mardi 29 avril 2025

Compte-rendu opéra. Lyon, Opéra, le 21 décembre 2016. J. Strauss II : Une nuit à Venise,. Lothar Odinius (Duc Guido), Piotr Micinski / Daniele Rustioni (direction), Peter Langdal (mise en scène)

A lire aussi
Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

Compte-rendu opéra. Lyon, Opéra, le 21 décembre 2016. J. Strauss II : Une nuit à Venise,. Lothar Odinius (Duc Guido), Piotr Micinski / Daniele Rustioni (direction), Peter Langdal (mise en scène). Pilier du répertoire « opérettique », Une nuit à Venise de Strauss, créée en 1883, pâtit d’un livret médiocre (bien moins réussi que ceux de La Chauve-souris ou d’Un Carnaval à Rome, thématiquement proche), dont le compositeur avait acquis les droits de manière un peu empressée, laissant filer celui de l’Étudiant mendiant, infiniment supérieur, qui échut à Millöcker. L’intrigue raconte les atermoiements amoureux d’un vieux duc libertin qui se rend chaque année au Carnaval de Venise, en espérant y retrouver d’anciennes conquêtes. Débute alors un chassé-croisé amoureux qui implique plusieurs couples : une marchande de poissons (Annina) et un barbier (Caramello), un cuisinier (Pappacorda) et une servante (Ciboletta), trois sénateurs, dont Delacqua, vieux grincheux marié à une Barbara qui se console dans les bras de son neveu Enrico.

 
 
 

lyon nuit a venise 2 opera de lyon critique classiquenews

 
 
 

Tarentelles et polkas

 
 

Le jeu traditionnel du travestissement identitaire nourrit une intrigue convenue fondée sur des quiproquos cocasses, habillée par une musique pétillante à souhait, parfaitement idoine en cette période de fêtes, mais que l’on a peu l’occasion de voir sur scène (à Lyon, elle ne fut donnée la dernière fois qu’en 1986).
La distribution est une fois de plus homogène et de très grande qualité. Tous les interprètes en outre montrent de réels talents d’acteurs, indispensables à ce répertoire où le parlé vaut, pour l’interprète, (presque) autant que le chanté. Dans le rôle du Duc, Lothar Ordinius, habitué des rôles bouffe (irrésistible son entrée accoutrée à la Karl Lagerfeld), a l’autorité qui sied à ce personnage hâbleur et fanfaron, mais sait émouvoir en maîtrisant des pianissimi à faire frissonner les pierres (dans son hymne à Venise notamment, au premier acte, « Sei mir gegrüsst du holdest Venetia »). Le Pappacorda de Jeffrey Treganza et le Caramello de Matthias Klink déploient une riche palette, se révèlent à l’aise au bien dans les graves aux riches harmoniques que dans les aigus étincelants, le premier impressionnant d’énergie, le second corrigeant assez rapidement des problèmes de projection offrant in fine une belle voix chaude et cuivrée. Rôle plus modeste, Enrico n’en est pas moins très bien défendu par Bonko Karadjov, superbe ténor issu de l’Opéra Studio de Lyon, à l’élocution idéale, nullement compromise lorsqu’il se met à chanter en faisant le poirier ! Une mention spéciale doit être accordée à la basse Piotr Micinsky dans l’impayable rôle de Delacqua, véritable bête de scène qui, se disant centriste parmi ses confrères sénateurs, se montre le plus hystérique des trois. Mais Une nuit à Venise offre également une séduisante galerie de portraits féminins, de l’Annina coquette et noble à la fois, idéalement défendue par le timbre léger et puissant, parfaitement projeté d’Evelin Novak, à la Ciboletta, bonne d’Annina, interprétée par Jasmina Sakr, voix plus étroite et encore un peu verte, mais à l’engagement dramatique sans faille, en passant par la rocambolesque Barbara, objet des convoitises du Duc, à qui Caroline MacPhie, polissonne en diable, prête ses talents d’actrice et de soprano aguerrie. Tous ces portraits hauts en couleur ont régalé le public d’airs solistes, de duos et d’ensembles entêtants (la sérénade du gondolier, le beau duo « Pellegrina rondinella » entre Annina et Caramello, le quatuor « Ninana » à la fin du second acte, ou encore l’impayable chœur se moquant, par des onomatopées à la Platée, « Qua qua qua », du sénateur Delacqua).

 
 
lyon nuit a veniseLe metteur en scène danois Peter Langdal, qui a remanié le livret déjà adapté par Korngold en 1923, a joué la carte d’une Venise fantasmée, partagée entre le pop art très coloré d’un Warhol et la polychromie carnavalesque d’un Arlequin, avec des clins d’œil à la Venise fellinienne des années cinquante (voir l’arrivée très « star de cinéma » de Barbara au premier acte). On louera en particulier sa formidable direction d’acteurs qui ne laisse aucun temps mort et confère à la pièce un rythme effréné du plus bel effet. La scénographie d’Ashley Martin-Davis (décors penchés), les costumes géométriques savoureux de Karin Betz et la chorégraphie survoltée de Peter Friis, complètent la réussite de ce spectacle qui est un régal visuel et sonore de chaque instant. Quant aux chœurs de l’opéra : justesse, précision, puissance, les mêmes qualités sont encore une fois au rendez-vous. Dans la fosse, la direction de Daniele Rustioni imprime à l’orchestre de l’opéra de Lyon une vigueur qui n’atteint jamais les excès auxquels ce genre de musique peut conduire. La nuance n’est pas absente et le tourbillon sait se faire caressant.

     
______________________

 
Compte-rendu opéra. Opéra de Lyon, Johann Strauss, Une nuit à Venise, 21 décembre 2016. Lothar Odinius (Duc Guido), Piotr Micinski (Delacqua), Caroline MacPhie (Barbara), Evelin Novak (Annina), Matthias Klink (Caramello), Jeffrey Treganza (Pappacorda), Jasmina Sakr (Ciboletta), Bonko Karadjov (Enrico), Orchestre et Chœurs de l’opéra de Lyon, Daniele Rustioni (direction), Peter Langdal (mise en scène), Ashley Martin-Davis (décors), Karin Betz (costumes), Jesper Kongshaug (lumières), Philip White (chef des chœurs).

 
 

Derniers articles

OPÉRA DE MASSY. DVORAK : Rusalka, les 16 et 18 mai 2025. Serenad Uyar, Misha Schelomianski, Arthur Espiritu… Kaspar Zehnder (direction) / Paul-Émile Fourny...

L'Opéra de Massy affiche la somptueuse production de Rusalka précédemment présentée à Metz. Inspiré de La petite Sirène d'Andersen,...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img