Camille Saint-Saëns,
Samson et Dalila, 1877
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts
Les 21, 23 et 25 mars 2007
Un opéra biblique créé à Weimar en allemand
« Je n’ai guère besoin de la foi, pour l’entendre murmurer« , disait Saint-Saëns, qui compose la partition d’un opéra intense, fiévreux même, voire mystique. Pour honorer un dieu qui le soutient aux pires moments, le héros qui a succombé à la séduction de la belle Dalila, offre tout ce qu’il a, jusqu’à sa vie pour éradiquer le pouvoir des Philistins. Le compositeur qui aime lire et se passionner pour de nombreux sujets, y compris ceux qui n’intéressent pas directement la musique, découvre en 1866, le Samson que Voltaire rédige pour Rameau en 1732. Le contexte biblique, ses horizons orientalisants, et la figure légendaire des personnages de l’Ancien Testament excitent l’imagination du musicien qui songe d’abord à un oratorio, genre en vogue dans les années 1860. Mais le librettiste Ferdinand Lemaire convainc Saint-Saëns d’envisager une forme profane, un opéra biblique. A l’époque où les satires et parodies d’Offenbach font ricaner l’audience des salles sous le Second-Empire, l’idée est originale. Elle paraît même risquée. Saint-Saëns préfère abandonner son projet. Mais en 1869, Liszt lui demande instamment de poursuivre et d’achever son oeuvre; d’ailleurs, il lui offre son théâtre de Weimar, où règne un climat esthétique et artistique plus ouvert et serein qu’à Paris. De fait, Samson et Dalila est créé à Weimar en 1877, en allemand. L’oeuvre applaudie partout en Europe ne sera représentée intégralement à l’Opéra de Paris qu’en … 1892. La création en français avait eu lieu dès 1878, à Bruxelles, sur la scène de La Monnaie, qui l’accueille en mars 2007.
Un maître de la construction dramatique
Saint-Saëns oeuvre pour un renouvellement de la musique française, selon ses propres valeurs: unité, mesure, clarté, équilibre. L’intrigue efficace permet à l’action musicale, donc à la dramaturgie, de s’accomplir sans temps mort ni redite. Avec Samson, il offre un équivalent français à l’opéra wagnérien. Mais en soulignant la construction et l’équilibre des tableaux: choeur des hébreux, bacchanale des Philistins; héroïsme tragique et noble de Samson, volupté languissante et irrésistible de Dalila; enfin, autocratie impériale du grand prêtre, maître des Philistins, Dagon. A la caractérisation limpide des protagonistes, au nombre desquels il ne faut pas omettre le corps des deux choeurs identifiés (Hébreux et Philistins), Saint-Saëns assure la continuité et la force cohérente de la partition grâce au continuum symphonique, ce liant puissant qui enveloppe l’arête des épisodes isolés, qui insuffle à l’ensemble de la reconstitution archéologique, sa netteté suggestive et son lyrisme convaincant. Parfaitement mesuré dans son utilisation du symphonisme wagnérien, Saint-Saëns sait assimiler Wagner et s’en détacher. La page de la Bacchanale donne la preuve de son inspiration personnelle: le sens de la coloration, l’orchestration sont nettement français. Chaque invention instrumentale assoit la progression du drame. Aucune option formelle n’a été retenue sans nécessité scénique.
La grande cohérence de sa construction impose l’oeuvre aujourd’hui. Que l’on veuille n’y voir qu’un « Tannhäuser français », certes. Mais la partition dévoile la maîtrise du Saint-Saëns, dramaturge, évocateur efficace de l’Histoire Sainte. A son époque et dans le contexte de la grande machine française léguée par Meyerbeer, oser un opéra biblique était visionnaire et courageux. Remercions Liszt de lui avoir permis de porter à son terme, l’opéra que l’on connaît aujourd’hui, que l’on commence d’évaluer à sa juste mesure.
Approfondir
Lire aussi notre dossier « Samson et Dalila » de Camille Saint-Saëns dans la production diffusée sur Mezzo en février 2007, avec Olga Borodina (Dalila, également à l’affiche de La Monnaie) et Placido Domingo (Samson).
Illustrations
Pierre Paul Rubens, Hercule et Omphale (Paris, musée du Louvre)
Portrait de Camille Saint-Saëns (DR)