dimanche 15 juin 2025

Fromental Halévy, La Juive Programme de l’Opéra national de Paris (Production présentée à l’Opéra Bastille du 16 février au 20 mars 2007)

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La Juive qui a fait son grand retour sur la scène de l’Opéra parisien en février et mars 2007, reste l’événement de la saison lyrique de la Maison. La reprise offre, enfin, l’occasion au grand public, de renouer avec le « grand genre », initié avec Rossini (Guillaume Tell) et incarné dans l’imaginaire commun par Les Huguenots de Meyerbeer. La Juive, moins connue, rappelle que bon nombres d’ouvrages du passé, pourtant applaudis à tout rompre comme c’est le cas de l’opéra de Halévy, -jusqu’en avril 1934-, méritent un nouvel éclairage.

En parallèle aux représentations parisiennes, Gérard Mortier a organisé un colloque sur la signification de La Juive aujourd’hui; en particulier, le directeur de l’Opéra de Paris s’est posé la question du sens à identifier dans la partition de Halévy. Est-ce donc une oeuvre militant pour la tolérance?

1.
« Un Plaidoyer pour la tolérance« : dans le titre du premier chapitre, Diana R. Hallman donne la réponse. Genèse de la partition, écrite entre 1833 et fin février 1835, période de sa création parisienne. Participation active de Scribe, d’Adolphe Nourrit qui se battit pour obtenir le rôle d’Eléazar. Succès, conséquences heureuses pour son auteur, et fortune de La Juive dont l’accueil enthousiaste auprès de Wagner et de Mahler.

2.
Willem Bruls nous livre de son côté, quelques « Réflexions sur La Juive« . Analyse en profondeur de nombreux aspects de l’oeuvre, en particulier mise en lumière de la question religieuse. Les méfaits du fanatisme y sont abordés crûment : « le Judaïsme est montré comme la religion d’un dieu sévère et vengeur, alors que celui du catholicisme est clément et bienveillant« . Chacun des personnages y est détaillé: Ruggiero, Eléazar, Rachel, Eudoxie et Leopold… la psychologie des caractères est réévaluée sous le prisme de la religion, en fonction du passé de chaque individu. L’auteur aurait pu reprendre mot pour mot le titre du chapitre précédent. Hymne pour la tolérance, contre toutes les formes de radicalisme, La Juive révèle l’horreur d’une action conduite par l’intolérance et par la haine de l’autre. Willem Brulls souligne combien dans l’oeuvre de Scribe et Halévy: « Toute forme de fanatisme entraîne en fin de compte la destruction des enfants ».

3.
Dans un extrait de « masses et puissance » (Gallimard, 1966), intitulé « masses ameutées« , Elias Canetti décrypte la formation de la foule haineuse, prête à tuer, dévorer, massacrer au nom d’une cause « juste » et partagée. La haine de l’autre devient « mort par le feu » quand la lapidation n’est plus de mise. C’est le principe cyclique et permanent de « l’assassinat collectif ».

4.
Dans La Juive, Jean-Claude Yon voit « Le triomphe du grand opéra« . Comment expliquer que La Juive, connut le haut de l’affiche 562 fois jusqu’à son retrait en 1934, sous la montée du nazisme? La longévité d’une oeuvre adulée explique a contrario de notre connaissance contemporaine, que le « grand opéra » était la forme la plus admise de l’Opéra français au XIX ème siècle. L’auteur interroge les éléments constitutifs du genre. Pourquoi l’opéra est-il devenu le divertissement privilégié du public bourgeois, après la Monarchie de Juillet? Comment l’opéra La Juive s’inscrit-il parfaitement dans la politique artistique du directeur de l’Opéra de la salle Le Pelletier d’alors, Véron? Génie dramaturgique de Scribe, importance des décors de La Juive, … aucun élément qui ont fait le succès phénoménal du chef-d’oeuvre d’Halévy n’est écarté. Toute une époque, et un goût musical sont incarnés dans l’ouvrage de 1835. C’est la raison pour laquelle l’opéra La Juive inaugure le nouvel opéra de Garnier, le 5 janvier 1875. En tant que parfaite réalisation du « grand genre », l’ouvrage est alors représenté aux côtés de La Muette de Portici, du Guillaume Tell, des Huguenots, composant désormais le quatuor emblématique du « grand opéra » à la française.

5.
Pour clore un dossier remarquable de pertinence sur les questions et divers aspects de La Juive, le sommaire du programme de l’Opéra de Paris, évoque la place et l’image des juifs en France: « Qui sont ces juifs?« , s’interroge Isabelle Moindrot (après Napoléon). En 1835, l’égalité civile reconnue aux juifs de France a été instituée (en 1791), et même Napoléon va plus loin encore en proclamant en 1806, le Consistoire et le grand Sanhédrin. Composer un opéra sur La Juive, avant les événements de la Shoah, que nous avons, hommes du XX ème et du XXI ème siècle, tous en mémoire, paraît d’autant plus visionnaire. Fouillant les multiples enseignements d’une partition unique, qui dévoile aussi les méandres de la psyché tout en convoquant avec scrupule l’histoire, l’auteur montre comment la scène théâtrale donne une clé à l’humanité pour son futur meilleur: « …à l’inverse du Don Giovanni de Mozart, qui garde intacte la confiance dans le Ciel, La Juive s’adresse à des hommes ayant appris de l’histoire que c’est à eux qu’il revient, quelles que soient leur croyance, de rompre la violence ancestrale pour prendre leur destin en main ». L’humanité hérite au travers de son histoire de fronts de guerre et de barbarie de plus en plus nombreux.
Il nous reviendrait donc par obligation morale comme par salut pour la continuité de notre espèce, de renouer avec la paix. L’opéra comme scène révélatrice offre un rappel de ce constat.

6.
« La Juive, 3 avril 1933-9 avril 1934 »
. Quel fut l’accueil réservé à l’opéra de Halévy lors de dernière programmation sur la scène de l’Opéra Garnier? Nathalie Boulenger évoque une période difficile qui suit la crise de 1929, et qui voit, dans la tourmente économique et politique, les troubles dus à la montée des nationalismes, le retrait de La Juive de l’affiche de Garnier, ce 9 avril 1934. L’oeuvre était devenue « un opéra qui dérange ».

En complément: fiche synthétique sur l’oeuvre, synopsis. 100 pages. En vente à la librairie de l’Opéra Garnier et aux comptoirs et à la boutique de l’Opéra Bastille.

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