L’ensemble fort en contrastes « Il Caravaggio » (le bien nommé : Caravage fut à Rome le maître inégalé du clair-obscur révélateur des vertiges intérieurs), dirigé par Camille Delaforge, ressuscite ici la force dramatique de deux cantates françaises méconnues. Un travail de défrichement remarquable qui met en lumière le profil de deux héroïnes tragiques et dignes : Clorinde et Lucretia / Lucrèce.
Sans la machinerie, sans la profusion des voix – choeurs et soliste, ni les mouvements des danseurs, ni l’orchestre flamboyant, la cantate pour voix seule regorge en réalité d’accents convaincants que les interprètes abordent avec sensibilité et nuances ; ils accordent à chaque éclairage psychologique, l’attention juste qui rétablit ce flux dramatique où brillent la force et la finesse des passions et des sentiments successifs. Bornant les années 1720, les deux partitions ainsi révélées, soulignent l’essor vocal en France après le règne de Louis XIV. L’ensemble Caravaggio très inspiré par les sources du Tasse et de L’Arioste, et dans le sillon des poètes dramaturges dont Danchet, affirme une identité musicale, instrumentale et vocale de première valeur. Relief du continuo (qui ici vaut bien des orchestres fournis), attention des chanteurs aux sens du texte tout coopère et s’accorde, faisant des séquences de somptueuses miniatures lyriques et dramatiques.
Armide, Clorinde, Lucretia, Procris…,
tragédie, sacrifice,
combat et guerre d’amour…
Les nouvelles héroïnes
révélées par l’ensemble Il Caravaggio
Sans décors ni costumes, le geste musical se concentre sur l’intensité du texte, la langue musicale ciselée de Louis-Antoine Dornel (ca 1680 – 1757) pour Le Tombeau de Clorinde (1723), et de Michel Pignolet de Montéclair (1667 – 1737) pour La morte di Lucrecia (qui reste son ultime cantate / Livre III, 1728).
Le plus méconnu, Dornel réinvente en réalité le cadre de la cantate, avec une rare pertinence comme un écho personnel et original au Tancrède de Campra (1702) : c’est ici par la somptueuse voix de basse-taille (baryton / Guillaume Worms) que s’exprime Argant, amant écarté de Clorinde (dans le roman source La Jérusalem délivrée du Tasse) et qui agit comme « l’historien », c’est à dire le narrateur. Les 3 airs offrent une incarnation passionnante à suivre, celle d’un amoureux éconduit qui aime toujours celle qui est désormais morte au combat ; où le désir intact se fait chant guerrier : l’ardeur au combat s’assimilant à l’acuité du sentiment amoureux.
La Lucretia de Montéclair : avant de triomphé à l’Opéra avec sa Jephté de 1732, permet au compositeur, contrebassiste à l’Opéra, d’affirmer une autre modulation dans l’originalité ; c’est un long monologue pour voix seule, tragique, pathétique avec sa morale finale (le dernier récitatif). Italien dans le style (et la langue), Montéclair offre lui aussi une somptueuse opportunité pour la chanteuse (ici Victoire Bunel), d’incarner l’héroïne romaine, épouse du futur consul Collatinus, Lucretia, violée par le fils du roi, Tarquin. Digne, Lucretia se donne la mort plutôt que survivre à la honte et au déshonneur. Montéclair analyse et interroge le vertige qui déchire son héroïne, entre sa résolution à mourir et le regret de quitter ce qu’elle a aimé. Le point culminant de ce parcours tendre et sombre à la fois, est le dernier récitatif funèbre, dont la gravitas pergolésienne indique le tempérament opératique de l’auteur, digne serviteur de celle qui même morte, demeure victorieuse au Capitole.
En complément à cette fabuleuse galerie de portraits féminins, Camille Delaforge ajoute divers extraits de Lully (Ballet des amours déguisés, 1664) et d’Elisabeth Jacquet de la Guerre (Céphale et Procris, 1694) éclairant davantage encore par comparaison, l’éclat hautement dramatique des cantates ainsi réévaluées. Au plaisir de la découverte, les musiciens d’Il Caravaggio, ajoutent l’argumentation d’interprètes très convaincus, engagés dans un programme aussi original que cohérent. Prochaine critique à venir.
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CD événement. Héroïnes : Ensemble Il Caravaggio / Camille Delaforge – 1 CD Château de Versailles Spectacles – Collection La Chambre des Rois n°10 – ref. : CVS090- Enregistré au Château de Versailles en déc 2021 (Salle Marengo) – Cantates et Symphonies de Lully, Jacquet de la Guerre, Montéclair, Dornel, Grandval… Victoire Bunel · Anna Reinhold · Guilhem Worms / Ensemble Il Caravaggio / Camille Delaforge – Clavecin & direction. CLIC de CLASSIQUENEWS été 2023
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TEASER VIDÉO : HÉROÏNES, Cantates françaises | CD – Label Château de Versailles Spectacles :