CD. Desperate heroines. Sandrine Piau chante Mozart (1 cd Naïve). Maniant son timbre cristallin de soprano coloratoure, Sandrine Piau affirme ici ses dons de mozartienne : élégantissime, racée, avec ce fil vocal funambule qui allie fragilit, hypersensibilité, et toujours rayonnante musicalité. Son chant émotionnel souligne combien à la suite d’un Rameau dont elle fut une belle Telaïre de concert sous la baguette récente de William Christie, entre imploration et sincérité incandescente, voici notre soprano suprêmement mozartienne, indiquant combien Wolfgang est le musicien du cœur, et du cœur féminin. Après les vertiges inquiets de Barberine des Noces, sa Donna Anna a toutes les grâce de l’amoureuse blessée, en extase implorante : tout prépare ainsi à sa Susanne, ciselée dans, là aussi, une incandescence d’un sentiment pur naissant, en son émoi nocturne : l’amour jaillit avec une sincérité pudique irrésistible. Rien que pour ce « Giunse alfin il momento… » et l’air d’accomplissement » Deh vieni…no tardar » d’une jeune épouse ravie par un trop plein de bonheur, le disque mérite tous les suffrages. Dommage cependant que l’orchestre et le chef soient souvent si prosaiques.
lumineux désespoirs de Sandrine Piau
La Finta Giardiniera est un opera moins connu mais d’un réalisme émotionnel hors normes qui laisse auditeurs comme interprètes démunis, détruits, déconcertés tant dans les deux airs de Sandrine ici sélectionnés, dont surtout le second du II » Crudeli, oh dio! « , Mozart peint avec une tendresse et une violence inédites, la panique des sens, la désespérance d’une femme amoureuse aux abois… la justesse et la sensibilité de Sandrine Piau éblouissent. Le chant est étincelant, lançant des traits précis, ardents et eux aussi désespérés dans le sublime pathétique : un modèle de chant senti, stylé, d’une simplicité désarmante si proche du cœur. L’air dIlia d’Idomeneo, » Se il padre perdei » est le vœu loyal d’une fille aimante et tendre : c’est pourtant elle qui sauvera le héros d’un destin tragique. Un cœur pur encore capable d’un dépassement unique : une préfiguration d’Alceste. Mais là encore quel désaveu de la part de l’orchestre : terne, éteint quand la cantatrice brille d’un diamant vocal décidément flamboyant, brûlant par des traits intérieurs d’une intensité fulgurante : un véritable instrument vocal.
En épouse fidèle souhaitant mourir là où son aimé s’est effondré, « La Piau » n’est pas mal non plus : sa Giunia de Lucio Silla saisit par son expressionnisme lacrymal, pourtant sans aucun effet maniéré. L’éclat intérieur du timbre, sa stabilité, son legato infaillible, le sens de la phrase, l’intonation, … tout est d’une grande diseuse, d’une tragédienne mesurée, capable de souplesse et de volubilité expressive. Mais là encore, l’épaisseur des cordes, leur sonorité grasse sont définitivement démenties par tous les orchestres sur instruments d’époque. On rêve accordé à un tel tempérament à ce qu’aurait offert comme tapis instrumental palpitant, Nikolaus Harnoncourt.
Belle conclusion que celle d’Il Re pastore dont l’air d’Aminta, le plus beau tissé dans la tendresse la plus exquise celle de l’amant fidèle, que son amour enfin apaisé conduit au bonheur et à la paix tant espérés : une béatitude bienvenue après tant de tourments et de passions magnifiquement exprimés.
La musicalité instrumentale de la diva Piau, ici sublime mozartienne, rend ce nouvel album nécessaire, incontournable : un modèle d’intelligence vocale. Son équation gagnante : simplicité, pureté, intensité et précision. Toutes les chanteuses mozartiennes devraient en tirer leçon. D’urgence.
Desperate heroines. Sandrine Piau chante Mozart : Barberine, Anna, Ilia, Suzanne, Giunia…
1 l’ho perduta, me meschina | Le nozze di Figaro
2 non mi dir | Don Giovanni
3 geme la tortorella | La finta giardiniera
4 pallid’ombre | Mitridate, re di Ponto
5 deh vieni non tardar | Le nozze di Figaro
6 crudeli, oh dio! fermate… ah dal pianto | La finta giardiniera
7 se il padre perdei | Idomeneo
8 frà i pensieri | Lucio Silla
9 l’amero | Il re pastore
Sandrine Piau, soprano
Mozarteum orchestra Salzburg
Ivor Bolton, direction
CD. Desperate heroines. Sandrine Piau chante Mozart (1 cd Naïve)