mardi 6 mai 2025

Bordeaux. Grand-Théâtre, les 27 et 28 janvier 2010. Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte. Darrell Ang, direction. Laura Scozzi, mise en scène (1/2)

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Compte rendu 1/2

Avouons-le tout de go, la première impression, à la découverte de cette vision pour le moins particulière du chef-d’œuvre mozartien ne fut pas des plus favorables. Fervent amoureux de cette œuvre, reconnaissons que nous avons ressenti de plein fouet cette mise en scène, au premier abord du moins, comme un sacrilège, même un saccage en règle de la poésie et de la noblesse contenues dans la musique. Pourtant, une fois le premier acte passé et les habitudes attendues mises de côté, l’incrédulité et la consternation font place à… un réel plaisir.

Transporter l’action du livret jusqu’à une station de ski au cœur des Alpes, voilà qui a de quoi surprendre et qui ne semble pas a priori aller de soi. Pourtant, le cheminement imaginatif de Laura Scozzi prend sa source dans la simple indication du livret situant la trame « entre vallées et montagnes ». De plus, l’ascension d’un sommet n’est-elle pas une épreuve, un dépassement de soi-même, voire un moyen de mettre en résonance son corps, son âme, les éléments et le monde tout entier, ainsi que l’est toute initiation, notamment celle que subissent les personnages de l’œuvre ? Partant de ce constat fort pertinent, admettons malgré tout que ce sens profond de la transposition proposée ne se révèle vraiment qu’au second acte, avec parfois des images d’une rare beauté, où l’usage de la vidéo se justifie enfin, y mêlant les personnages présents sur scène, avec Pamina emportée dans les nuages par les trois enfants, ou surtout ces épreuves du feu et de l’eau, rarement mises en images avec une telle virtuosité visuelle. Au premier acte, beaucoup d’idées, certaines surprenantes au premier abord et fort originales, d’autres semblant trop injustifiées.


Entre vallées et montagnes…

Par exemple cette ouverture, montrant une femme, fraichement mariée, maltraitée par son mari, et dont la colère hystérique provoquera les flammes qui remplacent le serpent originel et torturent Tamino dans son sommeil, en un cauchemar que viennent apaiser les trois Dames, costumées en James Bond girls. Ce n’est que lors de la marche des prêtres, au son de laquelle un homme, visiblement sous la domination de sa femme, se sert de son corps comme d’un chemin sur lequel elle pose ses pas, que l’on comprend que ces deux moments représentent les rapports homme-femme.
Belle idée de remplacer les oiseaux que capture Papageno par des hommes livrés à la gourmandise des Dames. En revanche, la tenue de rockeur de l’oiseleur, toute en cuir, si elle habille fort bien le personnage, semble n’avoir aucune justification dramatique, notamment dans ce contexte alpin, tout de froid et de neige. Par ailleurs, pourquoi faire entrer la Reine de la Nuit totalement ivre et titubante, une bouteille de champagne à la main, sortant d’une boîte de nuit ? Est-ce ainsi que, en souveraine moderne, elle noie son chagrin d’avoir perdu sa fille ?
Chorégraphe pour Laurent Pelly, Laura Scozzi sait diriger les corps et les guider, et faire participer des danseuses est une idée fort bienvenue, notamment dans le second air de Papageno, où elles représentent les fantasmes du personnage, l’une passant l’aspirateur pendant qu’une seconde lui apporte un plat fumant tout juste cuisiné. Mais que peuvent bien apporter les mêmes danseuses travesties en majorettes pour l’entrée – en train – d’un Sarastro transformé en homme politique, ou des danseurs folkloriques pour clore le premier acte ? D’autant plus que les pas, forts bruyants, couvrent l’orchestre.
D’une manière générale, on peut reprocher à Laura Scozzi, ce besoin constant de remplir la scène, … peur du vide? Bien souvent, l’œil est tant sollicité de toutes parts que l’oreille ne peut se concentrer pleinement sur la partition. Lors du premier air de Sarastro « O Isis und Osiris », l’une des plus belles pages de l’œuvre et l’une des plus recueillies, fallait-il faire amener Tamino et Papageno, le second gesticulant et faisant le pitre, réprimandé sans cesse par le premier ? Ou pendant le chœur des prêtres voir passer plusieurs fois en fond de scène Tamino et Sarastro, buvant, disputant une partie d’échecs ? Ou, le plus irritant, durant les épreuves du feu et de l’eau, placer les hommes d’armes dans un coin de la scène, priant avec forces poses et gestes, invoquant les dieux de toutes les religions – belle illustration de l’universalité de la prière, mais visiblement maladroitement employé –, et détournant le regard des images splendides créées grâce à la vidéo ?

… La Flûte vue par Laura Scozzi

Parfois, le pouvoir de la musique est réduit à néant si on ne la laisse pas s’exprimer. Et comment peut-elle s’exprimer si on ne laisse pas à l’oreille le loisir de se concentrer afin de simplement l’écouter, là où, trop souvent, elle ne fait que l’entendre sans en rien retenir ?
Beaucoup de remarques, en effet, car, à la lecture de l’entretien publié dans le programme du spectacle, il apparaît de façon évidente que Laura Scozzi ressent et comprend de façon profonde et intense le sens de la musique de Mozart. Sa scénographie gagnerait beaucoup à en laisser parler davantage la force émotionnelle. Ainsi dans l’air de Pamina, plus rien ne bouge, seule la ligne de chant se déploie, en un moment où le temps semble suspendu, d’une émotion vraie et intense.
« Ni dieux, ni maîtres », telle est la devise de la scénographe italienne. Devise appliquée à la lettre ici, les personnages n’étant plus ni de rang princier, ni de sang royal, mais simplement nos contemporains. Esthétique « jamesbondesque », très « sixties » – jusqu’à la perruque blonde et les socquettes roses de Pamina –, d’une précision dans la réalisation à saluer bien bas, cette production se conclut dans une bonne humeur générale, la neige ayant fait place à une vallée couverte d’herbe fraîche, tous les personnages se retrouvant pour une garden-party géante autour d’un barbecue. Et, pour couronner le tout, la Reine de la Nuit et Sarastro, s’entendant comme pas deux, loin des ennemis jurés dépeints par le livret, s’envolent, avec moult bagages, direction… l’Egypte.

Malgré quelques défauts qui disparaîtront sans doute avec l’expérience, un beau moment, divertissant et rafraîchissant. Des deux distributions réunies, seuls les personnages de Pamina, Tamino, la Reine de la Nuit et Papageno changent, les autres interprètes assurant leurs rôles deux soirs de suite, performance devenue rare de nos jours et à saluer avec d’autant plus de respect.

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Bordeaux. Grand-Théâtre, 27 et 28 janvier 2010. Wolfgang Amadeus Mozart
: Die Zauberflöte
. Livret d’Emmanuel Schikaneder. Avec Pamina :
Nathalie Gaudefroy / Maria Bengtsson ; Tamino : Edgaras Montvidas /
Alek Shrader ; Papageno : Florian Sempey / Thomas Dolié ; La Reine de
la Nuit : Sophie Desmars / Aline Kutan ; Sarastro : Brindley Sherratt ;
Papagena : Natacha Kowalski ; Première Dame : Eve Christophe-Fontana ;
Deuxième Dame : Caroline Fevre ; Troisième Dame : Delphine Haidan ;
L’Orateur : Jean-Manuel Candenot ; Monostatos : Doug Jones : Premier
enfant : Morgane Collomb ; Deuxième enfant : Laura Jarrell ; Troisième
enfant : Niloufar Kia ; Premier homme d’arme : Jy Hyun Kim ; Deuxième
homme d’arme : Cyril Costanzo. Orchestre National Bordeaux-Aquitaine.
Darrell Ang
, direction ; Mise en scène et chorégraphie : Laura Scozzi.
Assistant mise en scène : Carolyn Sittig ; Décors : Natacha Le Guen de
Kerneizon ; Costumes : Jean-Jacques Delmotte ; Lumières : Marie-Hélène
Pinon ; Assistant chorégraphe : Olivier Sferlazza ; Vidéaste : Stéphane
Broc

Illustrations: La Flûte Enchantée au Grand Théâtre de Bordeaux © F.Desmesure 2010

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