vendredi 29 mars 2024

Antonio Vivaldi, Farnace (1727)Paris, salle Pleyel, le 16 janvier 2007 à 20h

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Antonio Vivaldi
Farnace, 1727
Livret d’Antonio Maria Lucchini

Paris, salle Pleyel
Le mardi 16 janvier 2007 à 20h
En version de concert

Furio Zanassi, Farnace
Adriana Fernandez, Berenice
Gloria Banditelli, Selinda
Elisabetta Scano, Gilade
Sara Mingardo, Tamiri
Fulvio Bettini, Aquilio
Le concert des Nations
Jordi Savall
, direction

Depuis Juin 2003 à Bordeaux, Jordi Savall n’avait plus dirigé l’opéra Farnace de Vivaldi. La salle Pleyel permet aux parisiens d’écouter l’un des chefs d’oeuvre lyrique du Pretre Rosso, dans une version d’autant plus incontournable que la distribution reprend deux chanteurs qui avaient contribué à la réussite de l’enregistrement paru chez Alia Vox, Sara Mingardo (Tamiri) et Furio Zanassi, dans le rôle-titre.

L’oeuvre dans la carrière de Vivaldi

La saison lyrique de 1727 au San Angelo est capitale dans la carrière du Vivaldi dramaturge. Elle marque un premier retour à Venise après plusieurs années passées à l’extérieur de la lagune. Vivaldi n’a cessé depuis les débuts des années 1720 de parcourir les théâtres de Vénétie et des états papaux afin d’y contrôler la création de chacun de ses nouveaux opéras, en particulier à Rome où il veille aux représentations de « Ercole sul Tremodonte » (1723) puis « Giustino » (1724). C’est un génie du théâtre lyrique qui attend son heure à Venise. Le pas sera franchi avec « Farnace ».

Fidèle à son travail sur la texture, Jordi Savall éclaire la sensibilité instrumentale de Vivaldi au théâtre. Son « Farnace » paru chez « Alia Vox » confirme cette plasticité gestuelle qui est au coeur de la démarche du chef catalan. Son sens des plans instrumentaux, sa maîtrise des timbres associés comme le fait un orfèvre dans l’art des alliages, restitue le Vivaldi peintre des climats dont la brosse vibratile toujours à l’affût capte l’essence des sentiments les plus subtils, pour les transmettre par le filtre de sa musique et dans la ligne du chant. L’auteur s’y révèle à l’égal de Haendel, un maître des passions humaines portées sur la scène : intelligence et relief des récitatifs qui mènent l’action, éclat des airs qui construisent l’arche des sentiments.

Le sujet de Farnace
L’opéra met un scène un trio impossible, Bérénice, Pompée, Farnace. Tous trois sont affrontés pour des raisons politiques contraires : rien ne peut a priori les rapprocher. Le souci d’épargner sa lignée et de protéger son clan demeure incorruptible. Devraient-ils mourir, rien ne peut infléchir leur honneur. Nous avons là l’un des operas serias les plus profonds de l’écriture Vivaldienne. Par haine de Farnace, Bérénice se rapproche de Pompée, tandis que Pompée le romain est l’ennemi juré de Farnace. Entre ses deux figures du pouvoir, étouffe l’épouse de Farnace, qui est aussi la fille de Bérénice, Tamiri, remarquable portrait de femme, soumise et digne, douloureuse mais tenace, hautaine et mystérieuse comme son rang l’exige.

A force d’épreuves où l’amour rompt les trames des intrigues politiques, où l’humain défie en définitive la Loi, la clémence vaincra tout, et dans une sorte de « happy end » ou de lieto finale, chacun pardonne et l’opéra s’achève sur une note positive par la réconciliation des rivaux. En dépit des oppositions passées, il existe une voie de la sagesse qui permet de « vivre ensemble ». Le pardon est possible, et dans cette fin heureuse, c’est déjà la philosophie humaniste de l’esprit des lumières qui point à l’horizon. Là encore, ce qui convainc c’est l’étoffe psychologique des héros : leur faille et leur démesure humaine, tendre, haineuse ou passionnelle. Il faut toute la furia dramatique habituelle des grandes voix baroqueuses pour exprimer la « passion vivaldienne ».

Cd
Antonio Vivaldi, Farnace (coffret de 3 cds, Alia Vox).
Au moment de sa sortie, l’enregistrement de « Farnace » n’a pas reçu l’accueil qu’il méritait. Il est vrai que les options retenues par le chef pour l’enregistrement, pourtant légitimes sur le plan historique, ont brouillé sa juste et directe compréhension. Ce « Farnace » recueille au disque, les meilleures prises de la production de l’opéra représenté au théâtre de la Zarzuela de Madrid en octobre 2001. Plutôt que la version originale de 1727, Jordi Savall a préféré celle plus étoffée de 1731 mais inscrite dans le contexte spécifique de la Cour Madrilène de 1739, quand le compositeur italo-français, Corselli, règnait sur le goût local. Le couple des commanditaires, Isabelle Farnèse et son époux Philippe V, partagent alors une affection particulière pour l’opéra français et le chant italien. C’est en reprenant l’usage courant des « pasticcios » baroques, que Jordi Savall a choisi de restituer le « Farnace » de Vivaldi pour l’adapter à la représentation du sujet à Madrid, le 4 novembre 1739, en le complétant par des airs extraits du propre « Farnace » de Corselli. Cet éclairage particulier qui souligne la présence de l’opéra italien à la Cour de Madrid est d’autant plus légitime si l’on rappelle que Isabelle Farnèse emploiera Farinelli afin d’adoucir la maladie mentale de son royal époux.

En dépit de sa pertinence, l’assemblage savallien qui puise dans une tradition éclectique que n’aurait pas renié Vivaldi, a paru contre nature. Pourtant nous tenons là une lecture somptueuse, grâce en particulier au rôle titre tenue par le ténor Furio Zanasi, d’une ample et humaine noblesse héroïque, ainsi que la contralto Sara Mingardo, émouvante Tamiri, superbe rôle féminin qui fut porté à l’époque de Vivaldi par sa muse, la cantatrice d’origine Française Anna Giro. L’assise de l’orchestre du Concert des Nations, fruité, généreux, sanguin, apporte sa contribution et délivre avec magie, ce sens vivaldien des couleurs et des ruptures de tension. Avant Orlando Furioso ou Griselda parus au sein de l’édition Naïve, ce « Farnace » savallien est l’une des expériences récentes les plus passionnantes de la discographie lyrique vivaldienne.

Approfondir
Lire notre dossier consacré aux opéras de Vivaldi : « Vivaldi, l’épopée lyrique »
Illustration
Giambattista Tiepolo, Renaud dans les bras de l’enchanteresse Armide

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