CD, compte rendu critique. Leclair : Scylla & Glaucus (d’Hérin, 2014, 3 cd Alpha). Sommet du tragique baroque français, Glaucus de Leclair (1746) affirme au côté de Rameau un génie dramatique puissant qui s’affirme surtout par le souffle symphonique de la partition : qu’il s’agisse de l’imprécation infernale de Circé dans le IV, surtout de la mort bouleversante de Scylla au V puis l’adieu déchirant des amants qui en découle (et qui impose le triomphe final de l’enchanteresse écartée), tout conspire pour l’émancipation exceptionnelle de la texture orchestrale car or de tout prétexte chorégraphique, l’orchestre nouvellement sollicité exprime la grandeur spectaculaire des éléments ou l’intensité tragique et sombre des situations psychologiques. Une telle dramatisation contrastée, resserrée, d’une cohérence impressionnante relève d’un cerveau supérieur. Cette esthétique d’une modernité folle et impétueuse affirme Leclair comme le seul rival de Rameau. C’est dire.
Et si Scylla et Glaucus de Leclair était un chef d’oeuvre mésestimé ?
Scylla et Glaucus, l’opéra tragique et symphonique
Que pensez de l’interprétation offerte à l’Opéra royal de Versailles en novembre 2014 ? Hélas, le déséquilibre de la réalisation n’est pas à la hauteur de ce chef d’oeuvre absolu, incroyablement ignorée des salles de théâtres (comme c’est le cas aussi des opéras du génial mais minoré Rameau).
Saluons cependant le geste impétueux et intensément dramatique du chef des Nouveaux Caractères : la tenue des instruments se montrent à la hauteur d’une partition symphonique ; en cela la lecture mérite un très bon accueil : les ballets sont finement enlevés et vifs ; les interludes, ouverture, préludes sont intensément suggestifs. On sera nettement plus réservés sur le travail du chœur (mou et parfois décalé). De même le plateau vocal ne déploie pas les mêmes qualités. Déception constante pour la Circé de Caroline Mutel : trop lisse et linéaire dans la caractérisation des épisodes, aux aigus mal tenus, vibrés, tirés, difficiles, souvent faux. Quel dommage car son rôle est l’un des plus captivants et noirs du théâtre baroque : figure emblématique des personnages à baguettes, sorcière amoureuse pleine de haine et de ressentiments, une entité entre la Cybèle d’Atys, et les futures Médée ou Armide brossée par Sacchini ou Cherubini, quarante ans plus tard. Mieux tenu le rôle en opposition avec la chaste et pure Scylla aurait renforcé l’attrait de cette version : et dans ce rôle, même si son intonation trouve de superbes accents sombres et prenants dans qu mort au V, Emöke Barath déçoit elle aussi car son français est paresseux et aléatoire: une faute impardonnable pour une nouvelle lecture de Leclair.
Reste le Glaucus bien articulé du ténor Anders J. Dahlin, toujours chantant et placé quoique parfois sonnant petit, serré voire précieux. Mais les petites défaillances ainsi relevées n’empêchent pas de repérer ici une partition époustouflante, prenante, littéralement géniale, si bien équilibrée entre les registres développés (pathétique, tragique, spectaculaire, fantastique). Un modèle d’opéra français à l’époque baroque que les défenseurs actuels et leurs programmateurs devraient replacer sous les projecteurs. Saluons donc l’audace des Nouveaux Caractères de rétablir la place et la valeur d’une oeuvre ailleurs écartée, somme somptueuse d’un auteur de 49 ans (que l’ont dit à juste titre fondateur de l’école française de violon), en son unique et splendide opéra.
CD, compte rendu critique. Leclair : Scylla & Glaucus (Sébastien d’Hérin, 2014, 3 cd Alpha)