lundi 5 mai 2025

Paris. Palais Garnier, le 1er décembre 2008. Raymonda (Petipa, Glazounov) version Noureev, 1983. Marie-Angès Gillot, Nicolas Le Riche… Orchestre Colonne. Kevin Rhodes, direction

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Du songe à la réalité…

S’il est un modèle du grand ballet romantique, idéalement déployé, florissant même après Tchaïkovski, Raymonda aux côtés de La Bayadère,
est évidemment l’un des plus fastueux. D’autant que sur le plan formel,
l’oeuvre tire bénéfice de ses registres oniriques (thème de
l’endormissement et du rêve de Raymonda), mêlant très astucieusement
songe et réalité, intrusion d’un Orient captivant dans un cadre
« classique »… Il en découle un spectacle total et spectaculaire qui poursuit ainsi,
pendant les fêtes de Noël, sa carrière très plébiscitée, après d’un
public venu de plus en plus nombreux (à juste titre).

Rudolf Noureev devenu directeur de la danse à l’Opéra de Paris,
monte le spectacle préconçu par Petipa, dont il règle et ajuste, en
faiseur enchanté, le foisonnement des pas et des combinaisons (déjà
novatrices puisque le ballet initial de Marius Petipa comptait, fait
inédit, un pas de quatre de garçons!)… En novembre 1983, le nouveau
directeur sait imposer un style bien à lui, qui puise dans ses origines
slaves s’appuyant sur la musique de Glazounov, moins occidentale que
peut l’être celle de Tchaïkovski dans Casse-Noisette ou Le Lac des cygnes.
Car le compositeur qui inaugure alors son premier ballet avec Petitpa
pour la scène du Mariinski se montre plein d’idées musicales
flamboyantes, mêlant la riche séduction mélodique de son maître Rimski,
à la santé plus directe d’un Borodine. De plus, Noureev n’hésite pas à
redessiner le personnage du Sarazin (Abderam), lui conférant une
présence scénique nouvelle quant Petipa le confinait à la pantomine…

De fait, la production de l’Opéra de Paris telle que France 3 en
diffuse un savant montage de plus d’une heure, ce 25 décembre prochain
à 15h (dans la case désormais rituelle du ballet de Noël, chaque 25
décembre dans l’après midi, comme il existe le jour de l’an, la
retransmission en direct du Concert de la Philharmonie de Vienne),
montre ce qu’apporte Noureev au ballet initial: une créativité
débordante sur le plan de la technique classique et surtout, un
personnage étoffé, celui d’Abderam, amoureux lascif et fier, d’une
élégance orientale idéalement égyptienne, c’est à dire raffinée,
nerveuse, féline (comme un guépard). On sait que c’est pour le danseur
étoile Charles Judes que Nourrev écrivit le rôle: une figure sanguine
et sensuelle, incarnant le désir et le troublé semé dans l’esprit de la
trop vertueuse et si chaste Raymonda…
En définitive, le personnage d’Abderam est bien le plus captivant… et
sans lui, le IIIè acte paraît bien terne, sauf peut-être dans la danse
soliste de Raymonda qui certainement fascinée par ce bel éphèbe
étranger, reproduit jusqu’à quelques pas, empruntant à son allure
désormais mémorable, certaine pose spécifique. La jeune femme
aurait-elle succombé secrètement au parfum captivant d’Abderam? On peut
légitimement le supposer. Il appartient ainsi à la danseuse étoile de
restituer cette métamorphose à l’oeuvre dans l’esprit du rôle-titre:
après avoir été l’objet du désir, Raymonda ne sera plus tout à fait la
même…

Cette incursion orientalisante dans le ballet classique, portée
magnifiquement par la diversité thématique de la partition de
Glazounov, fait toute la saveur de Raymonda: foisonnante démonstration
dansée où contraste la variation classique d’esprit romantique avec une
pure féerie arabizante, (comptant même son « espagnolade », à l’acte II).
Le spectacle est total car il nécessite tout le Corps de ballet de
l’Opéra, pas moins de 40 danseurs sur la scène en plus du trio des
protagonistes. Si dans La Bayadère, l’héroïne est aimée par deux femmes, l’inverse se réalise dans Raymonda
qui est aimée par deux hommes. Certes Julien de Brienne, l’image du
prince romantique parfaitement lisse, tue l’étranger… mais ce dernier
s’impose indiscutablement dans la chorégraphie de Rudolf Noureev: le
pas de trois qu’il développe avec deux de ses gardes est un emblème du
Ballet: ambivalent, trouble, d’une lascivité affleurante, conspirant
contre l’image d’épinal du ballet romantique et de son couple
(homme/femme, Prince/Ballerine), trop convenable.


Etoiles au sommet de leur éclat

Dans la production 2008, le trio des solistes tient magnifiquement
l’affiche et relève les maints défis d’un ballet hypervirtuose. Mais en
plus de la technicité et de la précision, évidente, indiscutable dans
les nombreux tableaux collectifs, la mise en scène et les décors
supervisés par Noureev, enchantent le regard. Présence des draperies et
des voiles aux motifs orientaux, coloration plus slave qu’occidental de
ce Moyen-Age convoqué: tout concourt à l’enchantement des sens et fonde
la magie opérante de cette production époustouflante, qui se déroule
telle un superbe livre d’images…
L’idée de France 3 de la reprendre pour son désormais rv rituel de
Noël, le 25 décembre prochain à 15h, est légitime. Comment ne pas être
absorbé par la magie des 3 protagonistes: Nicolas Le Riche
(silhouette animale et souple, son Abderam est magnifiquement abouti,
d’une réelle étoffe scéniqu et psychologique, sachant incarner le
profil provocateur et fier, conçu par Noureev), José Martinez (élégant et aérien), surtout Marie-Agnès Gillot qui poursuit une carrière dans l’excellence, après Signes ou Orphée et Eurydice.
Sa Raymonda s’impose au diapason du naturel, de l’élégance, de la
précision, offrant dans ses duos avec Abderam, toutes les facettes
ténues du trouble qui la saisit progressivement: cet envoûtement
graduel de la Ballerine, exposé aux ravages du désir orientalisant,
colore peu à peu son propre jeu. Le songe devient peu à peu secrète
obsession: du rêve à la réalité, la présence de l’oriental se précise
et bientôt la captive, certes inconsciemment, mais le Sarrazin offre
une image mémorable dont la figure se relève inoubliable dans l’esprit
de la jeune femme…

Saluons parmi la jeune génération des Etoiles de l’Opéra de Paris, la
silhouette acrobatique d’un abattage technicien nerveux et souple de la
jeune Etoile toulousaine, Dorothée Gilbert
qui demain pourrait bien assurer à la Maison parisienne, le renom
défendu par ses aînées Marie-Agnès Gillot et Agnès Letestu… entre
autres. Même le corps de Ballet, (pas de deux, de trois, de quatre…)
montre aujourd’hui le niveau professionnel de la troupe, alliant dans
le respect des souhaits de Rudolf Noureev, cette frénésie des pas
(comme une horreur du vide et de l’épure) et surtout, l’enchantement né
de la poésie des tableaux, qu’ils soient à 2, 3 ou 4, ou collectif.
superbe production dont on comprend que le Palais Garnier la mette à
l’affiche pour la période de Noël 2008. Dommage que l’Orchestre Colonne
ne saisisse pas toutes les nuances et les finesses de la partition de
Glazounov: l’éclectisme orientalisant de l’écriture est souvent lissé
voire réduit ou schématisé, au détriment du flamboiement et de lyrisme
intime, qui sont au coeur de la musique.

Paris. Palais Garnier, le 1er décembre 2008. Raymonda (Petipa, Glazounov), version Noureev 1983. 100 ème représentation. Ballet en trois actes. Sujet de Lydia Pachkoff et Marius Petipa. Marie-Agnès Gillot (Raymonda), José Martinez (José de Brienne), Nicolas Le Riche (Abderam), Dorothée Gilbert (Henriette), Emilie Cozette (Clémence), Josua Hoffalt (Béranger), Florian Magnenet (Bernard)… Orchestre Colonne. Kevin Rhodes, direction

Illustrations: Raymonda au Palais Garnier 2008
1. Ramonda et Abderam (Marie-Agnès Gillot et Nicolas Le Riche)
2. Les mêmes
3. Raymonda, Julien de Brienne et Henriette (Marie-Agnès Gillot, José Martinez et Dorothée Gilbert
© J.Benhamou / Ballet de l’Opéra national de Paris

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