vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE CD. BOISMORTIER : Les Quatre Saisons. Orchestre de l’Opéra Royal, Chloé de Guillebon (1 CD Château de Versailles Spectacles, nov 2023)

A lire aussi

Actif entre 1724 et 1752, le lorrain Joseph Bodin de Boismortier (1689 – 1755), premier compositeur français à pouvoir vivre de la publication de ses partitions, laisse un catalogue généreux et d’une remarquable expressivité : virtuose mais pas artificielle. En témoigne ce cycle de 4 cantates sur le thème des Saisons, et qui atteste de son étonnante virtuosité dramatique, dès le début de sa prodigieuse activité (1724). Le recueil confirme aussi l’essor florissant du genre au début du XVIIIè. La partition pourrait avoir été dédiée à la Duchesse du Maine (Louise Bénédicte de Bourbon), en son « royaume » de Sceaux, où elle favorisait fêtes et célébrations, après avoir été bannie de la Cour par le Régent…

 

 

Vrai défi et indiscutable gageure de chanter en moyenne entre 3 à 4 airs, surtout de caractériser chaque image et sentiment du texte… Les quatre solistes savent particulièrement bien accentuer et exprimer chaque tableau, de façon naturelle sans jamais forcer, ni faiblir. Outre l’élégance de l’écriture instrumentale, il faut des diseurs accomplis pour en relever les enjeux poétiques ; d’autant que chaque partie instrumentale suit la même exigence. En réalité, instrumentistes et chanteurs sont sur le même diapason : celui de la virtuosité ; d’autant plus convaincante qu’elle ne semble jamais contrainte ni creuse. En cela les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra Royal sont de remarquables chanteurs eux aussi, dévoilant le très grand raffinement que Boismortier a su réserver pour le continuo de chaque cantate. L’esprit de la conversation argumentée, du salon traverse les quatre partitions.

Voix du Printemps, le soprano coloratoure, acidulé, agile, très brillant et d’une intelligibilité délectable de la parisienne Sarah Charles, exprime toutes les grâces et séductions de la nature printanière, évoquant cet accord idyllique entre bois et bocages enchanteurs, et bergers alanguis et amoureux, d’autant plus curieux, éveillés avec le retour de la jeune Flore – déesse du printemps. Véritable rossignol enivré autant qu’incandescent, la cantatrice subjugue dans les 7 séquences du Printemps, première Saison d’un cycle qui s’annonce ainsi très séduisant ; Sarah Charles a toutes les élégances exquises des naïades, bergères alanguies, dryades… que son chant précis et suave évoque avec raffinement. Pour autant, indice d’une profondeur qui enrichit la séduction formelle de la cantate, le texte colore les sujets pastoraux d’une tragique nuance en évoquant le mythe de Philomèle (fixé par Ovide dans ses Métamorphoses), légende d’autant plus opportune ici qu’elle est fondatrice du chant et de la cantate française (premier air) : Philomèle devenant avec sa sœur (Procné), hirondelle et rossignol (lire l’excellente notice accompagnant le cd, p 15).

Dans l’Été, le ténor Enguerrand de Hys déploie sur un continuo plus dépouillé (expression d’une canicule tenace et oppressante ?), une même attention à l’intelligibilité.
Au fait des tempéraments associés à chaque saison, Boismortier sait animer avec une acuité renouvelée, l’activité dyonisiaque de l’Automne : le chant ciselé du baryton Marc Mauillon, seule voix grave des 4 solistes requis (basse-taille) suggère avec détails et nuances toutes les images du texte célébrant plaisirs et ivresse décrétés par Bacchus, maître de la treille (et des chansons à boire) – du raisin prometteur à la liqueur coulante, divin nectar, dans les verres des convives…

L’Hiver, de loin la cantate la plus développée, détone par l’inventivité des combinaisons rythmiques et instrumentales, mais aussi par ses accents plus intimes, des premiers Zéphirs presque nostalgiques, jusqu’au souffle de Borée glaçant. Le soprano expressif de Lili Aymonino sait diversifier sa partie, évoquant tempête et tonnerre sous les coups d’une Bellone déchaînée, avant que Thalie berce les élans amoureux de Mars qui a délaissé la guerre.

Dans une prise de son très détaillée et équilibrée, qui sait idéalement fusionner le relief de chaque voix comme le chant de chaque instrument, les interprètes partagent une même intelligence des accents et des nuances ; ici les instruments chantent dans une palette superlative de sentiments, soulignant avec cette élégance française, la puissance imaginative du texte, sa souplesse enchantée, son caractère élégiaque et pastorale (avec souvent la flûte obligée qui est l’instrument du compositeur et dont il fut enseignant), sans omettre les multiples références à la mythologie. L’accord entre instrumentistes et chanteurs se révèle souvent jubilatoire, démontrant que l’intimisme du format chambriste, n’écarte en rien, la franchise ni les nuances des interprètes, visiblement inspirés par la puissance poétique du livret.
Cet équilibre qui évite toute théâtralité, tout pathos, au profit du texte et du raffinement instrumental, dévoile la remarquable écriture de Boismortier, aussi inventif et mesuré, suggestif et raffiné qu’un François Couperin (dont il partage le goût pour l’Italie). Chez eux, se déploie une même palette diverse et prodigieuse de couleurs, une harmonie singulière entre nostalgie profonde et séduction sensuelle… autant de qualités spécifiques que comprend et exprime avec finesse le collectif instrumental (recruté par mi l’excellent Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles), galvanisés par la claveciniste et cheffe Chloé de Guillebon. Remarquable réalisation.

 

______________________________________
CRITIQUE CD événement. BOISMORTIER : Les quatre Saisons, 1724. Sarah Charles (le Printemps), Enguerrand de hys (l’Été), Marc Mauillon (L’Automne), Lili Aymonino (L’Hiver), instrumentistes de l’Orchestre de l’Opéra Royal, Chloé de Guillebon (direction) – 1 cd CVS Château de Versailles Spectacle – enregistré en nov 2024 – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025
PLUS d’INFOS sur le site du label discographique CVS Château de Versailles Spectacle : https://www.operaroyal-versailles.fr/articles/label-discographique-boutique-en-ligne/
Lien direct vers la page dédiée au CD Les 4 Saisons de Boismortier / Orchestre de l’Opéra Royal / Chloé de Guillebon : https://tickets.chateauversailles-spectacles.fr/fr/product/2795/cvs144_cd_les_quatre_saisons_boismortier
Le Printemps : Sarah Charles
L’Eté: Enguerrand de Hys
L’Automne : Marc Mauillon
L’Hiver : Lili Aymonino
Solistes de l’Orchestre de l’Opéra royal de Versailles :
Koji Yoda, Akane Hagihara (violons)
Natalia Timofeeva (viole de gambe)
Léa Masson (théorbe)
Marta Gawlas (traverso)
Chloé de Guillebon (clavecin et direction)

Enregistré en 2023 en la Chapelle du Petit Trianon – durée : 1h13 mn

 

 

TEASER VIDÉO : Les Saisons de Boismortier / Orchestre de l’Opéra Royal, Chloé de Guillebon

 

 

Derniers articles

STREAMING OPÉRA. BARTOK : Le château de Barbe Bleue, vendredi 9 mai 2025, 19h [Opéra Zuid]. Thomas Oliemans, Deirdre Angenent, … Kenza Koutchoukali (mise...

Judith arrive dans la demeure de Barbe-Bleue, dont elle est la quatrième épouse. Malgré la réticence et les supplications...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img