vendredi 29 mars 2024

Paris. Théâtre des Champs Elysées, le 29 novembre 2008. Joseph Haydn : La Création. Christina Landshamer, soprano, James Gilchrist, ténor. Orchestre des Champs-Élysées. Philippe Herreweghe

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Une arche poétique vers la lumière

La Création, dernier oratorio de Haydn, composé 22 ans après un premier essai, Le Retour de Tobie, est le fruit miraculeux d’un sexagénaire célébré dans toute l’Europe, génie de la culture et de la musique des Lumières. Dans cette évocation des origines de notre monde, aucune ombre ne vient corrompre ni menacer la délicate architecture harmonique: depuis l’essor du monde de lumière à partir du néant et du vide originel, de la terre naissante à l’océan primordial, aucune espèce terrestre ne fait tâche au tableau.

C’est un paysage classique à la façon de Claude Gellée ou de Poussin, où l’homme et la femme primitifs, Adam et Eve ne connaissent pas encore le désir, l’envie, la volonté de puissance et de connaissance… l’idée même du péché en est totalement exclue. D’emblée, la vision habitée, serrée, attentive de Philippe Herreweghe souligne dans la partition ce qui fonde justement sa mesure, son équilibre, sa transparente éloquence, sa sublime clarté.

Tous les grands baroqueux ont plongés dans cette océan vertueux où l’orchestre occupe à l’égal des voix, une partie première. Car la musique n’illustre pas. Elle exprime. Et le chatoiement des couleurs, comme la palette infini des accents, défendu par les instrumentistes relève, avant la Pastorale de Beethoven, du meilleur peintre: un plasticien doué d’une sensibilité supérieure qui sait brosser son paysage en teintes vives, nuancées, nerveuses, palpitantes. Philippe Herreweghe mène depuis ses débuts avec l’Orchestre qu’il a fondé, un travail unique sur la sonorité, la couleur, l’expression. Difficile d’écouter orchestre plus détaillé, plus analytique: le relief et la fluidité de chaque musicien de l’Orchestre des Champs-Elysées qui revisite aujourd’hui, avec quel tempérament, Mahler et Bruckner, comme Schumann, ne sacrifie aucune nuance ainsi préservée si elle ne sert le souffle, la tension comme la progression de l’architecture musicale. Car le chef sait édifier dans la clarté l’étagement des pupitres, leur dialogue amoureux, cet allant triomphal qui sans solennité ni emphase mène inéluctablement à son but final: la célébration de la lumière comme manifestation éloquente du miracle divin.

Le Grand oeuvre musical
Dieu a mis tout son génie dans sa création dont la perfection nous revoie à ce monde idyllique et parfait que chantent en témoins et narrateurs, aussi éblouis que nous le sommes, les 3 anges solistes: Uriel, Gabriel et Raphaël… Si l’on peut regretter le manque d’implication de la basse Yorck Felix Speer, d’une bien placide platitude (en rien touché par le spectacle divin que déploie tout l’orchestre), les deux autres solistes a contrario ne sont pas en reste: Christina Landshamer ourle avec délicatesse et un vibrato naturel, chacune de ses évocations quand le ténor James Gilchrist, familier de l’oeuvre, (plutôt en anglais), articule, s’exclame, dramatise avec le panache (et la musicalité) que nous lui connaissons.

Le geste d’Herreweghe s’impose certes par cet équilibre articulé de chaque famille d’instruments mais surtout par sa profondeur poétique: on sait combien Haydn, fasciné par l’exemple des oratorios de Haendel a souhaité relever le défi du genre mais en l’adaptant à la langue allemande, grâce à la traduction du Baron Gottfried Van Swieten. Le chef flamand exprime particulièrement cet esprit de candeur et d’innocence, ce sentiment continûment extatique qui inspire aux solistes leurs plus beaux airs. Entre extase, grâce, voire béatitude, chef et musiciens, complétés par un choeur impliqué, ne cèdent jamais à la facile ampleur, au pathos surpuissant: c’est une fresque sans pesanteur qui du début à la fin, nous porte, comme suspendus, dans un monde idéal et aérien (en liaison avec les valeurs maçonniques défendues par Haydn). A défaut d’écouter chanteurs solistes électrisants, le fini sonore de l’orchestre est jubilatoire grâce à cette mesure et cette finesse désormais emblématiques.

Paris. Théâtre des Champs Elysées, le 29 novembre 2008. Joseph Haydn (1732-1809) : La Création. Christina Landshamer, soprano, James Gilchrist, ténor ; Yorck Felix Speer, basse. Collegium Vocale Gent. Orchestre des Champs-Élysées. Philippe Herreweghe, direction

Illustrations: Philippe Herreweghe (DR). Claude Gellée dit « Le Lorrain »: Paysage classique (DR)

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