L’une des réévalutations majeures concerne la dernière période, l’ultime année 1791 où le compositeur ne cesse de produire des œuvres manifestement inspirées par son initiation à la Franc-Maçonnerie, en particulier comme membre de la loge « Zur gekrönten Hoffnung » (A l’espérance couronnée). L’année où il meurt est la plus féconde. Il écrit pour ses frères, le facteur Theodor Lortz et surtout le clarinettiste Anton Stadler. Si elles n’avaient été composées à quelques mois d’intervalles, la coloration instrumentale de la Flûte, de la Clémence de Titus et du Requiem, résonne de cette sonorité spécifiquement sombre, grave et spirituelle qui scelle d’une parenté évidente, les partitions composées en 1791.
Présence permanente des bassons dans l’orchestre de Titus, surtout clarinette : une clarinette en si bémol dialogue avec Sesto dans son premier grand air N°9 quand Mozart choisit un cor de basset (clarinette accordée en fa), l’instrument maçonnique par excellence pour accompagner l’air N°23 de Vitellia qui marque un tournant capital dans l’action de l’opéra seria. Le sujet de la Clémence de Titus est lui aussi profondément marqué par l’idéal de la Loge. La clémence ou le pardon est une valeur morale particulièrement honorée car elle suppose la générosité entre les êtres. Même si Mozart aborde en vérité ce thème dans plusieurs de ses œuvres lyriques antérieures : Idoménée (1781), L’enlèvement au Sérail (1782), la Clémence suit cette voie philosophique, et en constitue l’aboutissement.
Emblématique aussi de cette période et de la sensibilité de Mozart à la clarinette, une récente redécouverte vient enfin de lever le voile sur la « partition-esquisse » KV 621b dont personne ne pouvait jusque-là identifier pour quel instrument spécifique, Mozart l’avait écrite. C’est le clarinettiste français Gilles Thomé qui a déduit l’hypothèse d’un prototype instrumental, proche du cor de basset mais un cor de basset accordé en sol et destinataire de cette page mystérieuse. L’esquisse aurait été, comme d’autres compositions, écrite par le musicien lors des soirées chez les Jacquin à Vienne où le clarinettiste Stadler jouait les instruments fabriqués par le facteur Lortz. La pièce KV 621b prélude à ce qui sera en définitive le concerto pour clarinette K622, dédicacé à Stadler et composé en octobre 1791.
Voilà qui démontrerait l’engagement maçonnique de Mozart à Vienne, soucieux de renforcer et d’élargir son propre réseau de protecteurs et de relations afin d’obtenir opportunités et commandes. De fait, son activité musicale est l’une des plus intense alors et l’on est en droit de s’interroger sur la perspective selon laquelle, s’il n’était pas mort aussi rapidement, combien d’autres ouvrages aussi éblouissants aurions-nous été les héritiers ? Quoi qu’il en soit, toutes les œuvres de la fin, datées de 1791 portent une inspiration identique, d’une profonde et ample poésie. Un regard sur la mort, sur les valeurs humaines, sur le sens de la vie, brossés avec une tendresse et une vérité totalement inédites.
De même l’on commence à réévaluer la Clémence de Titus en resituant objectivement cet opera seria aux côtés des deux indiscutables sommets de l’inspiration mozartienne que sont la Flûte et le Requiem. De sorte que se préciserait une nouvelle trilogie dans laquelle le compositeur laisse un testament artistique exceptionnel dans trois registres complémentaires : l’élitiste aristocratique (Titus), le populaire universel (la Flûte), le spirituel (le Requiem). Il reste confondant qu’un seul créateur ait su relever le défi de les composer tous simultanément, quelques mois avant sa propre mort. Concentration des modes d’expressions distincts, qui montre là encore si l’on devait en douter, la remarquable capacité d’invention et d’inspiration de ce génie inégalé.
1791, la dernière année : Inspiration maçonnique, laboratoire instrumental et trilogie ultime (Titus, Le flûte, le Requiem)
A lire aussi