Après la retransmission de Boris Godouvov en octobre dernier, dont nous avons parlé, le Théâtre Auditorium de Poitiers nous proposait hier soir la retransmission de Lucia di Lammermoor en direct du Metropolitan Opera di New York. Cette oeuvre, composée par Gaetano Donizetti (1797 1848) sur un livret de Salvatore Cammarano a été créée avec succès en 1835 au Teatro San Carlo de Naples. Lucia di Lammermoor fait partie de longue date du répertoire du Metropolitan Opera de New York et est actuellement proposée dans la très belle mise en scène de Mary Zimmerman dont la création remonte à 2007. Comme en 2007 c’est Natalie Dessay qui incarne la fragile héroïne de Donizetti.
Une mise en scène qui sert d’écrin …
Mary Zimmermann nous replonge à l’époque de Donizetti avec sobriété et sensibilité, le grand trait de génie étant la présence en pointillé du fantôme de la fontaine que Lucia, qui attend Edgardo, évoque dans la scène de la fontaine du premier acte. Cette transposition du XVIIe siècle au XIXe siècle est d’autant plus réussie que les décors, les lumières et les costumes, somptueux, participent avec beaucoup de bonheur au succès de la soirée; La belle production pourtant datée de 2007 passe sans problèmes la reprise et nous ne pouvons que saluer la justesse de Mary Zimmermann qui donne vie au fantôme de la fontaine et qui le fait apparaitre ensuite au second acte comme pour rappeler le fatal destin de Lucia. Elle va jusqu’à étendre cette idée au suicide d’Edgardo dans la mesure ou c’est le fantôme de Lucia elle même qui aide le jeune homme à se poignarder.
… à une distribution homogène et inspirée
Pour cette production le Metropolitan Opera de New York a réuni une distribution de haut niveau qui prend les choses à bras le corps. Néanmoins Natalie Dessay qui incarne Lucia a quelques peines à démarrer et les défauts vocaux comme les micro coupures, les passages laborieux d’un registre à l’autre, la voix parfois blanche ont tendance à amoindrir l’excellente performance théâtrale de la soprano française et c’est seulement après le premier entracte que nous voyons enfin Natalie Dessay se reprendre et montrer un petit mieux sur le plan vocal. Grâce à un talent certain pour le théâtre, elle se rattrape largement. Ludovic Tézier incarne un Enrico impitoyable et cruel sans réel état d’âme. Même si le sextuor laisse percer une pointe d’humanité, la haine sera la plus forte provoquant ainsi directement le décès de Lucia; La taille de géant du baryton français rend les choses encore plus crédibles. La révélation de la soirée reste le ténor maltais Joseph Calleja qui incarne un Edgardo remarquable; dès le début de la représentation il laisse paraitre les sentiments contradictoires qui animent le jeune homme tiraillé entre l’amour, la jalousie et la haine. On ne peut qu’être admiratif face à une telle sûreté de métier. La confrontation entre Edgardo et Enrico, qui devient un duel de géants au vu de la grande taille des deux hommes, est d’autant plus exceptionnelle que chacun est déterminé à se venger de l’autre. Ce duo est régulièrement coupé ce qui est grand dommage car non seulement il laisse le temps au drame de se dérouler au chateau des Asthon, mais en plus il permet de réaliser à quel point la haine entre les deux familles est profonde et ancienne. Le Raimondo de la basse coréenne Kwangchul Youn est en deça des autres artistes sur le plan vocal mais il sauve la représentation en composant un chapelin émouvant tant dans le duo avec Lucia, qui passe malheureusement trop souvent à la trappe et qui constitue une très belle page de la partition, que dans l’air du troisième acte ou Raimondo décrit avec horreur le drame qui s’est déroulé dans la chambre nuptiale. Notons que le Normanno de Philipp Webb est assez décevant malgré la brièveté du rôle alors que l’Arturo de Matthew Plenk fait découvrir un jeune ténor prometteur, saluons également la mezzo Théodora Hanslowe qui incarne une belle Alisa et quel dommage qu’elle n’ait que quelques répliques dans la scène de la fontaine.
Une direction musicale attentive mais…
Dans la fosse Patrick Summers dirige l’orchestre et les choeurs du Metropolitan Opera avec une attention soutenue à ce qui se passe sur le plateau; il ne peut néanmoins empêcher son orchestre de partir en tous sens lors de la courte introduction instrumentale. Cependant malgré cette gênante erreur de parcours, le chef américain permet à ses artistes de pouvoir s’exprimer sans être couverts par l’orchestre. Nous regrettons également que la cadence, bien que non écrite et rajoutée par des générations de titulaires du rôle, de la scène de la folie ait été chantée a cappella et non accompagnée par la flûte solo comme cela se fait en général. Au final, la direction est très honorable mais outre l’introduction que l’orchestre a écorché, il manque un petit quelque chose qui aurait pû faire de l’interprétation instrumentale un grand moment de musique.
Si nous avons passé une excellente soirée, nous regrettons que des ratés, tant à l’orchestre que sur le plateau, se soient glissés ici et la en cours de représentation nous empêchant ainsi de voir une Lucia impeccable à tous niveaux. Le niveau n’en reste pas moins élevé avec une très belle mise en scène agrémentée de costumes et de décors somptueux et un plateau qui est dans l’ensemble, homogène.
Poitiers. Théâtre, le 19 Mars 2011. Lucia di Lamermoor de Gaetano Donizetti (1797 1848). Opéra en trois actes.Livret de Salvatore Camaranno tiré de La fiancée de Lamermoor de Walter Scott. Créé le 26 Septembre 1835 au teatro San Carlo de Naples. Patrick Summers (Direction Musicale); Mary Zimermann (mise en scène); Daniel Ostling (décors); Mara Blumenfeld (costumes); T.J. Gerckens (lumières); Daniel Palzig (chorégraphies). [Opéra chanté en italien avec sous titres en français] avec : Natalie Dessay (Lucia); Joseph Calleja (Edgardo); Ludovic Tézier (Enrico); Kwangchul Youn (Raimondo); Théodora Hanslowe (Alisa); Matthew Plank (Arturo); Philipp Webb(Normanno); choeurs et orchestre du Metropolitan Opera de New York. Compte rendu rédigé par Hélène Biard, envoyée spéciale à Poitiers.