lundi 5 mai 2025

Albert Roussel (1869-1937): Symphonies n°1 à 4. Bacchus et Ariane… Le Festin de l’Araignée (3 cd Ondine)

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Albert Roussel (1869-1937)

Symphonies n°1, 2, 3 et 4.
Bacchus et Ariane, Le Festin de l’Araignée

(Suites d’orchestre)

Orchestre de Paris
Christoph Eschenbach
, direction


Le label Ondine
créée l’événement en mars 2008, en éditant le dernier opus de son intégrale des Symphonies d’Albert Roussel, associée à deux cycles orchestraux: les Suites Bacchus et Ariane et Le Festin de l’Araignée, d’après les ballets éponymes. Difficile de réussir à exprimer la flamboyance et la subtilité de l’orchestre de Roussel; une écriture ciselée et une orfèvrerie instrumentale qui comme c’est le cas de Prélude à l’Après-midi d’un faune de Debussy ou de Ma Mère l’Oye de Ravel, révèlent le niveau des orchestres et surtout la vision du chef… Nous avons exprimé dans ces colonnes, tout le bien de la lecture de Stéphane Denève qui chez Naxos amorce un cycle dédié aux Symphonies et aux ballets de Roussel, en tous points, convaincant sinon très prometteur.

Avec Christoph Eschenbach, à la tête d’un orchestre tout indiqué pour aborder ce répertoire, les choses ne sont pas aussi immédiates. Question d’imagination ou de compréhension profonde des oeuvres, question aussi de style: en chef germanique, le directeur musical de l’Orchestre de Paris semble parfois plus occupé par l’opulence et l’épaisseur, plutôt que la finesse, la transparence, la dentelle instrumentale… Eschenbach dirige sans véritable subtilité la musique de Roussel, s’attachant surtout à la captation distanciée des climats, le caractère de chaque tableau, en particulier dans les Ballets (Bacchus et Ariane et Le festin de l’Araignée). Les choses se compliquent avec les Symphonies où sans « prétexte » narratif (comme c’est le cas des Suites de ballets), le chef peine, alourdit, épaissit, caricature parfois la confrontation des pupitres: trop de cuivres, trop de basses, trop de percussions: souvent le geste se fait lourd, ratant les équilibres si essentiels entre pupitres, en rien doué de cette subtilité suggestive qui doit mener de bout en bout chaque mouvement. Bien souvent, la lecture carrée et parfois martiale, menée tambour battant, « à l’américaine », sonne parfois superficielle.

Mais tout n’est pas à écarter ici, dans cette intégrale des Symphonies, opportunément édité par Ondine, qui publie avec intelligence le legs symphonique de Roussel, au moment où le Châtelet produit Padmâvatî, opéra-ballet orientalisant dans lequel le couple Gedda/Horne a subjugué l’écoute, pour le studio (Emi), révélant une oeuvre envoûtante, et là aussi, le génie atmosphérique de l’auteur.

Poète et visionnaire
Peintre des atmosphères suspendues, de la houle symphonique, des brumes persistantes, superbement suggestives, Roussel déploie une sensibilité picturale, admirable poète des paysages éthérés mais aussi graves, profonds, doués d’une activité intérieure permanente, où à la façon d’un Sibelius, sur son ouvrage, le compositeur, semble questionner toujours, le sens et la ligne de son écriture. Que dire, où aller? Pour qui, pour quoi? Cette obsession tendue qui se manifeste en un foisonnement sonore continu apporte aussi sur le plan de la forme et des caractères de magnifiques accomplissement comme les Symphonies n°2 et 3. Les plus éblouissantes de leur auteur. En peintre de l’ombre, dans une palette de teintes sourdes, mystérieuses, Roussel semble traverser dans le murmure et la pure poésie, plusieurs tableaux de révélation, surnaturels et imprévisibles. Eschenbach garde son cap, dans la Symphonie n°3 par exemple, où l’ouverture étend ses horizons hallucinés, comme des voiles nocturnes graves et pénétrants, avant que le bref « Modéré« , n’étincelle par sa pulsation syncopée. Travail des climats, travail aussi de la ciselure instrumentale: l’Orchestre de Paris n’est jamais pris en défaut, et souvent là il faut imprimer de la motricité rythmique, un grain martial, dans l’esprit d’une marche, Eschenbach se montre à la hauteur du défi. Ecoutez dans ce sens l’Allegro Scherzando de la Symphonie n°4: le feu crépitant des instruments, la précision de la syncope rythmique, l’incise des bois et des cordes emportent l’allant irrépressible de la partition, comme une danse sur un volcan. C’est vif, alerte, nerveux, un rien piquant.


L’intégrale des Symphonies éditée par Ondine
nous offre en complément une sélection idéale des ballets d’Albert Roussel. En trois cd, disposant d’enregistrements réalisés à Paris (au Théâtre Mogador et au Conservatoire de Paris en 2005), l’auditeur possède la quintessence de l’art roussellien. On peut certes objecter d’un manque de profondeur poétique de la part du chef, mais certains mouvements menés avec conviction, comme l’excellente prestation des musiciens de l’Orchestre de Paris façonnent une parfaite entrée en matière, dans l’univers si complexe et envoûtant d’Albert Roussel. Soulignons la haute tenue des textes accompagnant chacun des enregistrements, rédigés par Damien Top, grand spécialiste de l’oeuvre d’Albert Roussel et auteur de la seule biographie digne d’intérêt (Albert Roussel, Séguier)

1. Symphonie n°1, opus 7, « Le Poème de la forêt ». Symphonie n°4, opus 35. Enregistré en juillet 2005 (1 cd Ondine). Il faut infiniment de franchise et de délicatesse, d’écoute au monde souterrain à cette mi-ombre qui fait le caractère spécifique du sous-bois: clarté enchanteresse filtrée par la végétation aérienne des arbres. La palette de Roussel, même dans la Symphonie n°1 qui dérive en un point d’accomplissement d’exercices symphoniques, est l’une des plus chatoyantes et des plus raffinées avec Debussy et Ravel. Et il faut reconnaître que chef et orchestre se sortent des sortilèges et nombreux pièges de la forêt rousselienne avec honneur. La vie sylvestre et la succession subtile des épisodes s’y trouvent exaltées avec un surcroît de vitalité rythmique souvent électrisante. Serait-ce l’un des meilleurs enregistrements de la série? Les deux Symphonies (février 2005) ayant été captées après la Suite de Bacchus et Ariane (juillet de la même année) qui nous a paru manquer d’ambivalence et de profondeur poétique, ont gagné avec l’expérience accrue de l’orchestre et surtout du chef. Plus de transparence et de respiration s’entendent ici (Renouveau et Faunes et Dryades) même s’il y a toujours de la part d’Eschenbach, une tendance à forcer le trait, à schématiser les rapports entre les pupitres. Avec la Symphonie n°4, l’équilibre qui faisait défaut tend à poindre: fusion détaillée sans lourdeur des bois, et des cordes, en particulier dans les deux premiers mouvements lents. Même le mordant dansant des deux allegros qui font suite, les ruptures de rythmes et les changements brusques de climats profitent d’une meilleure compréhension des nombreux registres de la partitions. Quel dommage que l’Orchestre pour ses 40 ans en 2007/2008, n’ait pas inscrit à nouveau ce cycle captivant: la richesse insondable du massif orchestral se prête aux multiples lectures et relectures. Les affinités de l’orchestre avec le monde de Roussel ressortent avec évidence.



2.
Symphonie n°2 opus 23. Bacchus et Ariane, opus 43, Suite d’orchestre n°1 et n°2. Enregistré en février et juillet 2005. Ce volet est très exactement emblématique de la « manière » Eschenbach. Les deux Suites de Bacchus et Ariane font valoir les limites de l’approche, en particulier dans les épisodes de pure rêverie où le fil narratif quitte la pulsation rythmique pour l’évocation des mondes intérieurs plus complexes (solitude d’Ariane au début de la Suite II). Mais lorsqu’il faut donner du relief instrumental, du nerf: la battue de l’orchestre assène sans se faire prier ses coups d’éclat. La Bacchanale finale regorge d’ivresse païenne, d’envoûtement triomphal qui fusionne la belle endormie hier esseulée suicidaire avec le beau Bacchus, divinité du rythme et de l’extase amoureuse. Cependant, la vision tend à se bonifier avec la Symphonie n°2, l’une des plus subtilement énoncées (en trois parties, la fin reprenant l’épisode introductif selon le principe d’un cycle), tout au moins à son début: brume climatique, entre ténèbres et mondes flottants, mystérieux. A défaut d’être vraiment convaincante, la lecture exalte un sens revivifié des accents et de la pulsation dans le mouvement central « Modéré » dont la franchise de la coupe rythmique emporte l’adhésion. Le relief des bois sur les cordes exhale un parfum d’ivresse onirique dans une pièce qui a le caractère d’un mouvement de danse. Il nous rappelle combien Roussel fut un immense compositeur de ballets. L’impression est globalement positive, à part les quelques réserves énoncées.


3. Symphonie n°3 opus 42. Le Festin de l’Araignée opus 17. Enregistré en mars et juillet 2005. Enregistrement live de mars 2005, la Symphonie n°3, le chef d’oeuvre de l’auteur, souffre d’un manque de délicatesse dynamique, une franchise dommageable dans la restitution des climats si envoûtants, en particulier dans l’Adagio, exprimant un sentiment d’âpreté tragique et vénéneuse, et d’exaltation primitive… Le Vivace n’arrange rien avec son côté grosse caisse, ses percussions mises trop en avant (défaut d’équilibrage dans l’enregistrement?)… Quand à l’esprit de pure allégresse qui doit emporter le mouvement final, l’absence de transparence et de pianissimi mesurés, et parfois des problèmes de justesse finissent par caricaturer le Finale. Même le solo du violon sonne aigre, bien peu envoûtant ou enchanté… c’est dire. La Symphonie est la moins réussie du cycle, d’autant que la récente lecture de Stéphane Denève (Naxos) emporte haut la main l’adhésion. Tout différemment sonne la Suite du Festin de l’Araignée, qui dévoile les qualités d’éloquence suggestive remarquées dans le cd des Symphonies 1 et 4, enregistré à la même période, en juillet 2005. La vie des insectes captive grâce à des cordes davantage en place, et aussi une attention plus ciselée du chef aux épisodes émotionnels de la partition: excellent finale, après la mort de l’héroïne quand la nuit sur le jardin déserté reprend ses droits…. De ce point de vue, Le Festin témoigne d’une meilleure approche que Bacchus. Pour le Ballet, le cd mérite amplement d’être écouté.

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