jeudi 22 mai 2025

COMPTE-RENDU, critique concert. FESTIVAL PRINTEMPS DES ARTS DE MONTE-CARLO 2020. Récital Aline Piboule, piano.

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aline-piboule-printemps-arts-monte-carlo-2020-critique-concert-critique-piano-classiquenewsCOMPTE-RENDU, critique concert. FESTIVAL PRINTEMPS DES ARTS DE MONTE-CARLO 2020. Récital Aline Piboule, piano (14 mars 2020). L’épidémie de Coronavirus aura finalement eu raison du Festival Printemps des Arts de Monte-Carlo, qui devait se dérouler du 13 mars au 11 avril 2020. Arrivés en fin d’après-midi, nous gardions un maigre espoir que la manifestation culturelle monégasque tienne, en dépit  du contexte et des annulations partout ailleurs. Deux heures avant le concert inaugural, le couperet est tombé. Le Festival n’aura pas lieu. Un récital a été maintenu cependant, en comité restreint, dans l’Opéra Garnier fermé au public.

 

 

 

« AU COMMENCEMENT ÉTAIT LA FIN… »

 

On avait quand même envie d’y croire. Le jour-même, la soprano Véronique Gens, et l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dirigé par Kazuki Yamada avaient longuement répété le somptueux programme du concert inaugural (Ohana, Chausson). La délégation du Québec en France, la directrice du Musée des Beaux-Arts de Montréal, Le conservateur de l’art québécois et canadien, étaient là. Nous, les journalistes, venions d’arriver. Tout était sur le point de commencer, quand la décision du Gouvernement Princier est arrivée, sans surprise. Nous avons recueilli de Marc Monnet, le conseiller artistique du Festival, ses réactions sur cette situation sans précédent:

« Je m’y attendais. Comme la France avait annoncé des restrictions fortes, je savais que Monaco allait suivre. Je ne l’avais pas imaginé concrètement, mais je l’avais prémédité. J’avais prévenu l’équipe du risque de ne pas aller jusqu’au bout. »

Dans une émotion maitrisée et un calme impassible, il nous confie: « Il faut garder la tête froide, cette situation personne ne l’a jamais connue. Tout est arrêté: l’opéra, l’orchestre, les ballets, cela partout. Nous sommes devant quelque chose d’impensable, dans cette incapacité à concevoir ce qui arrive, parce qu’on se trouve face à un arbitraire brutal. On vous dit d’un seul coup : vous ne travaillez plus! Ce n’est pas seulement violent, sur le moment vous trouvez aussi cela tellement irrationnel! Pour ma part, bien loin de m’en réjouir, j’étais préparé psychologiquement parce que j’ai senti venir cela. Je ne suis pas dans l’émotionnel, mon expérience m’a permis d’acquérir un système de défense face à ces circonstances, par la prise de distance et l’attente. »

Toute chose ayant un prix, a fortiori une manifestation de cette ampleur et de cette qualité de préparation et de programmation, nous lui en demandons son estimation au sens large, au-delà de l’aspect financier: « Avant tout c’est le public qui est touché. Nous ne le sommes pas au même titre. Nous formons une équipe qui travaille pour réaliser quelque chose à destination du public. Nous pensons à la frustration de milliers de spectateurs, de festivaliers qui n’entendront, ne verront rien. Cela équivaut à une sorte de punition. Il y a un prix à payer c’est évident. A ce jour, je ne suis pas en mesure de l’évaluer, d’en parler. Sur le plan financier, il nous faudra deux à trois semaines pour apurer la situation, étudier tous les contrats, les conditions d’annulations. Beaucoup de dépenses déjà réalisées comme les billets d’avion, les chambres d’hôtels, sont pures pertes. Les recettes seront nulles, car nous rembourserons les billets. Il nous restera probablement de l’argent, mais pour quoi faire? Déplacer le festival tel qu’il a été programmé dans six mois? Cela me paraît peu envisageable. »

Mais alors, lorsque la vie aura repris son cours normal, d’ici quelques mois, une manifestation de substitution d’un format différent, plus resserré par exemple, est-elle imaginable? « Peut-être, nous dit-il, mais je pourrai vous en parler plus précisément dans un mois probablement, quand nous aurons fait une analyse complète de la situation et quand nous connaîtrons la position du Gouvernement Princier. Voudra-t-il récupérer l’argent résiduel dans ce contexte de crise et reporter à l’année prochaine son soutien financier? Pour le moment nous ne le savons pas. Et puis nous ne savons rien encore de l’évolution de l’épidémie, qui pourrait durer plus longtemps qu’on ne pense et compromettre tout report. Nous sommes dans une situation totalement instable. »

Le Québec était cette année invité au Festival. Que restera-t-il de sa présence qui devait se manifester dans toutes les formes d’arts? « Quasiment rien si l’on considère tout ce qui avait été mis en place. Cette très belle exposition sur l’art inuit, réalisée par le Musée des Beaux-Arts de Montréal, ainsi que les deux sculptures lumineuses que l’on a fait venir, qui vont demeurer à Monaco pendant un mois, mais combien les verront? Nous désirons ardemment reconduire ce partenariat avec le Québec: l’entente et la collaboration étaient excellentes, et même très plaisantes. La déléguée du Québec ici présente a elle aussi vraiment envie de reconduire ce projet et de parvenir à lui donner vie. Comment? Nous ne le savons pas encore… »

Le récital de la pianiste Aline Piboule a eu lieu « en privé », ce samedi 14 mars. Marc Monnet s’en explique: « Nous allons écouter ce soir une musique qui n’est jamais jouée. Je voulais que le public entende ces œuvres que je trouve vraiment intéressantes, dont la dernière du programme qui est pour moi un chef-d’œuvre (les Clairs de lune d’Abel Decaux, ndlr). J’ai demandé à Aline Piboule de monter ce programme que personne n’a à son répertoire. Cela fait un an qu’elle travaille sur ces pièces. D’autre part son enregistrement est programmé et le public pourra l’avoir et l’écouter. Aline Piboule est arrivée hier soir. Elle a répété. Je me suis dit qu’elle ne pouvait pas repartir sans jouer son programme. Il fallait trouver une idée. »

Deux créations étaient programmées: « Les deux créations de Gérard Pesson et de Yan Maresz seront reportées, de toute évidence. Mais certains musiciens qui devaient être là resteront avec un sentiment de frustration, et nous ne pourrons rien faire. Nous sommes tous à la même enseigne, et pour le moment il n’y a aucune réaction possible. La plus grande sagesse est d’attendre. »

 

 

 

LES NOTES DE L’AU-REVOIR…

 

GetFileAttachmentLes portes de l’Opéra Garnier se sont fermées derrière nous. Un silence très spécial règne dans la salle, où une poignée d’invités a pris place, disséminés ici et là, sous les fresques et les stucs dorés. Une émotion indéfinissable nous envahit. Le piano Bösendorfer se détache soudain du rideau de velours dans le halo d’un projecteur. Le pas d’Aline Piboule résonne sur le plancher de la scène, sa silhouette d’or semble raviver les lustres d’une ère éteinte, puis la magie de la musique estompe l’étrange silence. Aline Piboule est l’une des rares pianistes à oser, proposer des programmes incluant des œuvres rares du XXème siècle, et Marc Monnet, qui l’avait invitée l’année dernière, savait à qui il s’adressait lorsqu’il lui a demandé de composer celui-ci. Elle nous fait découvrir la richesse insoupçonnée d’un répertoire français contemporain des œuvres de Debussy, Fauré, Ravel, mais de compositeurs quasiment ignorés. Le triptyque « Sillages » de Louis Aubert, nous saisit de ses magnificences sonores. Elle déploie en grandes ondes puissantes « Sur le rivage » (N°1), parcourant les couleurs prononcées des registres du Bösendorfer, dont la personnalité file le parfait accord avec ce répertoire. Arrivent des gerbes de lumière aveuglante, soulevées par d’éclatants accords, qui jaillissent et nous projettent vers l’infini d’un horizon, et puis ces sombres mystères qu’elle saisit au creux de ses harmonies subtiles. Avec quelle touchante justesse elle pénètre l’esprit de cette habanera désabusée, qui tente, sans y parvenir, de conjurer le glas de Socorry (n°2)! « Dans la nuit » (n°3) en efface le souvenir avec ses fugitives et fulgurantes visions. Aline Piboule fait montre d’une maîtrise infaillible dans « Types » les redoutables portraits brossés sur trois portées par Pierre-Octave Ferroud dans la France des années folles, en relève le piquant, dans leurs vifs changements de registres. Elle conjugue  les rondeurs sonores d’un chant admirablement conduit, et les aigus chatoyants du « Clair de lune au large », deuxième pièce des Chants de la Mer de Gustave Samazeuilh, créés en 1920 . On lâche prise avec la déroutante réalité pour ce moment de rêverie qu’elle nous offre, voguant au gré de ses harmonies, de la gamme par ton, au chromatisme puis au modal vaguement orientaliste. Composés à la naissance du XXème siècle mais créés aussi en 1920, les Clairs de Lune, cycle de quatre pièces d’Abel Decaux, sont injustement tombés dans l’oubli, tout comme leur auteur. Ce compositeur visionnaire impose un langage atonal avant même Schönberg, mais dans une poésie symboliste et figurative qui nous introduit dans des atmosphères troublantes, inquiétantes…la rêverie tourne au cauchemar, dès le premier « clair de lune » et ses douze coups de minuit assénés dans les graves d’airain du piano. Aline Piboule donne aux trois premières pièces cette résonance morbide et glaçante, jusque dans leurs silences marqués de points d’orgue, nous fait froid dans le dos dans « la Ruelle » (n°2), fantomatique, dans « Le Cimetière » ébranle les accords d’un Dies Irae transformant le piano en lourdes cloches de plomb. « La Mer » est un pur bijou impressionniste, composé en 1903, quelques années avant « Ce qu’a vu le vent d’ouest » et « La Mer » de Debussy. Quel sens du relief et des couleurs particulièrement expressif, lorsqu’émergent des noires et troubles profondeurs, des irisations, de légers scintillements, des surfaces sonores sous des effets de brise!

Dans le contexte inédit et déstabilisant que nous vivons, Aline Piboule en grande artiste aura tenu le gouvernail de ses émotions pour nous livrer un concert magistralement interprété, concluant par un délicat « Feuillet d’album » d’Emmanuel Chabrier, touche de légèreté bienvenue: quelques notes pour un au-revoir, sans pathos, un baume pour nos cœurs gros, nos esprits chagrins, bien conscients d’avoir eu ce soir ce qu’ils n’entendront plus avant un certain temps…

 

 

Photos : concert d’Aline Piboule en mars 2020 à Monte-Carlo © Jany Campello / portrait par Jean-Baptiste Millot

 

  

 

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