mardi 29 avril 2025

L’Ombre de Monteverdi : La querelle de la nouvelle musique « Æsthetica », Presses Universitaires de Rennes

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La Querelle Artusi/Monteverdi

Comment et pourquoi le chanoine Giovanni Artusi habité par un conservatisme audacieux a-t-il pu mettre en doute et critiquer violemment l’écriture du génial Monteverdi? Voici au coeur de son propos acide et argumenté, la traduction française de son fameux pamphlet: « L’Artusi, ou des imperfections de la musique moderne » édité à Venise en 1600. La publication est d’autant plus remarquable que l’éditeur comme un fac-similé, respecte les illustrations, vignettes d’époque, et surtout les annotations musicales élaborées par Artusi dans sa démonstration. Les noms et références ont été réorthographiés nous disposons donc d’une source originelle, intégrale, parfaitement lisible.
C’est en effet dans la Cità que le compositeur visionnaire a élaboré ses meilleurs madrigaux, ses opéras, ses Messes et Sonates…
La date est un repère fondateur lui aussi: avec l’avènement baroque, c’est tout un monde (celui de la prima prattica propre à la Renaissance et au XVIè) qui doit disparaître, se renouveler, produire les modes à venir.
Dans le cas d’Artusi, la rudesse des reproches exprime une posture esthétique d’autant plus radicale et volontaire qu’il s’agissait pour l’auteur de détruire la musique nouvelle dont il sentait bien, sans en analyser les enjeux véritables, qu’elle était la musique de l’avenir. Comment ne pas allusivement penser à l’évocation du duo Artusi/Monteverdi en 1600, celui tout autant captivant, Rousseau/Rameau au XVIIIème, dont les traités et réponses argumentés ont posé tout autant les jalons de la pensée musicale « moderne ».

Le père Artusi développe une vision particulière de la musique et du monde, une sphère ancienne et obsolète qui peut être estimée comme le chant du cygne d’un ordre condamné où prime sur toute autre valeur: l’unité divine, la figure admirable du Créateur. L’approche de Claudio est toute autre: immergée dans l’expression des passions humaines, le compositeur entend articuler d’une nouvelle façon le texte auquel sont soumis harmonie, rythme, mélodie. Au delà des propositions, ce sont les finalités de la musique qui sont en jeu. Quel projet, quel sens pour la musique?
Eternelle question des anciens contre les modernes, et querelle aussi capitale dans l’histoire de la musique que celle, tout autant politique qu’esthétique du XVIIIè (Querelle des Bouffons, 1752, que nous venons d’évoquer en parlant de Rousseau et de Rameau). A l’aube du 17è, s’opposent deux hommes, deux visions du monde, deux conceptions musicales.

Le savant ne manque pas d’arguments: sous la forme traditionnelle du dialogue platonicen (entre Luca et Vario), Artusi expose critiques, objections, contreobjections, contre les madrigaux de Monteverdi (qui en 1600 ne sont pas encore aussi révolutionnaires que ceux postérieurs!), porté par une conception théorique de l’équilibre et du tempérament égal.
En réponse, Monteverdi produit un aboutissement musical, une somme exemplaire dans son 8è Livre de madrigaux (Venise, 1638). Or le génie musical ne se satisfait pas uniquement de science: l’instinct, l’expérimentation, l’écriture concrète offre un perfectionnement final lié à la pratique qui peut battre en brèche, des colonies de théorème. Face à l’idéalisme platonicien d’Artusi, se précise avec un degré d’intensité jamais posé jusque là, « ce mystère de l’expérience » qui dans le texte et la parole (donc le chant), résout la fusion fascinante du corps et de l’âme…

En ce sens Rameau, pourtant taxé d’érudition et de pédantisme, reste a contrario des jugements familiers, forcément réducteurs, un compositeur qui saisit par son naturel, son goût, sa justesse expressive, dramatique, émotionnelle, sa franchise, sa vérité. Or toucher le coeur et l’âme du spectateur, émouvoir, saisir autant qu’édifier, est aussi le projet essentiel de Monteverdi, un siècle auparavant… Au final les critiques et les pointes acérées d’Artusi ciblent tout ce qu’a de « moderne », de visionnaire, de juste in fine, la musique et l’écriture de Monteverdi. Le brûlot précise ce en quoi l’écriture montéverdienne demeure géniale sur le plan esthétique, mais aussi politique et sociale.

En définitive, le « Crémonais » aura tout inventer, et comme le titre de l’ouvrage le précise (ou le rappelle), nous sommes bien les héritiers de sa pensée et de son travail: la musique classique n’a pas dépassé aujourd’hui son ambition: nous sommes bien, tous, spectateurs, interprètes, compositeurs, dans « l’ombre de Monteverdi ». Merci donc à Artusi de produire l’effet inverse à son propos initial: plutôt que de rompre l’édifice montéverdien, il en souligne les clés fondatrices, la valeur inestimable, peut-être même inégalée.

L’histoire a donné raison au grand Claudio, véritable fondateur de l’opéra moderne, d’Orfeo (1607) à Poppée (1642), initiateur d’un art lyrique et musical, saisissant par son réalisme et sa vérité, sa tendresse et son cynisme, en une forme résolue.


Bisaro Xavier, Chiello Giuliano, Frangne Pierre-Henri: L’Ombre de Monteverdi : La querelle de la nouvelle musique (1600-1638)
: L’Artusi, ou des imperfections de la musique moderne de Giovanni Artusi (1600). « Æsthetica », Presses Universitaires de Rennes, Rennes 2008. 224 pages. Parution: février 2009.

Sommaire

Studiosi lettori… Aux studieux lecteurs
L’ombre de Monteverdi : des dangers de la musique moderne
Argument des deux dialogues
Principes de traduction et d’annotation

L’Artusi, ou des imperfections de la musique moderne
Épîtres dédicatoires et adresse aux lecteurs
Première dissertation
Seconde dissertation

Illustrations: Claudio Monteverdi, Giovanni Artusi (DR)

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