jeudi 28 mars 2024

Festival de Verbier 2011 (Suisse)Du 15 au 31 juillet 2011

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Festival de Verbier (Suisse)
Du 15 au 31 juillet 2011

Verbier, 18 édition, toujours même cote à l’altimètre, et l’un des plus hauts-perchés d’Europe. La continuité en 56 concerts in (la Grande Salle des Combins, l’Eglise) et des à-découvrir en off, sous différentes formes, pour le plaisir de la surprise. Les invités permanents sont là, et pas seulement pour faire de la figuration dans les rues de la station ; selon un esprit Verbier maintenu, les plus illustres se mêlent aux jeunes pour de la musique de chambre. Les stages, les classes de maître, le travail en orchestre(s) forment les instrumentistes venus d’Europe et d’ailleurs. Musiques du romantisme et du modernisme XXe dominent, sans pourtant négliger les partitions d’un actuel consensuel.


Les 77 x 7 x 7 vies d’un chat

Montagnes, toujours identiques ou se transformant à un rythme si lent qu’il nous faudrait septante fois sept fois les 7 vies très étalées d’un Chat normalement constitué pour commencer à en percevoir la modification… A moins que le réchauffement climatique ne nous fasse saisir d’une année l’autre les rétractions glaciaires des Combins ? 2011, si sec et chaud…se souvient on bien du paysage blanc d’il y a presque 20 ans, quand commençait l’histoire du Festival de Verbier ?


Sturmen und drangen

Mais si ce qui perdure le mieux ne serait-il pas, au-delà de la qualité des artistes invités, les grands axes d’une programmation ? Car d’édition en édition, le festivalier attentif peut constater une continuité dans le paysage proposé par « les massifs centraux » : pour parler métaphore des Alpes Valaisanes, il y aurait en dominante les Combins du romantisme allemand, d’où descendent, issus des glaciers, les torrents qui deviendront fleuve, les Sturmen (orages et tempêtes) et les Drangen (assauts, passions), ou comme le chante Hölderlin : « Enigme, ce qui naît d’un jaillissement pur ! Et par le chant lui-même, à peine dévoilée…Forge tonnante, creuset où s’élaborent D’entre les choses les plus pures ! ». Il s’agit de romantisme au sens évidemment très large, en commençant par un Beethoven dont on doit toujours se demander : « est-il bon, est-il méchant ? », pardon : « est-il classique, est-il romantique ? ». Et à propos de qui on peut interroger les Sonates pour piano, ce monument aux 32 architectures dont on espère ici une intégrale – il y eut bien l’année dernière celle des 23 de Schubert, par Elisabeth Leonskaja, moment capital de 2011, et apparemment si austère qu’hélas « le grand public » de la Salle des Combins le…négligea – …


Clair de lune et poème pastoral

On commence d’ailleurs 2012 par…la coda que constitue la 32e, cet op.111 qui clôt en plein mystère (l’arietta) l’aventure pianistique de Ludwig Van, et la chance veut qu’on en ait deux regards, celui de l’Allemand Lars Vogt et celui du norvégien Leif Ove Andsnes. A l’inverse, dans la jeunesse du Maître de Bonn, l’op.2 n°3 (1795), l’op.10 n°1 (1798), puis les ruissellements de lumière avec l’op.27/2, universellement aimée en « Clair de lune » (1801), avant le temps, tôt venu, de la maturité : l’op.53 ( la Waldstein, étape si décisive dans la modernité de conception),les Adieux (l’un des deux titres, avec la Pathétique, « consentis » par l’auteur) et « A Thérèse »(dédiée à la Comtesse de Brunswick, de 1810… Avant de parvenir au terme du chemin, par la 31e (op.110), extraordinaire chant de douleur et de fugue par deux fois alterné, dialectique magnifiée par le légendaire Stephen Kovacevic. En violon-piano, deux fois la radieuse 5e (« Printemps »), et l’op.30 n°3. Au violon seul affronté à l’orchestre, le Concerto, parcouru avec le jeune David Garrett, avant que ne résonne la 4e (ce n’est pas la symphonie la plus connue de Beethoven), et l’Orchestre Verbier est dirigé par Gabor Takacs-Nagy). Sans oublier le poème de la journée Pastorale (6e), dont Daniel Harding mettra certainement en valeur la dynamique et le théâtre de la Nature.


Félix, Franz et Robert

Est-il classique ? romantique ? Sempiternelle question à propos de l’Heureux (Félix) Mendelssohn. On se tournera vers une rareté, l’oratorio (tardif) Elias, dirigé par Manfred Honeck (avec J.Banse, A.Kirschlager, M.Schade et T.Quasthoff), belle dramaturgie en concert pour méditer sur prophétisme et sacré. Mais aussi les Variations Sérieuses, un chef d’œuvre pianistique méconnu, le 2nd Trio, et l’Octuor des seize ans, tout ensoleillé par le sentiment de la jeunesse. Du côté de chez Schubert, petit portrait dans une œuvre immense, et images arrêtées sur les dernières heures : le sublime tragique du Quintette à deux violoncelles, l’onirique Sonate-Fantaisie D.894 (L.Vogt), la 23en, une conception neuve du Temps musical (comme l’op.106, Hammerklavier, de Beethoven, dont elle a l’importance historique), par S.Kovacevich, et le monde voyageur du 2nd Trio Mais aussi la D.568 de 1817, fort originale de forme, avec un andante d’une prenante poésie, et peu souvent jouée. Chopin, une fois passé le 200e que l’on sait, se fait rare : tout de même, les Etudes de l’op.25(par le jeune Jan Lisiecki) et la 4e Ballade (par la non moins jeune Khatia Buniatishvili)… Schumann, après un 200e qui s’en méfia davantage, est vraiment présent : la non moins jeune K.B. joue dans le même récital la Fantaisie op.17 (le cri d’amour vers Clara). On aura aussi le 3e et dernier des Trios, peut-être le plus angoissé (1851), le Quatuor cordes-piano op.47 (1842, la radieuse année de composition chambriste), le merveilleux op.73 des Fantasiestücke op.73 et l’op.70 (M.E.Hecker, M.Helmchen).Au chant, le chef-d’œuvre de la fraternité poétique avec Heine et l’abîme de douleur, Dichterliebe (R.Pape, E.Bashkirova), le non moins troublant et « eichendorffien » Liederkreis op.39 (Bryn Terfel, Llyr Williams).


L’autre Franz, Johannes et la suite

Cap sur Liszt, le super-célébré de 2011. Et d’abord, par deux fois, le bréviaire de la modernité-XIXe, La Sonate de 1853, où l’on pourra « comparer » la vision « anglaise » de Stephen Hough et, le surlendemain, celle d’Evgeni Kissin, le pianiste russe (ô combien !) explorant aussi dans son récital la sénancourienne Vallée d’Obermann, les Funérailles, avant de s’éclairer au soleil de Venezia e Napoli. Il y aura une Bénédiction de Dieu dans la solitude –(L.Williams), la diabolique 1ère Mephisto-Valse, et un récital du jeune L.Schwizzebel-Wang : 6e Rhapsodie Hongroise, études-Paganini, deux Années (Alpines) de Pèlerinage, des lieder schubertiens transcrits). Reste Brahms, lui aussi constamment honoré : le 2e concerto de piano (Nelson Freire, Charles Dutoit), et de la chambre : deux versions de la 3e sonate piano-violon, la 2e piano-violoncelle, le 2nd Quatuor à cordes (les jeunes Ebène), le 2nd Quintette. Et au piano, les raisonnable-classiques Variations Haendel (A.Hewitt) et les romantiques en diable Ballades op.10 (L.O.Andsnes). On ajoute à la Bande des Quatre (romantiques) un bien peu connu Romberg, mais est-ce Andreas ou son cousin Bernhard (celui qui aurait dit à Spohr que l’op.59 de Beethoven était « excentrique », merci Wikipedia) ? Puis les post-romantiques assument le tourment et la complexité : hommage à Hugo Wolf et ses subtils-tourmentés Lieder Michel-Ange. Mahler adapte Beethoven, s’auto-adapte (version piano de Fahrenden Gesellen), ou se laisse adapter (le Chant de la Terre, via Schoenberg ). Côté France-Belgique, la Sonate de Franck ( c’est aussi celle de Vinteuil, ajoutent les Proustiens, qui ne manqueront pas de repérer la « petite phrase » chère à Swann, dans la 1ère Sonate de Saint-Saëns, « au demeurant médiocre » dit Proust), et un de ses Trios (post-adolescent), Ysaÿe (Poème de l’amitié) et Vieuxtemps. L’Alsacien Leon Boelmann (dont on entendra « le chef-d’œuvre », une sonate piano-violoncelle), et nettement plus à l’est, du Tchaikovski ( le piano des Saisons), du Liadov ( la mystérieuse Kikimora) et du Borodine (1er Quatuor).


Barock Land, Amadeus, Floria, Didon…

Remontons le cours du temps géologico-paysagier, voulez-vous, et allons en hautes terres du Barock-Land, mais on sait qu’à Verbier, ce n’est pas la tasse de thé (« ça passera comme le café », prophétisa-t-on au XVIIe, les meilleur(e)s ont droit à l’erreur…), même si c’est pour aller au Café Zimmermann cher à J.S.Bach. Le Père de la Musique est en tout cas plutôt pianiste (4e Suite Française, une version de la Chaconne…), violoniste (la même plus authentique Chaconne de la 2nde Partita ; concerto en la, par R.Capuçon qui joue et dirige). De même, François Couperin est au violoncelle-piano. Un peu à droite en descendant la chronologie, ce cher Amadeus, tel qu’en lui-même enfin au piano des concertos (K.451, Lars Vogt ; l’ultime K.595, par A.Hewitt), au violon (R.Capuçon pour le rayonnant K.216), mais aussi da camera avec vents (est-ce son K.452, qu’il tenait en 1784 pour « ce qu’il avait fait de mieux « ?). Sans négliger une version compressée de Cosi, in fine festivalière, avec les jeunes du Verbier Academy…Tiens, de l’opéra ? En versions de concert, évidemment, deux sommets, fondamentaux, à l’horizon des Dents du Midi. L’un est le bref, initial et foudroyant Didon et Enée de Purcell (Angelina Kirchschlager en Didon, V.F.Orch. dirigé par G.Takacs-Nagy).L’autre – boosté par les Amis de Verbier, comme le furent Don Giovanni et Salomé – est la somptueuse, éloquentisssime et convulsive-en-beauté Tosca, de Puccini (Barbara Frittoli, Alex.Antonenko, B.Terfel, direction Gianandrea Noseda). Et une des aiguilles de la chaîne Wagner, un 1er acte de la Walkyrie, sous la direction de V.Gergiev…


La modernité…ancienne et plus récente

Suivons donc les lignes de crête de fin XIXe puis tout au long du XXe, avec un somptueux massif de modernité…déjà ancienne. Stravinsky, d’entrée de jeu, Petrouchka (Charles Dutoit) et chorégraphies sur l’Oiseau de Feu et le Sacre, par Le Béjart Ballet de Lausanne. Debussy, pour son tout jeune Quatuor et la terminale Sonate violoncelle-piano, répond à Ravel (le tragique bilan de civilisation dans La Valse, la grinçante Sonate piano-violon et les éblouissements de la Tzigane. Du Rachmaninoff : le 3e de piano (K.Buniatishvili, Ch.Dutoit) , le 3e Trio, « Elégiaque » et des Danses Symphoniques . Du R.Strauss, la capricante Burlesque et la très vivante Vie de Héros. Un voyage dans le sublime des Brumes de Janacek. Chostakovitch (mélodies ; l’op.134) répond à Sibelius (Quintette piano-cordes), Bartok (d’avant Bartok : un Quintette de 1904, « joué mais jamais publié ») à Prokofiev, toujours bien honoré (1e et 7e Sonates pour piano ; mélodies ; 1er Concerto par la rapidissime Yuja Wang, que tentera aussi de maîtriser Y.Temirkanov dans le 2e de Saint-Saëns), et à Enesco dans de passionnantes Impressions d’enfance. Le rare Don Quichotte de Jacques Ibert guerroie seul contre ses moulins à vent (B.Terfel). L’Anglais Quilter (1877-1953), au destin tourmenté et à la fin schumannien, conduit dans l’univers de la Chanson, ici d’après Shakespeare. Des « rencontres inédites » de chambristes mènent à des patchworks entre Hans Eisler (le perpétuel exilé politique, Milton Babbit (pionnier américain du son électronique, mort au début de 2011 quasi-centenaire…), Samuel Barber (mais il n’y a pas qu’un certain Adagio…) et Schoenberg.


Métaboles et Miroir

A vrai dire, on sait que le public de Verbier n’est pas spontanément en recherche extasiée de la nouveauté trop déconcertante. Aussi le Festival introduit plutôt des « valeurs sûres et reconnues » dans ce domaine, fussent-elles consensuelles, austères et sans concession. Comme pour les Métaboles d’Henri Dutilleux, dirigées par V.Gergiev, une œuvre de 1964, et dit le compositeur, « sorte de concerto pour orchestre en 5 mouvements, dont le titre – méta, en grec : après, au-delà – évoque le changement permanent, notamment dans la Nature ». Un parcours très en-deçà et au-delà de l’Oural du Patron-Fondateur, a par ailleurs amené Martin Engstroem à honorer les compositeurs russes : on écoutera la 1ère Sonate d’Alfred Schnittke, le compagnon de route Rodion Shchedrin fait cette année visiter…l’Espagne avec une Carmen-Suite ; l’enfant chérie-gâtée du Festival, Lera Auerbach, est à la fois pianiste-interprète et auteur qui – en nous faisant regarder le tableau de Breugel, la Chute d’Icare ? – lui dédie un Requiem orchestral. Un (autre) Kissine (avec e terminal, donc), Victor (né en 1953), renvoie notre image en son Zirkalo (Spiegel, Miroir), inspiré par Anna Akhmatova, et joué avec enthousiasme par Gidon Kremer. On aime d’ailleurs bien ici les instrumentistes qui font miroiter leur talent d’interprète et en tirent des éclats d’œuvres : ainsi de Stephen Hough qui entre Liszt et Beethoven propose sa Sonate « Broken branches ».


Un enfant de 68

B.Ranjbaran, un Iranien(né en 1955) vit et compose aux Etats-Unis, son œuvre de style néo-romantique est très «portée » par Yo-Yo Ma et J.Y.Thibaudet ; il en va de même pour Lowell Liebermann, compositeur multi-styles très apprécié outre-Atlantique. Le Festival a par ailleurs, en partenariat avec le Concertgebouw d’Amsterdam, commandé une œuvre pour Quintette à cordes (Pentalog, donc) au Suisse Richard Dubugnon. Ce Lausannien « enfant de 1968 », passionné d’Histoire (ancienne et récente), a accompli ses études de composition en Angleterre et en France ; il a reçu moult récompenses pour une œuvre d’écriture fort éclectique, où figure un opéra d’après Tchekhov, où l’inspiration du « post-debussysme » est en confluence avec les « musiques actuelles », et qui est particulièrement intéressé par l’univers ésotérique du tarot (ses Arcanes Symphoniques, créées en résidence à Montpellier)…


La vie, quoi !

Et puis les légendaires : passez une heure avec Ivry Gitlis, le violoniste le plus généreusement inventif du second XXe (et du 1er XXIe !). Les plus jeunes mais déjà hyper-célèbres « enfants d’Anne- Sophie Mutter », Mutters Virtuosi groupés autour de la violoniste allemande, qui leur fera jouer et jouera Penderecki. L’accordéoniste et multi-créateur Richard Galliano, pour aller de Bach à Piazzolla et Galliano. Une célébration entre vieux amis – Kremer, Maisky, Argerich, Quasthoff, Kissin, Bell, Bashmet et quelques autres, avec « des extraits des pièces-phares du répertoire classique » . Une Crazy Night en clôture autour de Vadim Repin, Roby Lakatos et le Verbier Chamber de G.Takacs-Nagy, qui fête « en humour et virtuosité » le 40e anniversaire du violoniste russe. Des conférences tous les débuts d’après-midi (Chalet Orny), ce qui permettra d’entendre, parmi bien d’autres, Alfred Brendel, désormais joyeux retraité de concerts et d’enregistrements mais toujours plaisant philosophe sur le monde-tel-qu’il (ne)va (pas bien ?). Des classes de maître et des répétitions publiques. Du off – jazz and others – toujours passionnant au coin de la rue, et puisque vous n’avez rien contre les jeunes, bien au contraire, les concerts du soir-tard à l’Eglise par les stagiaires et espoirs. La vie, quoi !

Festival de Verbier (Suisse) Du 15 au 31 juillet 2011. 56 concerts.
Information et réservation : T. 41 (0) 848 771 882 et 883 ; www.verbierfestival.com

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