CD, événement, compte rendu critique. Chopin : Polonaises. Pascal Amoyel, piano (1 cd La Dolce Volta). Le geste et la pensée de l’interprète réalisent le chemin intérieur le mieux conçu, et d’une certaine façon apporte la preuve du Chopin à la fois véhément, et aussi tendre, mais toujours superbement LIBRE. Danse proche de la marche, chacune des 7 Polonaises ici magistralement choisies et agencées, assume crânement cette parenté affirmative, brillante et pleine de panache affiché, puis bascule en éclairs plus graves et sombres ou jaillit la tragédie intime du compositeur pianiste.
Parmi nos préférés, c’est à dire les Polonaises qui expriment un accomplissement de la pensée de l’interprète (non de sa seule technicité), l’Opus 26 n°1 invite au tout début à un voyage introspectif où l’on comprend que ce qui se joue relève immédiatement du salut de l’âme : comment se sauver soi-même, Chopin l’expatrié se pose la question ; amorcée en accords secs et même de façon véhémente, la première Polonaise abandonne tout artifice extérieur et bascule peu à peu dans la douceur rêvée, comme si Chopin d’un traumatisme secret, d’abord énoncé furioso, organisait et réécrivait l’histoire en un épanchement maîtrisé, personnel, intime mais dont la sûreté s’affirme nettement, en particulier dans la réitération reconstructrice de la fin. Tout cela crépite et semble imploser en apparence, mais construit allusivement une cohérence intérieure que le pianiste a totalement compris et même qu’il semble vivre totalement au moment de l’enregistrement. Comme un volet fraternel, l’autre face d’un même épisode, l’Opus 26 n°2, fait couler un métal en fusion plus âpre et moins apaisé, rugueux et d’une amertume qui ne se cache pas.
Polonaises enivrées, sublimées
Pascal Amoyel exprime le chant furieux et tendre d’un Chopin expatrié en quête de liberté et d’harmonie
L’opus 44, Polonaise la plus longue (soit plus de 10 mn) fait éclater littéralement le cadre en une forme libre proche de la fantaisie : miroir des affects conquérants et aussi destructeurs, toute la furia tendre de Chopin s’exprime ici en arêtes vives. Piano orchestre et piano orgue aussi par une série de plus en plus revendicatrice, – par ses suites de batteries interrogatives et affirmatives, exprimant la volonté de tout recréer pour que jaillisse intacte, la pure innocence d’un cœur attendri : la volubilité du pianiste enchante littéralement dans ces passages entre épanchements et chant de victoire. Dont tous les parcours et méandres affirment haut et fort la souveraine liberté d’un esprit qui a su s’affranchir de ses entraves, Chopin, l’exilé volontaire, acteur de son destin.
D’une conscience supérieure et sur le plan formel, d’une audace créative plus inventive encore, l’Opus 53 est peut-être la plus proche de la grande fabrique alchimique de Liszt : vertigineuse et échevelée : c’est aussi l’histoire d’une conquête, gagnée après des efforts colossaux et opiniâtres. Pascal Amoyel en traduit les tensions contraires, les pulsions contradictoires dont le heurt et les frottements produisent les étincelles de la vie.
Fin de parcours. L’opus 61 traverse toutes les formes pour atteindre un autre espace temps, jouant sur la résonnance d’un piano grand questionneur : tout le début est un questionnement intime intérieur, d’une profondeur ample et vaste : la collection de souvenirs rétrospectifs que Chopin agence alors gagne une éloquente clarté sous les doigts agiles, allusifs du pianiste ; le rythme de la polonaise n’étant alors qu’un éclair, un jaillissement fugace pour électriser un matériau sonore qui se réinvente à mesure qu’il s’écoule, basculant peu à peu vers le chant d’une grande harpe rassérénée, vers un pur esprit de renoncement ; les changements incessants de rythmes et d’harmonie conduisent vers l’inconnu, l’espace au delà du son, derrière le sonore (frémissement annonciateur et suspendu du carillon à 10mn). La douceur étale, simple, naturelle du pianiste, -a contrario de tous ses confrères : son dépouillement sincère, touchent à l’essentiel. Quelle justesse, quelle vérité.
D’une filiation secrète intime, – un hommage à la mémoire de son grand père né polonais, Gerszon-Wolf Kartowski, le pianiste Pascal Amoyel signe l’un de ses disques les plus aboutis. Un témoignage tracé par un coeur sincère, un style sans calcul : pas l’ombre d’un effet car tout y coule comme la pensée intime d’une âme qui se libère peu à peu au fil des Polonaises. Une à une chaque entrave se rompt puis s’efface. La musique s’accomplit.
CD, compte rendu critique. Chopin : Polonaises. Pascal Amoyel, piano (1 cd La Dolce Volta). 7 Polonaises opus 20, 40, 44, Polonaise-Fantaisie opus 61. Enregistrement réalisé à Paris en avril 2015 — 1 cd La Dolce Volta. Lire l’excellent livret notice accompagnant le cd (entretien avec Pascal Amoyel à propos de Chopin). CLIC de classiquenews de mai 2016
VOIR notre reportage vidéo : POLONIA, le nouveau disque de Pascal Amoyel