Compte rendu, opéra. Paris. Bouffes du Nord, le 20 avril 2018. John Gay : L’opéra des gueux. Beverly Klien, Kate Batter, Benjamin Purkiss, musiciens des Arts Florissants. William Christie, direction musicale et clavecin. Robert Carsen, co-adaptation du livret et mise en scène.Résurrection insolente et heureuse du Beggar’s Opera (« Lopéra des gueux ») de Gay/Pepusch grâce aux talents concertés de Robert Carsen et des Arts Florissants, en co-production au Théâtre des Bouffes du Nord. L’ancêtre de la comédie musicale par excellence est une pièce controversée voire scandaleuse dès sa création en 1728. Elle est ici accueillie dans une nouvelle production/adaptation 100% anglophone (fort heureusement!) et 100% pertinente !
Comédie musicale ou pastiche ?
L’oeuvre de John Gay est une « ballad opera » propre à l’Angleterre du début du XVIIIe siècle. Gay n’est pas musicien mais auteur et dramaturge. Il « compose » l’opéra des gueux en se servant des mélodies du folklore écossais, anglais, irlandais et même français, plus des nombreuses citations voire reprises des opus des compositeurs tels que Purcell, Haendel, Frescobaldi, Buononcini et… Pepusch. Ce dernier est considéré comme le responsable de l’arrangement musical des pièces hétéroclites. Il s’agit là d’une anecdote dont la véracité n’a jamais pu être établie, par contre nous savons qu’il était le chef d’orchestre de la création en 1728.
Il n’y a pas de version ou édition définitive de l’oeuvre, en partie à cause de sa nature. Remarquons notamment l’adaptation de Benjamin Britten, ou encore l’opéra des quat’ sous de Weill également. Puisque nous nous trouvons au Bouffes du Nord, le souvenir du film de Peter Brook, ancien directeur du théâtre, datant de 1953 est fort présent.
L’histoire, une critique acerbe du temps, explore des sujets tabous, sans réserve et sans pudeur. L’ordre social et économique est le terrain sur lequel les excellents acteurs-chanteurs engagés crachent et forniquent, et les conventions sociales se portent, se salissent et se jettent comme des vieilles fringues que nous gardons au placard par habitude et conditionnement.
Humour scandaleux pour tous !
Robert Carsen avec son dramaturge fétiche Ian Burton, signe une adaptation où la question capitaliste et sexuelle s’exposent avec franchise, et la troupe brille en cohésion et investissement, et ce sans avoir forcément les fous-rires encourageants d’un public non-anglophone. L’intégration de la danse (excellente chorégraphie de Rebecca Howell) et de la musique (William Christie et ses musiciens des Arts Florissants habillés en gueux jouant les mendiants hystérisés à côté) est une réussite qui sert et magnifie davantage le propos et l’expérience théâtrale, musicale et esthétique.
Le casting est très large et 100 % anglophone, ce qui assure rythme et punch. Beverley Klein en Mrs. Peachum est un tour de force comique. Le couple principal de Polly Peachum et Macheath, interprétés par Kate Batter et Benjamin Purkiss respectivement, est fantastique. Elle, rayonnante de naïveté et lui, séducteur blasé assumé. Si la musique a une place peut-être moins importante que le théâtre, la performance vocale et instrumentale est digne. Les nombreux chœurs sont notamment d’un grand impact.
Une résurrection heureuse, intéressante et pertinente. Un spectacle unique dont la beauté plastique typique de l’oeuvre de Carsen s’accorde mystérieusement à l’aspect acerbe, scandaleux et choquant de l’oeuvre. A consommer sans modération aux Bouffes du Nord jusqu’au 3 mai 2018 puis en tournée internationale, repassant par la France jusqu’en 2019.
Sabino Pena Arcia.