vendredi 19 avril 2024

CD, compte rendu critique. HEROLD: Le Pré aux clercs (McCreesh, 2015 – 2 cd Ediciones Singulares / Palazzetto Bru Zane)

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herold-ferdinand-herold-le-pre-aux-clercs-portrait-symphonie-n2-classiquenewsCD, compte rendu critique. HEROLD: Le Pré aux clercs (McCreesh, 2015 – 2 cd Ediciones Singulares / Palazzetto Bru Zane). Malgré les faiblesses criantes de l’interprétation (lire ci après, en particulier du côté des femmes), l’enregistrement édité début novembre 2016, dévoile le génie d’un Romantique français de premier ordre : rossinien, et déjà précurseur d’Offenbach et de Massenet, Hérold éblouit par sa grâce dramatique, son intelligence et son style, sa finesse et son éloquence. C’est une recréation majeure d’où notre CLIC découverte.

Dans le texte, il est légitime d’enregistrer aujourd’hui, l’un des ouvrages du genre opéra-comique parmi le plus célèbres, et surtout les plus joués jusqu’en 1949 (!) : 1608 représentations en 117 ans, c’est à dire 1 représentation par mois en moyenne : un palmarès qui place Le Pré aux clercs au même rang populaire que Carmen, Mignon, La Dame Blanche. C’est dire. D’autant qu’historiquement au moment de sa création salle Favart le 15 décembre 1832, la partition obtenant un immense succès, confirmait le génie si prometteur du jeune Hérold, hélas crachant le sang, éteint trop tôt ; Le Pré aux clercs redorait même le blason d’une boutique décrié, atteinte dans ses fondations par un manque de succès notables. On est pas loin d’affirmer documents à l’appui que ce Pré aux clercs a sauvé l’institution.

herold-ferdinand-louis-portrait-620Ici l’élégance et le raffinement apportés au genre comique dépasse toute attente : quadragénaire pourtant condamné, Hérold fut l’homme de la situation et admiré par Berlioz, qui soit dit en passant n’écrivit pas la charge dépréciative contre Le Pré à sa création dans le Journal des Débats : c’est un certain Janin, qui se démasqua 37 ans plus tard… en 1869. Berlioz est stylistiquement proche de Hérold : tous deux vénèrent particulièrement le même maître, Méhul (qui fut le professeur de composition d’Hérold au Conservatoire).

HEROLD, L’HOMME DE LA SITUATION. L’époque est une période de crise. Et aux côtés de l’incontournable Rossini, Hérold affirme nettement ce coloris français qui scintillera désormais à l’Opéra-Comique. Le ton est résolument léger : s’inspirant d’un texte historique de Mérimée (Chronique du règne de Charles IX, 1829). L’époque est depuis la préface de Cromwell de Victor Hugo (1827 : appel à revisiter les siècles passés en un regard historiciste nouveau), esthétiquement gothique ou Renaissance (on ne distingue guère précisément les deux tendances alors), contemporaine des Huguenots de Meyerbeer (Opéra de Paris, février 1836). Le Pré aux clercs qui désigne un quartier du Paris, Renaissance, près des remparts de Philippe Auguste, à deux pas du Louvre, ressuscite la Cour des Valois, au Louvre justement.
Ceci étant posé, voici donc un ouvrage majeur dans l’histoire du genre opéra comique et qui atteste d’un soubresaut salvateur à l’époque du Romantisme français, c’est à dire en ces années 1830, foyer crucial pour l’émergence des esthétiques européennes : d’autant que que si Paris est une place essentielle pour la création lyrique (Guillaume Tell de Rossini est créé à l’Opéra de Paris en août 1829), le romantisme italien est florissant, – accomplissant plusieurs ouvrages miraculeux dans le style bel cantiste, avec dans le sillon du même Rossini et de Bellini, Donizetti qui va bientôt créer sa somptueuse et sidérante Lucia di Lammermoor en 1835. Achevé après Zampa, premier jalon révélateur, Le Pré aux clercs fixe les règles originales d’un sommet musical et dramatique, volet désormais essentiel du genre « Troubadour » (néogothique).

 

 

 

En 1832, HEROLD signe le renouveau salvateur de l’Opéra comique français. Le Pré aux clercs est son testament artistique…

Entre Rossini et Offenbach, Hérold, un génie lyrique ressuscité

 

Harold inscrit son action 10 années après la saint-Barthélémy, en 1582, alors que Henri III règne sur un état divisé par les questions religieuses (huguenots protestants contre catholiques papistes, soit comme il est dit dans le livret « Genève contre Rome »). Au Louvre, la reine Margot, épouse du Roi de Navarre (l’hériter en titre), incarne un semblant de raffinement et de stabilité politique alors que s’imposent à tous en vérité la violence et l’affrontement des orgueils virils, en particulier par le rite du duel (incarné par la fine lame, le catholique Comminge). Les intrigues amoureuses contrepointent une action où s’affirment le chant et la loi des épées : tout converge vers l’acte III, où le catholique Comminge (partisan du Roi Henri III) affronte en duel le protestant Mergy (ambassadeur du Roi de Navarre), les deux étant rivaux, faisant une cour assidue auprès d’Isabelle, qui n’aime en vérité que Mergy, – mais qui doit sur ordre royal, épouser plutôt Comminge. Au III, au Pré aux clercs, a lieu le duel attendu : après une série de quiproquos, dont le corps de la victime passant sur une barque, faisant défaillir la pauvre Isabelle, c’est le protestant Mergy qui triomphe : il pourra rejoindre avec son aimée (en fait sa femme car il a épousé Isabelle grâce à la protection de Marguerite de Valois), la Navarre, refuge assuré pour lui et sa compagne.
Efficace, trépidante même, et d’une suave élégance, la partition d’Hérold séduit de part en part, en particulier dans l’évocation de la Cour du roi au Louvre (bal du II où c’est Marguerite, la Reine Margot qui tire les ficelles des intrigues, surtout amoureuses) ; puis au III, dans le fameux duel qui lieu face au Louvre et qui voit la victoire final du parti de Margot, celui de l’amour incarné par le couple Isabelle et Mergy. La facétie et la subtilité du compositeur s’affirment nettement dans les ensembles.

herold le pre aux clercs cd review cd critique classiquenews CLIC decouverte novembre 2016 cd livre palazetto bru zane ediciones singulares cd 2 cd classiquenews 51TgZ-p3VlL._SS500Que vaut cette lecture ? On regrette nettement le choix d’un orchestre épais et parfois lourd, certes engagé et vif mais qui est très réduit sur le plan de la finesse des nuances et la palette des dynamiques ; l’absence des instruments d’époque, qui sont pourtant florissants en France, au nombre des orchestres et ensembles capables de relever actuellement un tel défi (l’orchestre d’Hérold vaut largement celui de Bizet, Berlioz et celui de son maître Méhul, sans omettre évidemment la source directe rossinienne et sa verve à la clarinette entre autres…) : il reste surprenant voire déconcertant que les initiateurs de cet enregistrement destiné à durer, n’aient pas choisi le bénéfice des instruments historiques s’agissant d’une partition aussi raffinée. De même le choeur souvent en décalage, pas réellement au format linguistique requis, patine… en une intelligibilité aléatoire. Dommage.


DESEQUILIBRE DU PLATEAU. Il nous reste le style et l’intention des solistes. Le moins que l’on puisse reconnaître c’est le déséquilibre néfaste de la distribution… Pas vraiment crédible le timbre vieux, pincé, style vieille France de Michael Spyres, certes articulé dans le rôle de Mergy (vrai héros de l’action, et dans les dialogues égratignant le français, de son accent délicieusement british – avouons néanmoins que ses passages en voix de tête, digne d’un Michel Sénéchal, réussissent les défis de son grand air – d’exposition, amoureux et transi pour sa belle Isabelle : « Ce soir j’arrive donc dans cette immense ville immense… » au I).
La Nicette pourtant maniérée et lisse de la soprano coloratoure, Jeanne Crousaud se bonifie heureusement, réussissant son air de la Ronde qui ouvre le III. Son compagnon Girot gagne un beau relief parlé et chanté grâce à la vaillance mi rustre mi virile du baryton Christian Helmer (bel abattage dans les dialogues, le seul chanteur à notre avis qui reste le plus naturel dans les récits ; saluons aussi le caractère de son beau duo avec Nicette au I : « Les rendez-vous de noble compagnie… »).
Vraiment dans son rôle, juvénile et tendre, nerveux, un rien arrogant, l’excellent « colonel » Comminge du ténor Emiliano González Toro se distingue lui aussi nettement. De son côté, Eric Huchet tient, comme Christian Helmer (Girot), très honnêtement le rôle très investi du « marquis » Cantarelli (partisan et soutien de Mergy) : vivant, pertinent dans les textes parlés, assuré dans les airs chantés.

 

 

Problématique, la gouaille surjouée de la Marguerite de Marie Lenormand ; certes le personnage n’est pas aussi écrit que celui d’Isabelle: mais ce qu’en fait la chanteuse relève d’une hideuse caricature, sans aucune nuances ; elle compose souvent dans ses emportements, une tenancière de la foire, plutôt que la noble manipulatrice conçue à l’origine par Mérimée… Dans ses airs, Marie Lenormand, décidément hors sujet, nous afflige un vibrato envahissant et incontrôlé, comme un voile du timbre qui finissent par être agaçants. Quel ratage pour un personnage central de l’action.

Mais qui donc a piloté l’articulation et le style des récits parlés ?… lesquels dans leur réalisation au disque s’apparentent souvent, en présence des chanteuses principalement et du Mercy de Spyres, à une pièce de théâtre radiophonique dans un style qui manque singulièrement de finesse comme de sobriété… les séances de travail comme d’enregistrement n’ont pas été longues et très préparées. Heureusement les chanteurs, Girot, Santarelli et Comminge sauvent les dialogues parlés par leur sens dramatique et la juste mesure qu’ils emploient dans leur participation.

herold-le-pre-aux-clercs-livre-cd-opera-critique-review-cd-classiquenews-582Le premier soprano du drame est lui aussi très criticable. Plus sobre, mais aux aigus parfois tirés (air avec cor, à la fois noble et grave au I : « Souvenirs du jeune âge »), l’Isabelle de Marie-Eve Munger réussit à exprimer la langueur de son personnage, car dans la partition, il n’est pas question uniquement que de superficialité aimable. Et l’élégance profonde de cet air nous le montre directement. D’ailleurs, le caractère d’Isabelle est le plus finement brossé par Hérold, ainsi qu’en témoigne le prélude d’introduction de l’acte II (vrai Concerto pour violon), miroir instrumental du raffinement amoureux lové dans l’âme de la jeune femme… vraie héroïne digne du grand opéra, par son épanchement nostalgique (air qui suit immédiatement : « Jours de mon enfance.… », avec violon et cors : hélas la chanteuse, dépassée par l’ampleur et la variété de la séquence (quatre parties : Maestoso, Allegro, Moderato, Plus animé), laisse passer des notes fausses qui gâchent l’acuité musicale de cet air captivant, de loin le plus développé de tous les airs de solistes, et qui dans son ambition formelle, se reproche du bel canto pré verdien, bellinien et donizettien).

 

CLIC_macaron_2014UN JOYAU IRRESISTIBLE DANS UNE REALISATION PERFECTIBLE. Malgré les défauts multiples de la réalisation, – reconnaissons la vivacité atteinte par la direction du chef (plus convaincant depuis l’ouverture et tout au long du premier cd), mais la confusion règne bien souvent-; la partition d’Hérold s’impose par son élégance, sa grande inventivité mélodique, une frénésie jamais appuyée, vivace, fine, subtile, et un raffinement qui affirme le tempérament d’un génie dramatique… qui exigeait cependant une toute autre réalisation (on regrette l’absence d’un plateau réellement cohérent dans le fameux trio du III qui réunit Mergy, Isabelle, Marguerite : « C’en est fait le ciel même… « ). Magnifiquement calibrée, l’ouverture impose la fantaisie du symphoniste, qui connaît tous ses classiques et sait nourrir la tension avec un sens irrésistible de la péripétie et des variations : astucieux, affûté, mordant – rossinien, Hérold à bien des égards, dépasse son modèle et préfigure la truculence d’un Offenbach, comme l’allant racé, dramatiquement prenant du Massenet de Manon. C’est dire le format de son génie (très subtil trio n°7 du II : le brio et la grâce des ensembles de Rossini y sont idéalement assimilés par un Hérold maître de son art).

Sans instruments vraiment diseurs et idéalement calibrés, sans solistes d’une vraie subtilité (sauf les chanteurs identifiés ci-avant), sans direction réellement attentive aux facettes de ce joyau lyrique, il ne s’agit vraiment pas d’une version digne du chef d’oeuvre d’Hérold. Déception pour une partition qui méritait vraiment mieux. Hormis ses défaillances, la partition est une redécouverte majeure. D’où notre CLIC découverte.

 

 

 

herold le pre aux clercs cd review cd critique classiquenews CLIC decouverte novembre 2016 cd livre palazetto bru zane ediciones singulares cd 2 cd classiquenews 51TgZ-p3VlL._SS500CD, compte rendu critique. HEROLD: Le Pré aux clercs (McCreesh, 2015 – 2 cd Ediciones Singulares Palazzetto Bru Zane), enregistrement réalisé en avril 2015, consécutivement aux représentations de l’ouvrage sur la scène de l’Opéra Comique à Paris, en avril 2015. Parution annoncée : début novembre 2016.

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