CD, compte rendu critique. Piazzolla : Une histoire de tango (Héau, Roggeri, 1 cd Klarthe, 2015). Ce qui captive chez Piazzolla c’est le génie des mélodies suaves, nostalgiques et le sens de la danse et du rythme. C’est aussi une atténuation très subtile de l’énoncé expressif qui évite le pathos comme l’excès démonstratif pour in fine, exprimer la sensation intérieure et l’écoute introspective. A l’échelle de cette carte poétique spécifique, l’accord chambriste des deux solistes ici réunis par le label Klarthe records porte ses fruits associant très judicieusement une pianiste argentine (consœur donc du grand Astor) et un clarinettiste français, dédicataire créateur de partitions contemporaines majeures comme Le Chant des ténèbres ou Chorus de Thierry Escaich, ou le Concerto pour clarinette de Philippe Hersant… les deux partenaires s’étaient déjà retrouvés, autour des mélodies du compositeur argentin Carlos
Guastavino. Marcela Roggeri et Florent Héau dessinent la fluide arche lyrique intérieure et résolument nostalgique d’Oblivion (plage 1) ; puis le plus chaloupé (Adios Nonino), guilleret, et presque enivré qui met en avant la capacité du clarinettiste à caractériser et colorer une séquence qui passe de l’exaltation à la tendresse. D’une calme torpeur caressante, alliant amertume et pudeur blessée, Milonga del ángel (comme doucement enivré) renforce le très sensible accord de la clarinette avec le piano remarquablement articulé et suggestif de Marcela Roggeri. D’ailleurs, la ductilité suggestive de la pianiste s’impose tout au long de l’album, soulignant sa dextérité rare qui diversifie les effets et parties du clavier selon les épisodes et les morceaux : purement mélodique, précisément rythmique, surtout enveloppant et envoûtant tel un nimbe harmonique, résonant comme un petit orchestre. La participation délicate de l’Argentine est toujours aussi remarquable en terme d’intelligence musicale. Jamais tapageuse, toujours dans la suggestion des choses comme l’enrichissement feutré / ciselé des climats.
Bordel 1900 affirme une nouvelle brillance plus explicite et déterminée ; qui exige de l’instrument un jeu à la fois percussif et agile, plein de caractère. De fait rien à voir avec les vapeurs plus éthérées et le parfum d’une langueur plus insaisisable de Café 1930… épisode social, très parisien : encore la preuve de l’inspiration de Piazzolla quand il s’agit d’évoquer l’ambiance et l’urbanité françaises, spécifiquement parisiennes.
Rêves intérieurs, complicité élective : Piazzolla da camera
Plage 8, fleuron de l’inspiration de Piazzola, l’Ave Maria qui vient d’être abordé par le violoncelliste Christian-Pierre La Marca (transposition remarquable du compositeur et guitariste Samuel Strouk) dans son excellent album titre CANTUS, CLIC de classiquenews de mai 2016, s’impose ici aussi par son opulence secrète d’une absolue pudeur, caractère que relève le clarinettiste avec une belle sensibilité, à la fois rêveuse et lointaine, comme subtilement absente. Aucun doute, la mélancolie Piazzollienne est toute entière recueillie dans cette mélodie de presque 6mn dont l’instrument à anche souligne par ses couleurs empruntées / inspirées du bandonéon surtout, la vocalità souple et veloutée.
A travers le parcours du programme entier, on note la superbe gradation, progressivement, dans les replis de l’âme pensive, divagations de plus en plus introspectives, précisément dans les deux derniers épisodes, lesquels déploient une suggestion magicienne, toute enivrée : Milonga en ré, surtout Aire de la zamba niña, dont l’apaisement affectionne presque la fluidité d’une berceuse… La complicité de plus en plus convaincante et séductrice des deux instrumentistes visiblement dans le même esprit… d’une évanescence légère, délicieusement chaloupée, éclaire ce que le trop court texte d’introduction, – et presque sybillin, évoque avec justesse : l’émotivité affleurante d’un Piazzolla chambriste, aux secrets enfouis (intimes?), plutôt dramatiques. L’entente des deux solistes, – la pianiste sur son seul clavier ; le clarinettiste changeant d’instruments selon le caractère de chaque pièce-, gagne peu à peu en économie, intensité, profondeur. Accord total, rêverie croissante. Donc CLIC de CLASSIQUENEWS.
CD, compte rendu critique. Piazzolla : Une histoire de tango (Florent Héau, clarinettes – Marcela Roggeri, piano) — enregistré à Paris en mars 2015 / 1 cd Klarthe 015 — durée : 54 mn. CLIC de CLASSIQUENEWS de juin 2016.