mardi 6 mai 2025

R. Strauss : Ariadne auf naxos. Le portrait d’Ariane

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Ariane_zerbinette_bacchus_785px-Bacchus_Ariane_and_Venus-Domenico_Tintoret_mg_9990Ariane : le miracle de la renaissance. Là où Elektra incarnait la tragédie d’une âme solitaire pétrifiée par son enchaînement à l’image d’un seul être : Agamemnon, le père mort à venger, Ariane est de la même façon emprisonnée par le seul amour de sa vie (croît-elle), Thésée, qui l’obsède d’autant plus qu’il l’a abandonnée. Trahie, détruite, Ariane erre depuis la caverne des origines, régression symbolique où elle attend la mort. Sur l’île de Naxos, l’humiliée solitaire, sombre et impuissante, désespère …
C’est en croisant la figure de Bacchus que l’amoureuse tragique renaît d’elle même. Hofmannsthal exploite le symbolisme de l’ivresse bacchique comme l’énoncé et la réalisation de la métamorphose : la promesse d’une nouvelle vie. La rencontre avec le dieu juvénil du vin marque dans la vie d’Ariane un miracle salavateur.
Pour accentuer encore l’état végétatif dans lequel demeurait Ariane, Strauss et Hofmannsthal imaginent la figure opposée (jusque dans sa tessiture) de Zerbinette, âme volage et mobile de soprano coloratoura, quand Ariane, tragique et esseulée est un soprano dramatique plus sombre.
Captivant, le duo féminin agit comme la double face d’une même idéal car chacune aspire finalement à l’excellence morale : fusionner avec cet autre qui satisfasse leur attente psychique et spirituelle. Et fidèle à ses thèmes chers, Hofmannsthal n’omet pas le pouvoir rédempteur de la rencontre : en croisant le chemin de Bacchus, le destin d’Ariane est profondément modifié, comme Zerbinette elle aussi au contact du visage tragique d’Ariane se modifie : volage certes au I (face au compositeur, elle prône l’oubli, le mouvement perpétuel et l’irresponsabilité), Zerbinette gagne une profondeur nouvelle ensuite dans son grand air de plus de 10 mn de flamboyantes vocalises : elle chante l’amour le plus pur tout en espérant rencontrer elle aussi celui qui lui inspirera une fidélité totale… En définitive l’itinéraire d’Ariane prolonge le destin d’Elektra : là où la fille d’Agamemnon ne pouvait concevoir de vivre pour elle-même, Ariane apporte la preuve qu’il est possible de dépasser ce qui semblait insurmontable. L’autre est un salut. Et la rencontre, l’expérience la plus exaltante qui puisse se présenter, que l’on puisse vivre.

 

ariane_venus_bacchus_hofmannsthal_strauss_opera-Naxos

 

 

Illustrations : Ariane et Bacchus par le Tintoret (DR). Dans le second tableau de Tintoret, le peintre à travers l’oeuvre de Bacchus, rend à Ariane blessée, sa dignité psychique, honore sa beauté et lui permet de renaître à elle même. L’épisode peint les noces des deux êtres grâce à l’entremise de Venus, volant dans le ciel, tandis que le dieu d’amour tient l’anneau de leur union.

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CHANTER ARIANE
jessye-norman-ariane-auf-naxos-diva-opera-classiquenews-critiqueFigure de la continuité, Ariane est pour Jessye Norman qui aura marqué le rôle par la finesse enivrée de son interprétation (Metropolitan opera 1984, James Levine), une amoureuse fidèle pour laquelle la mort (incarné à la fin de l’opéra, par Bacchus) n’est ni une fin ni une rupture mais un passage dans la continuité, d’une vie (celle avec Thésée) à l’autre (celle avec l’inouï de sa rencontre avec le beau et l’enivrant Bacchus). Jessye Norman a parlé de leur duo qui est un quiproquo inédit pour un couple d’amoureux : un terrible « malentendu » Ariane pense rencontré (retrouver) Thésée (celui qui l’a abandonnée), et Bacchus pense rencontré … Circé. De ce quiproquo découle un enchantement à deux voix où c’est moins la vérité de la rencontre qui compte que ce que chacun pense vivre individuellement. Qui suis je à moi-même ? Qui suis je pour l’autre ? La vérité est celle que j’incarne dans la durée malgré les doutes et les impressions de coupures. Ariane abandonnée par Thésée, se vouait à la mort par dépit, par désespoir : c’est le tableau initial d’Ariane sur son rocher à Naxos, démunie, endeuillée, détruite. Puis surgit dans la lumière d’une résurrection, la nouvelle Ariane, celle que « ressuscite » Bacchus, dieu du vin (donc de l’ivresse par laquelle la métamorphose se réalise). Personnage sincère, Ariane dans l’opéra incarne les valeurs défendues par le compositeur/Komponist (qui donc présent de cette façon, n’y apparaît pas) : du ariane-auf-naxos-jessye-norman-opera-critique-classiquenewsKomponist, Ariane prolonge les valeurs tendres d’amour et de loyauté. C’est pourquoi quand elle chantait dans la première partie, le personnage de la Prima donna, Jessye Norman veillait à caractériser différemment son interprétation de l’une à l’autre ; car ce sont bien deux personnalités qui n’ont rien à voir. La Prima Donna est une caricature parodique de la chanteuse capricieuse hystérique, égoïste ; Ariane est pur amour, pur désir, tourné vers l’autre. Rien à voir. Donc pour la diva invitée à les incarner toutes deux, un défi dramatique vertigineux.

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