vendredi 19 avril 2024

Carlos Kleiber: Traces to nowherePortrait par Eric Schulz. 1 dvd Arthaus Musik

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Carlos Kleiber

Sur les traces d’un chef de légende


(titre original: « Traces to nowhere« )

Portrait documentaire majeur. La direction de Carlos Kleiber
reste l’une des plus captivantes du XXè siècle: au-dessus de Karajan,
Kleiber le fils, né en 1930 et mort le 1″ juillet 2004 est bien
l’hériter de son père, le légendaire (et guère tendre) Erich Kleiber.
De son père qu’il admire toute sa vie (au point de ne diriger une
partition que dans la connaissance parfaite et précise de
l’enregistrement qu’a réalisé son père de l’oeuvre concernée: c’est le
cas des Noces de Figaro, du Chevalier à la Rose, de Wozzek dont Erich
assure la création en 1935…), Carlos Kleiber défend une valeur devant
toute autre chose: l’excellence. Le garçon hypersensible (trop fragile
dit sa soeur), sait pourtant imposer dans la famille, sa vocation d’être
maestro. A 20 ans, il est dans le contexte de l’après guerre, à Zürich
où il fait ses débuts. Son premier coup d’éclat reste à Stuttgart, un
Freischütz d’anthologie dans le mise en scène de Walter Felsenstein…
Rien de moins.


Kleiber le fils, une légende musicale

Le film à l’écriture très classique qui alterne témoignages et extraits
d’archives, donne la parole à ses partenaires et amis: Michael Gielen,
Manfred Honeck, sa propre soeur Veronika, mais aussi Otto Schenck…).
Ce sont surtout les chanteurs Placido Domingo et Birgit Fassbender qui
lui doivent des prises de rôles légendaires (Otello pour le premier,
Brangaine pour la seconde), qui apportent leur regard le plus original
et le plus personnel: le ténor devenu baryton évoque comment le
mouvement de ses seuls bras portaient par leur esthétisme précis et
magicien, le chanteur, ainsi invité à chanter encore plus legato
qu’ailleurs; la mezzo confirme l’exigence radicale, le perfectionnisme
exacerbé du chef berlinois qui comme son père (et peut-être à cause de
lui) ne dirige pas s’il ne peut atteindre l’excellence; il faut donc une
bonne part de volonté et d’énergie pour travailler, approfondir,
sublimer chaque oeuvre.

Pas surprenant en conséquence que Carlos Kleiber
ait traversé par intermittences, de nombreuses crises personnelles où
il exprime (à sa soeur) son désir d’arrêter: qui peut durer en
s’investissant autant sur chaque projet musical (d’autant que la plupart
sont des opéras!): miné par un excès de scrupule, ou tout simplement
paresseux en dépit de son génie musical, Kleiber concentre son approche
interprétative sur un répertoire qui demeure restreint (quelques opéras,
quelques symphonies). Mais quel catalogue aujourd’hui (heureusement
édité par Deutsche Grammophon): que des perles. Le Freischütz de Weber,
Die Flerdermaus, Otello, Carmen, et évidemment son opéra fétiche, Der
Rosenkavalier, Le Chevalier à la rose qui lui aura permis, s’amuse à le
souligner Gielen, de gagner des millions. Mais l’enregistrement qui nous
reste montre cette élégance nostalgique viennoise, humaniste et si
prodigieusement habitée qui distingue aujourd’hui Kleiber II… en
particulier qui le démarque de son père qui ne possédait pas autant
l’éclat des sentiments et des passions: sa direction était plus raide et
droite que celle de son fils.

De son côté, Birgit Fassbender souligne la pensée philosophique du
maestro: sa quête d’absolu qui se confronte à l’idée de la mort, guère
acceptée (comme le rappelle aussi Otto Schenk). La cantatrice présente
devant la caméra un livre sans couverture, contenant des poèmes de
sagesse chinoise qui ont aidé manifestement l’homme dans sa vie…
vaincre les angoisses de l’interprète; penser la musique dans un rapport
radical et dans le même temps naturel…, s’investir puis laisser
agir… Ainsi pensait-il à tout cela dans ses heures de conduite en
voiture, entre Munich et Salzbourg vers la Slovénie où il finira son
existence dans une retraite admirable.

Le film évoque ainsi tous les thèmes d’une existence légendaire: le
rapport au père; son mariage avec la danseuse Stanka, une partenaire
dans l’ombre, tel une complice de solitude dont la mort, 6 mois avant
son décès, le plonge dans un abîme de tristesse… Son rapport à
Karajan, figure incontournable qu’il écoute, observe, étudie lors de ses
séjours très fréquents au festival de Salzbourg (où il refusera
toujours de diriger!)… se recueillant même sur sa tombe à chacun de
ses séjours.


L’autre K

Mais l’énigme Kleiber reste indéfectiblement liée à son oeuvre musicale
comme interprète: on a tort comme ici d’expliquer son héritage par sa
vie: qui le connaîtra réellement? Scrupule esthétique et direction
expansive, exigence musicale et paresse, volonté de transcendance et
défaite cyclique: combien de fois en pleine répétitions à l’Opéra de
Vienne pour une nouvelle production, Kleiber interrompt le travail et
quitte les séances… car il n’en pouvait plus!)… Voilà le mystère
Kleiber.

Ecouter les enregistrements qu’il nous laisse répond à toutes les questions: voici
un chef sublime qui a tout dit, tout exprimé dans ses interprétations.
Tout est dit dans son legs: il suffit d’écouter et de voir. Le
(re)découvrir ainsi dans la fosse du Chevalier, diriger et chanter,
danser par les bras, s’enflammer et commenter ce que dit la musique…
reste le plus magnifique témoignage d’un musicien serviteur de la
musique. A qui pensait-il au juste quand il se recueillait sur la tombe
de Karajan? A la solitude profonde qu’exige les plus grands artistes
comme les plus grands interprètes. Leur rapport à la musique se
rapprochait. Mais à la différence de Karajan, l’autre K, entendez
Kleiber II, exprime comme nul autre le vertige émotionnel des
partitions: « j’ai réfléchi à la fumée des croches dans ce passage »,
précise le chef lors d’une répétition de l’ouverture de La Chauve
Souris: « il n’y a pas assez de nicotine dans ce que vous faîtes, c’est à
dire pas assez de nicotine toxique… « . Sens de la formule,
connaissance précise et souvent fulgurante des partitions, séduction et
charisme irrésistibles forment les qualités du chef Kleiber. Sublime et
captivant.

Documentaire exhaustif sur une personnalité d’exception. Carlos Kleiber, sur les traces d’un chef de légende. Réalisation : Eric Schulz (2010, 52 mn).

Lire aussi notre dossier spécial Carlos Kleiber, les 80 ans (13 juillet 2010)

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