CD critique. RENEE FLEMING : LIEDER. Brahms, Schumann, Mahler (1 cd DECCA 2010, 2017). Comtesse Madeleine de rêve, ou Maréchale extatique, enivrante, Renée Fleming, « double crême » n’a cessé de captiver chez Richard Strauss. Alors qu’on la croyait silencieuse, depuis ses adieux à la scène lyrique, – quoiqu’encore active dans le registre du cross over et de la comédie musicale…, la revoici… en cantatrice classique et en diseuse, dans le lied germanique, celui de Brahms et surtout Mahler.
Les lieder ici résument le geste actuel, l’état de la voix d’une superdiva propre aux années 2000. Brahms – Schumann – Mahler sont astucieusement abordés et dans le bon ordre, avec un tact et une élégance, faite sobriété et nuances. Le jeu du pianiste Hartmut Höll, accompagnateur reconnu de son épouse diseuse Mitsuko Shirai accrédite la valeur et la réussite du récital de dame Renée. Voix lyrique, l’américaine aborde Brahms et Schumann avec une classe et une intensité d’opéra, sans pourtant lisser ou atténuer l’impact du texte.
La justesse de l’intonation, le style toujours aussi raffiné et nuancé (même si la voix n’a plus ni l’aisance ni le mordant d’antan), cette maîtrise des couleurs et de la ligne, ce goût de la caractérisation hyperféminine (une qualité qu’elle partage avec les plus grandes : Callas, Norman, et actuellement Netrebko) font le prix de ce programme pas si intimiste que cela. S’il n’était le murmure ciselé et sobre du piano… qui équilibre ainsi la prestation théâtrale de la diva. L’ambivalence des pièces pseudo populaires et simples de Brahms est comprise : celle qui fut les plus grandes héroïnes de Strauss ou Massenet (l’angélique mais tendre Manon et surtout Thaïs la transfigurée) caractérise, habite, éclaire de l’intérieur, chaque séquence ; par sa fragilité sirupeuse, par son mordant facétieux aussi. Voilà qui casse la sophistication parfois maniériste d’une Schwarzkopf (qui a chanté les mêmes héroïnes straussiennes). Le velouté et la chair de Fleming contre la musicalité abstraite de son aînée.
Belle réalisation au piano donc, mais aussi à l’orchestre pour les Rückert lieder de Mahler, ici restitués comme à leur création en 1905, avec l’orchestre (Philharmonique de Munich) sous la direction de Christian Thielemann : gorge en extase et souverainement colorée, chaude, ronde, voluptueuse, aux couleurs félines voire crépusculaires, « La » Fleming enivre et envoûte, dans les 5 lieder d’un Mahler plus sensualisés que jamais… straussiens. Pas sûr que le contemporain de Strauss aurait ainsi apprécié une telle « contamination / recoloration » ; mais l’expertise et l’éloquence de la diva assure la pleine cohérence poétique de l’opération. Convaincants défis d’une fin de carrière décidément surprenante.
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CD critique. RENEE FLEMING : LIEDER. Brahms, Schumann, Mahler / Hartmut Höll (piano), Orchestre philharmonique de Munich, dir. Christian Thielemann (Rückert-Lieder) – Decca 2010, 2017 – 483 23357. 1h
Johannes Brahms
Wiegenlied, op. 49, n° 4
Ständchen, op. 106, n° 1
Lechengesang, op. 70, n° 2
Mondnacht, WoO 21
Des Liebsten Schwur, op. 69, n° 4
Die Mainacht, op. 43, n° 2
Du unten im Tale, WoO 33, n° 6
Vergebliches Ständchen, op. 84, n° 4
Robert Schumann
Frauenliebe und leben, op. 42
Hartmut Höll, piano
Gustav Mahler
Rückert-Lieder
Renée Fleming, soprano
Orchestre philharmonique de Munich
Christian Thielemann, direction