maîtrisé en un récitatif accompagnato d’un superbe abattage puis son air d’une dignité blessée : « Or sai chi l’onore » saisit par son intensité hallucinée. C’est bien Anna avec Elvira qui ont démasqué dans horreur prégnante la séduction vénéneuse de leur maître : Don Giovanni (un moment dramatiquement fort). L’Ottavio du ténor Kenneth Tarver ne partage pas l’éloquence fine de ses partenaires : plus affecté, moins stable dans l’émission, souvent maniéré (las, Dalla sua pace met en lumière son fragilité dans la justesse, son manque de legato, un souffle court et des aigus incertains. Dommage car la sensibilité et la juvénilité font valoir la tendresse du personnage). Christina Gansch fait une Zerlina agile, moins farouche et naïve que l’on entend habituellement).

 

 

gauvin karine elvira dans don giovanni de teodor currentzisSUBLIMES ELVIRA ET ANNA… L’écoute attentive du cd3 montre à quel point ce qui n’aurait pu n’aitre qu’une lecture percutante par sa vivacité générale, sait aussi approfondir en vertiges introspectifs superlatifs l’évolution des individus dont Mozart offre un sublime portrait : ainsi la dernière partie est indiscutablement dominée par deux sphères émotionnelles qui s’exaltent par effet de contrastes : d’une ôté le cynisme à l’oeuvre du Séducteur indécent et son acolyte Leporello, de plus en plus fusionnés par leurs timbres réellement interchangeables (le timbre plus tendre de Vito Priante – portrait ci dessous à droite) en Leporello, proche d’un Figaro, nuance ce jeu des troubles); de l’autre, la vérité des femmes, victimes du grand hypnotiseur des cœurs : d’abord, la très convaincantes Elivra de Karina Gauvin, – efficace, économe, sobre, atteignant une exceptionnelle intensité sentimentale à laquelle la tenue exceptionnelle de l’orchestre, d’un souffle philosophique (Mi tradi) : Mozart sonde et révèle l’âme de son héroïne, la seule qui souffre, palpite, exprime le trouble existentielle de l’amour. Puis c’est comme une résonance empathique, l’air de Donna Anna – non moins subtile Myrto Papatanasiu, sublimant sur le même registre sa langueur extatique, handicapante (Non mi dir, bell’idol papatanasiu mytro anna dans don giovanni de teodor currentzis review critique cd classiquenewsmio): elle aussi souffre mais de façon inconsciente (a contrario d’Elvira) de cette fascination qu’exerce Don Giovanni sur son coeur. Les deux sopranos brossent deux portraits de femmes, victimes de l’amour, qui frappent par leur vérité. Et là encore, le geste du chef sculpte cette langue sensible et prodigieusement juste avec une écoute intérieure qui éclaire le style d’un Mozart alors, néoclassique et définitivement romantique. Pour ses deux airs, magistralement énoncés (avec pianoforte à la délicate complicité), la vision mérite le mérite accueil. Même l’Ottavio du ténor Kenneth Tarver (hier Ferrando dans le Cosi fan tutti précédent du même Currentzis) se bonifie dans ses récitatifs (et dans le dernier duo avec Anna d’une blessure infinie) : plus soutenus, mieux articulés.

 
 

tiliakos dimitri don giovanni pour teodor currentzis review critique cd classiquenews dimitris+tiliakos-0La confrontation avec la statue du Commandeur, et avant la pulsion formidablement ivre des préparatifs pour le dîner décisif (où le Don Giovanni de Dimitris Tiliakos – portrait à gauche) brille par sa surenchère cynique très bien articulée) sont du meilleur effet ; et le dernier chœur des solistes, lieto final dont on sent bien la fragilité, comme la profondeur des dégâts réels dans l’âme de ses victimes après la mort du Séducteur, souligne encore l’irrésistible cohérence du plateau vocal. Certainement la meilleure distribution réunie par Currentzis qui a bien eu raison d’enregistrer la totalité de la priante vito leporello don giovanni teodor currentzis vito-priante1partition une seconde fois, quitte à retarder la parution du coffret discographique final. Le résultat est là : mordant, vivant, exaltant à la mesure d’un Harnoncourt, en ses heures de défrichement visionnaire. D’une âpreté subtile, d’une verve expressive qui nous rappellent les réalisations des premiers baroqueux en leurs heures régénératrices. Superbe Don Giovanni qui conclut avec intelligence et pertinence la trilogie Currentzis, globalement captivante. Souhaitons que dans un avenir proche, Sony réédite les 3 opéras Da Ponte / Mozart ainsi relus par l’un des chefs les plus intéressants, en un coffret unique.

 
 
 

CLIC D'OR macaron 200CD, événement. Compte rendu critique : MOZART, Don Giovanni. Dimitri Tiliakos (Don Giovanni), Vito Pirante (Leporello), Donna Elvira (Karina Gauvin), Donna Elvira (Myrto Papatanasiu), Christina Gansch (Zerlina), Guido Loconsolo (Masetto)… MusicAeterna. Teodor Currentzis, direction. 3 cd Sony classical : enregistrement réalisé à l’Opéra Tchaikovsky de Perm, en novembre et décembre 2015. CLIC de CLASSIQUENEWS de novembre et décembre 2016. Cadeau idéal pour les fêtes de fin d’année 2016. Parution annoncée : le 4 novembre 2016.

Illustrations : Teodor Currentzis et sa formidable distribution de solistes…

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