ZARZUELA. Ce terme dĂ©signe aussi un plat qui mĂȘle poissons et fruits de mer liĂ©s par une sauce. Ce mot dĂ©rive de zarza (qui signifie ronce), donc, zarzuela est un lieu envahi par les ronces, une ronceraie. Ce nom fut donnĂ© au Palais de la Zarzuela, rĂ©sidence champĂȘtre dâabord princiĂšre puis royale (câest la rĂ©sidence actuelle du roi dâEspagne et de sa famille), aux environs de Madrid.
Espagne, hispanisme, espagnolade
DâAndalousie de Francis LĂłpez
au pays de la zarzuela
Ă lâOdĂ©on de Marseille
Au XVIIe siĂšcle
Le roi Philippe IV, qui avait fui lâEscorial austĂšre de son aĂŻeul Philippe II, et habitait un palais Ă Madrid, venait sây dĂ©lasser avec sa cour, chasser et, disons-le, faire la fĂȘte, donner des fĂȘtes somptueuses, des piĂšces de théùtre agrĂ©mentĂ©es de plus en plus de musique, quâon appellera « Fiestas de la zarzuela », puis, tout simplement « zarzuela » pour simplifier. Câest pratiquement, dâabord, un opĂ©ra baroque Ă machines, dâinspiration italienne mais entiĂšrement chantĂ© es espagnol ou, plus tard, avec des passages parlĂ©s Ă la place des rĂ©citatifs. Alors quâen France , il faudra attendre 1671 pour le premier opĂ©ra français, la Pomone, de Robert Cambert, en Espagne, environ cinquante ans plus tĂŽt, en 1627, une de ces fĂȘtes musicales de la zarzuela est, en fait, un vĂ©ritable opĂ©ra Ă lâitalienne. Bien sĂ»r, on ne lâappelle pas « opĂ©ra » puisque ce mot tardif, italien, signifie simplement âĆuvreâ, les ouvrages lyriques de cette Ă©poque nâĂ©tant appelĂ©s que dramma per musica, âdrame en musiqueâ, Monteverdi nâappelant son Orfeo que âfavola in musicaâ, fable en musique. En Espagne, on lâappellera donc zarzuela. Câest La selva sin amor, âLa forĂȘt sans amourâ, avec pour librettiste rien de moins que le fameux Lope de Vega, pour lors le plus grand dramaturge espagnol, qui serait auteur de plusieurs milliers de piĂšces de théùtre. La musique de Filippo Piccinini, italien Ă©tabli Ă la cour dâEspagne, est malheureusement perdue. La mise en scĂšne, fastueuse, extraordinaire, du grand ingĂ©nieur et peintre florentin Cosimo Lotti frappa les esprits et on en a des descriptions Ă©merveillĂ©es. La zarzuela est donc, dâabord, le nom de lâopĂ©ra baroque espagnol aristocratique, fastueux.
Au XVIIIe siĂšcle
On appelle toujours zarzuela une Ćuvre lyrique baroque Ă lâitalienne, parlĂ©e et chantĂ©e, parallĂšlement au nouveau terme « opĂ©ra » qui sâimpose pour le genre entiĂšrement chantĂ©, qui mĂȘle cependant, Ă diffĂ©rence de lâopera seria italien, le comique et le tragique. Cependant, lâĂ©volution du goĂ»t fait quâil y a une lassitude pour les sujets mythologiques ou de lâhistoire antique qui faisaient le fonds de lâopĂ©ra baroque.
LâEspagne avait une tradition ancienne dâintermĂšdes comiques, deux saynĂštes musicales insĂ©rĂ©es entre les trois actes dâune piĂšce de théùtre, la comedia (dont la rĂ©union des deux en un seul sujet donnera, dans la Naples encore espagnole, lâopera buffa). Au XVIIIe, ces intermĂšdes deviendront de brĂšves tonadillas populaires qui alternent danses et chant typiques ; Ă©toffĂ©es, elles sâappelleront plus tard encore zarzuelas, avec des sujets de plus en plus populaires, puis nettement inspirĂ©s des coutumes et de la culture du peuple.
XIX e siĂšcle
Du XIX e au XX e siĂšcle, ce nom de zarzuela dĂ©signe dĂ©finitivement une Ćuvre lyrique et parlĂ©e qui, donc, peut aller de lâopĂ©ra Ă lâopĂ©rette, dramatique ou comique. Les compositeurs tels que Francisco Barbieri, ou encore TomĂĄs BretĂłn en ont illustrĂ© un versant pittoresque comique, typiquement espagnol. Câest souvent, pour la zarzuela grande, un vĂ©ritable opĂ©ra (Manuel de Falla appellera dâabord « zarzuela » son opĂ©ra La Vida breve (1913). Mais la plupart mĂȘlent toujours, par tradition depuis le XVIIe, le parlĂ© et le chantĂ©, prĂ©cĂ©dant dâun siĂšcle lâopĂ©ra-comique français, « comique » car il « appartient Ă la comĂ©die » (LittrĂ©), par les passages parlĂ©s, bref au théùtre
Le XIXe siĂšcle sera lâĂąge dâor de la zarzuela. Mais qui subit la concurrence de lâopĂ©ra italien qui rĂšgne en Europe avec Rossini, Bellini, Donizetti et bientĂŽt Verdi. Vers le milieu du siĂšcle, un groupe dâĂ©crivains et de compositeurs rassemblĂ©s autour de Francisco Asenjo Barbieri (1823â1894), grand compositeur et maĂźtre Ă penser musical de lâĂ©cole nationale renoue et rĂ©nove le genre, lui redonne des lettres de noblesse dans lâintention dâaffranchir la musique espagnole de lâinvasion de lâopĂ©ra italien. LâĂ©ventail des sujets est trĂšs grand, du drame historique Ă la lĂ©gĂšre comĂ©die de mĆurs. Mais toute lâEspagne et ses provinces est prĂ©sente dans sa variĂ©tĂ© musicale de rythmes vocaux et de danses. Madrid devient le centre privilĂ©giĂ© de la zarzuela urbaine, avec ses madrilĂšnes du menu peuple, leur accent, ses fĂȘtes, ses disputes de voisinage.
Zarzuela et vanité du nationalisme
CâĂ©tait lâune des consĂ©quences des guerres napolĂ©oniennes qui ont ravagĂ© lâEurope, de lâEspagne Ă la Russie, le nationalisme commence Ă faire des ravages : le passage des troupes françaises a Ă©veillĂ© une conscience nationale, pour le meilleur quand il sâagit dâart, et, plus tard, pour le pire. Pour le moment, il ne sâagit que de musique dont on dit quâelle adoucit les mĆurs. Partout, dâautant que les gens ne comprennent pas forcĂ©ment lâitalien, langue lyrique obligatoire, il y a des tentatives dâopĂ©ra national en langue autochtone, mĂȘme si les opĂ©ras italiens se donnent en traduction.
Des expĂ©riences naissent un peu partout, en Allemagne avec Weber et son FreischĂŒtz (1821), premier opĂ©ra romantique, en langue allemande (avec des passages parlĂ©s comme dans les singpiele de Mozart, LâEnlĂšvement au sĂ©rail, La FlĂ»te enchantĂ©e), suivi de Wagner. La France a sa propre production lyrique. Mais jugeons de la vanitĂ© des nationalismes : lâopĂ©ra Ă la française a Ă©tĂ© créé pour Louis XIV (fils dâune Espagnole, petit-fils dâHenri IV le Navarrais, qui descend dâun roi maure espagnol) par le Florentin Lully. Câest Gluck, Autrichien, maĂźtre de musique de Marie-Antoinette, qui recrĂ©e la tragĂ©die lyrique Ă la française dans cette tradition ; câest Meyerbeer, Allemand, qui donne le modĂšle du grand opĂ©ra historique Ă la française ; ce sera Offenbach, juif allemand qui portera au sommet lâopĂ©rette française, et lâopĂ©ra le plus jouĂ© dans le monde, dĂ» Ă Bizet, câest Carmen, sur un sujet et des thĂšmes espagnols. Fort heureusement, lâart, la musique ne connaissent pas de frontiĂšre et se nourrit dâun bien oĂč on le trouve comme dirait MoliĂšre.
LâEspagne
Dans ce contexte europĂ©en, lâEspagne est plus mal lotie. Elle est plongĂ©e dans le marasme de la dĂ©colonisation, rĂ©sultat des guerres napolĂ©oniennes et de la RĂ©volution française, car les colonies refusent de reconnaĂźtre pour roi Joseph Bonaparte imposĂ© en Espagne. Il en sera chassĂ© aprĂšs une terrible Guerre dâIndĂ©pendance qui sonne le glas de lâEmpire de NapolĂ©on : rappelons non pas les heureuses peintures de Goya des temps de la tonadilla, mais ses sombres tableaux sur la guerre, ses massacres, ses gravures sur les malheurs de la guerre. En dix ans, entre 1810 et 1820, lâEspagne perd le Mexique, lâAmĂ©rique centrale et lâAmĂ©rique du sud dont elle tirait dâĂ©normes richesses. Elle ne garde que Cuba, Porto-Rico et les Philippines, qui, Ă leur tour, sâĂ©manciperont en 1898, annĂ©e qui marque la fin dâun Empire espagnol de plus de trois siĂšcle.
Et paradoxalement, ces annĂ©es 1890 sont lâapogĂ©e de la zarzuela, avec le gĂ©nero chico (âle petit genreâ), en un acte, qui connaĂźt un essor sans prĂ©cĂ©dent, indiffĂ©rente aux alĂ©as de lâHistoire contemporaine, chantant les valeurs traditionnelles dâune Espagne qui continue Ă se croire Ă©ternelle avec ses valeurs, courage, hĂ©roĂŻsme, honneur, amour, religion, patrie, etc, tous les clichĂ©s dâun nationalisme dâautant plus ombrageux quâil nâa plus lâombre dâune rĂ©alitĂ© solide dans un pays paupĂ©risĂ© par la perte des colonies et les guerres civiles, les guerres carlistes qui se succĂšdent, trois en un siĂšcle entre libĂ©raux et absolutistes, la terrible Guerre de 1936, en Ă©tant quâune suite en plein XX e siĂšcle.
La zarzuela devient une sorte dâhymne dâexaltation patriotique, de nationalisme autosatisfait oĂč lâespagnolisme frise parfois lâespagnolade. Cela explique que le franquisme, isolĂ© culturellement du monde, tournĂ© vers le passĂ©, cultiva avec dĂ©votion la zarzuela, la favorisa de mĂȘme quâun type de chanson « aflamencada », inspirĂ©e du flamenco, comme une sorte de retour aux valeurs traditionnelles dâune Espagne le dos tournĂ© Ă la modernitĂ©. AprĂšs un rejet de la zarzuela, et du flamenco, rĂ©cupĂ©rĂ©s et identifiĂ©s Ă lâidentitĂ© franquiste, il y a un retour populaire apaisĂ© vers ces genres typiques, dâautant quâils avaient toujours Ă©tĂ© dĂ©fendus et cultivĂ©s, sur les scĂšnes mondiales par tous les plus grands interprĂštes lyriques espagnols, de Victoria de los Ăngeles Ă Alfredo Kraus, de Teresa Berganza Ă PlĂĄcido Domingo, de CaballĂ© Ă Carreras, chanteurs dans toutes les mĂ©moires, et de MarĂa Bayo Ă Rolando VillazĂłn. Domingo par ailleurs, nĂ© de parents chanteurs de zarzuelas, a imposĂ©e la zarzuela comme genre lyrique obligatoire dans le fameux concours qui porte son nom.
Musique espagnole : du typique au topique
La musique espagnole traditionnelle, typique, a une identitĂ© si prĂ©cise en rythme, tonalitĂ©s particuliĂšres, mĂ©lismes, quâelle sâest imposĂ©e comme un genre en soi, si bien que rythmiquement,certaines de ses danses picaresques, mĂȘme condamnĂ©es par lâInquisition comme licencieuse, la chacone, la sarabande, la passacaille, le canari, la folie dâEspagne, le bureo (devenu sans doute bourrĂ©e), se sont imposĂ©es et dignifiĂ©es dans la suite baroque. Quant Ă ses modalitĂ©s et tonalitĂ©s, elles ont fascinĂ© les grands compositeurs, de Scarlatti Ă Boccherini, par ailleurs faisant intĂ©grĂ©s Ă lâEspagne, de Liszt Ă Glinka et Rimski-Korsakof, de Verdi Ă Massenet, de Chabrier Ă Lalo, Debussy, Ravel, en passant par la Carmen de Bizet qui emprunte son habanera Ă SebastiĂĄn Iradier et sâinspire du polo de Manuel GarcĂa, pĂšre de la Malibran et de Pauline Viardot, etc, pour le meilleur dâune « vraie » et digne musique espagnole « typique », Ă©crite hors de ses frontiĂšres. Mais le typique trop dĂ©fini finit en topique, en clichĂ© avec lâespagnolade, qui a ses degrĂ©s, pas tous dĂ©gradants, et qui tiennent plus Ă une surinterprĂ©tation, Ă un excĂšs coloriste de la couleur locale dans la musique, mais, surtout, Ă des textes, pour la majoritĂ© de musiques chantĂ©es, qui surjouent un folklore hispanique oĂč rĂšgne le clichĂ© pas toujours de bon aloi, une Espagne plurielle rĂ©duite abusivement Ă une Andalousie de pacotille, qui agace et humilie les Espagnols, caricaturĂ©e au soleil, au faux flamenco, aux castagnettes et Ă lâabomination de la corrida.
UNE HEURE AVEC JENNIFER MICHEL ET JUAN ANTONIO NOGUEIRA
Mercredi 6 janvier 2016
Encore une heureuse initiative de Maurice Xiberras, Directeur de lâOpĂ©ra de Marseille et de lâOdĂ©on quâil a rĂ©veillĂ© avec lâopĂ©rette : offrir une heure de chant, largement et gĂ©nĂ©reusement dĂ©bordĂ©e. CâĂ©tait, accompagnĂ©s au piano par Marion Liotard, Ă la soprano Jennifer Michel, dĂ©sormais bien connue et apprĂ©ciĂ©e sur la scĂšne lyrique marseillaiseet au tĂ©nor espagnol Juan Antonio Nogueira, nom galicien pour un originaire des Canaries, patrie du lĂ©gendaire Alfredo Kraus, quâĂ©tait confiĂ© ce moment musical, prĂ©lude espagnol Ă lâopĂ©rette franco-espagnole, Andalousie, de Francis(co) LĂłpez. Soulignons encore lâinanitĂ© des frontiĂšres et des nationalitĂ©s : ce compositeur fameux de chansons et dâopĂ©rettes, nĂ© en France par un accident de lâhistoire puisque son pĂšre Ă©tait PĂ©ruvien et sa mĂšre, nĂ©e en Argentine, mais tous deux dâorigine basque, Ă©tablis dâabord Ă Hendaye oĂč le jeune homme passe son enfance, nourri comme Ravel par sa mĂšre espagnole, des rythmes et mĂ©lodies ibĂ©riques.
Le piano est couvert dâun mantĂłn de Manila, âun chĂąle de Manilleâ, si intĂ©grĂ© dans les parures typiques traditionnelles des Espagnoles ; il servira aussi Ă quelques jeux de scĂšne Ă la chanteuse ; les dames, pianiste et soprano, entreront, chignon Ă©clairĂ© dâun Ćillet rouge trĂšs espagnol et câest le tĂ©nor qui introduit dâune rafale dynamisante de castagnettes, le premier morceau, un duo tirĂ© du Prince de Madrid, opĂ©rette sur Goya, « España », un hymne Ă lâEspagne dont les paroles enfilent les clichĂ©s naĂŻvement touristiques : ce nâest pas Chabrier mais cela nâen est pas moins agrĂ©able et bien chantĂ© par les deux voix qui se marient bien sur cette scĂšne comme Ă la ville. En fait de scĂšne, deux larges couloirs en Ă©querre, qui mettent les chanteurs Ă moins de deux mĂštres du public nombreux, avec les contraintes de dĂ©placement et dâangoisse inhĂ©rentes Ă la proximitĂ©.
Le tĂ©nor, Premier Prix au Concours « Voix du monde » en Espagne, se lance dans lâair hĂ©roĂŻque sur lâĂ©pĂ©e tolĂ©dane, dont il brandit une copie de théùtre, un air tirĂ© du HuĂ©sped del sevillano de Jacinto Guerrero, une zarzuela inspirĂ©e de Cervantes. La voix est vaillante, plus acĂ©rĂ©e que vibrante, et convient ici. Ensuite, jouant joliment de lâĂ©ventail, la soprano française, aborde, avec un style vraiment espagnol, les vocalises virtuoses, si hispaniques, du carillonnant « De España vengo », âJe viens dâEspagne, Je suis Espagnoleâ, du Niño judĂo de Pablo Luna, encore une arrogante proclamation dâhispanitĂ©, que la jeune cantatrice teinte dâun fier dĂ©sespoir dâamour déçu quâon perçoit rarement dans lâinterprĂ©tation du « pont » de lâair.
La pianiste Marion Liotard, ancienne du CNIPAL, trĂšs sollicitĂ©e comme accompagnatrice partenaire et crĂ©atrice Ă©galement dâĆuvres contemporaines, rend un hommage verbal Ă Ernesto Lecuona, le grand compositeur cubain, si peu connu en France, dont elle interprĂšte « Granada », piĂšce tirĂ©e de sa suite AndalucĂa (1933) avec une virtuose souplesse dans les appoggiatures et autres mĂ©lismes andalous. Plus tard dans le concert, elle en proposera « CĂłrdoba », de la mĂȘme suite, avec intensitĂ© et intĂ©rioritĂ©, nous laissant le regret et le dĂ©sir quâelle nous livre dâautres de ses exĂ©cutions de ce compositeur, que personnellement, je rĂ©vĂšre, et quâelle dĂ©couvre et explore avec passion selon son aveu. Ă suivre.
Le tĂ©nor interprĂšte alors, de Pablo SorozĂĄbal, compositeur symphonique, rĂ©publicain tenu Ă lâĂ©cart par le franquisme qui lui concĂ©da nĂ©anmoins la direction de lâorchestre symphonique de Madrid mais pour la lui retirer brutalement en 1952 car il prĂ©tendait, pour ouvrir lâhorizon musical dâune Espagne confinĂ©e, diriger la Symphonie Leningrad de Chostakovitch. Son Ćuvre lyrique est lâune des expressions les plus abouties et finales de la zarzuela au XXe siĂšcle, comme le prouva lâextrait de Black el payaso (1942), que le chanteur aborde avec une mĂ©lancolique retenue qui sâanime ensuite. Sans doute le trac de ce trop proche voisinage avec le public Ă portĂ©e de main et un trĂšs grand nombre de collĂšgues chanteurs rĂ©pĂ©tant Andalousie et venus en voisins, une indisposition passagĂšre, semblent lui causer une baisse de tonus pour la sorte de sĂ©rĂ©nade romantique de Bella enamorada, de Sotullo et Vert, dont il fait, cependant, avec habilitĂ©, une sensible confidence rĂȘvĂ©e. Il retrouvera tout son mordant et une expressivitĂ© dramatique bouleversante dans le « No puede ser » de La Tabernera del puerto du mĂȘme SorozĂĄbal, air dont PlĂĄcido Domingo, digne hĂ©ritier de la zarzuela, a fait un classique pour les tĂ©nors.
Ătincelante, pĂ©tulante, Jennifer Michel, avec une superbe santĂ©, de lâhumour et un talent dâactrice comme stimulĂ© par ce public assis comme Ă ses pieds, dĂ©ploie tous les charmes dâun soprano dont le mĂ©dium sâest enrichi sans rien perdre de son agilitĂ© et du brillant dâun aigu facile, rond, sans aucune des aspĂ©ritĂ©s qui dĂ©parent parfois les coloratures, toujours musicale, des demi-teintes irisĂ©es, des sons finis en douceur comme des gazouillis. Accent espagnol parfait, naturel, et mĂȘme andalou dans lâextrait fameux de lâopĂ©ra La tempranica de GerĂłnimo JimĂ©nez, le fameux zapateado issu des danses mĂ©diterranĂ©ennes masculines, telle la tarentelle, pour Ă©craser la tarentule supposĂ©e dâattaquer aux mĂąles en lâĂ©crasant rageusement sous les pieds. Entre autres airs, dans « Jâattends le Prince charmant » du Prince de Madrid de Francis LĂłpez, avec un charme ravissant, elle dĂ©montre magistralement la grandeur de ce qui nâest pas une petite musique.
Les deux chanteurs et la pianiste se taillent un succĂšs mĂ©ritĂ© pour une heure bien allongĂ©e, quâon aurait aimĂ© encore plus longue.
ANDALOUSIE
Livret dâAlbert Willemetz et Raymond Vincy, musique de Francis LĂłpez
samedi 16 janvier 2016
AprĂšs le triomphe inattendu de La Belle de Cadix en 1945, dĂ©jĂ avec Raymond Vincy comme librettiste et un Luis Mariano presque inconnu comme personnage principal, Andalousie, est créée en1947, encore un triomphe du trio formĂ© par Raymond Vincy pour le texte, Francis Lopez pour la musique et Luis Mariano pour le chant, prĂ©mices dâune sĂ©rie de succĂšs pendant plus dâune dĂ©cennie, dâinspiration espagnole dâun duo de Basques, LĂłpez et GonzĂĄlez devenus Lopez et Mariano, deux Ă©trangers bien Ă©trangers, heureusement, au nationalisme qui fait des ravages aujourdâhui dans ce mĂȘme Pays basque et ailleurs.
Bien sĂ»r, nous sommes en pleine mais non plane espagnolade, moins par ces jolies ou belles mĂ©lodies enchaĂźnĂ©es que par un livret pauvret (malgrĂ© deux librettistesâŠ) mais riche en clichĂ©s Ă©culĂ©s sur lâEspagne, ou plutĂŽt une caricature dâAndalousie : amour passionnel ombrageux, jalousie mais honneur farouche, vaillance, bravade plus corrida obligĂ©e comme mythique moyen de promotion sociale dâun misĂ©rable vendeur dâalcarazas, parfaite idĂ©ologie du franquisme restaurateur viandard de ce que la RĂ©publique appelait « La Honte nationale ». Câest sans doute cette prĂ©sence de la corrida qui date le plus le spectacle, aujourdâhui largement dĂ©sertĂ©e et rĂ©prouvĂ©e par la jeunesse qui, Ă lâinverse, aprĂšs une pĂ©riode de rejet des danses dâun folklore sclĂ©rosĂ© imposĂ© aussi par le franquisme, revient joyeusement Ă ces habaneras, bolĂ©ros, sĂ©guedilles, sĂ©villanes et fandangos revitalisĂ©s dans leurs fĂȘtes modernes.
Quelques jeux de mots tĂ©lĂ©phonĂ©s font sourire. On sourit aussi Ă ces toiles peintes de notre enfance, ondulantes, gondolantes sur leur tringle, une rue Ă arcades andalouses, un fond exotique vĂ©nĂ©zuĂ©lien, et lâon en redĂ©couvre rĂ©trospectivement lâavantage dâun rapide âet Ă©conomiqueâ changement de dĂ©cor et de lieu au lieu de nos actuelles scĂ©nographies uniques : finalement cela souligne le jeu bon enfant de lâensemble, mais surligne aussi deux belles fautes dâorthographe espagnole pour le nom de lâauberge avec : « Dona » pour « Doña » et « Vittoria » pour « Victoria ». Mais, on apprĂ©cie le bon accent hispanique gĂ©nĂ©ral, bien sĂ»r, on ne sâen Ă©tonnera pas, surtout de Marc Larcher et de Caroline GĂ©a. Les costumes, en revanche, dâun hispanisme de fantaisie, sont somptueux et trĂšs nombreux et ne sont pas pour rien au charme Ă la fois fastueux et dĂ©suet du spectacle que goĂ»te un public largement ĂągĂ© qui y retrouve, sinon un regain de jeunesse, du moins un rajeunissement des souvenirs.
Avec ce peu musical, la direction de Bruno Conti aiguise au mieux lâOrchestre du théùtre de lâOdĂ©on en progrĂšs et le ChĆur PhocĂ©en (RĂ©my Littolff) sâen donne Ă cĆur joieet joue en jouant, enjouement communicatif, dans une mise en scĂšne toute en rythme de Jack Gervais, sans temps mort, mais trop de bras levĂ©s en signe superfĂ©tatoire et convenu de liesse, avec une plaisante mise en danse coulant de source de certains ensembles (chorĂ©graphie de Felipe Calvarro).
La rĂ©partition des airs est inĂ©gale dans lâĆuvre : un ensemble pour la Greta de Julie Morgane ; deux airs, deux valses, obligĂ©es, pour la supposĂ©e cantatrice viennoise majestueusement et emphatiquement campĂ©e par Katia Blas ; et on aurait aimĂ© davantage dâairs pour la jolie voix de Caroline GĂ©a ; en conspirateur libĂ©ral, on a le plaisir trop rare dâentendre la sombre puissance de Jean-Marie Delpasâš. Une trĂšs poĂ©tique mĂ©lodie nous permet de dĂ©couvrir le joli timbre de Samy Camps en SĂ©rĂ©no, le veilleur de nuit, chargĂ© de donner lâheure et dâouvrir les portes des immeubles dont il avait toutes les clĂ©s, institution espagnole pittoresque dont le franquisme fit un dĂ©lateur officiel du rĂ©gime veillant entrĂ©es et sorties des maisons, surveillant tout rassemblement suspect. Les autres personnages nâont pratiquement pas dâair, comme le Pepe, un toujours irrĂ©sistible Claude Deschamps qui se suffit Ă lui-mĂȘme, vrai gracioso de la tradition espagnole de la comedia faisant paire avec la sĂ©millante et pĂ©tillante Pilar de Caroline Gea, dont les amours ancillaires sont comiquement parallĂšles Ă celles des jeunes premiers. En Allemand vĂȘtu Ă la tyrolienne Ă lâaccent marseillais, le Baedeker dâAntoine Bonelli est une vraie rĂ©ussite comique, saluĂ© par des applaudissements dĂšs son entrĂ©e en scĂšne, tout comme Simone Burles : ils habitent le plateau comme chez eux et le public leur marque ainsi une joyeuse connaissance et reconnaissance, tout comme au tĂ©nor Marc Larcher qui a aussi su faire sa place dans ce théùtre qui dignifie lâopĂ©rette. Par son allure, sa prestance, Larcher Ă©chappe au ridicule qui, en Espagne, sâattache toujours Ă la fausse virilitĂ© et vaillance du matador, âle tueurâ : vaillance, virilitĂ©, câest la beautĂ© de sa voix lumineuse, aux aigus droits et drus comme une lame tolĂ©dane, Ă©lĂ©gance de la ligne, du phrasĂ©, et une impeccable diction. Il a une digne et belle partenaire dans la soprano Ămilie Robins, timbre raffinĂ©,aigus faciles pour un mĂ©dium large et sonore. Elle se meut avec grĂące, esquisse avec gracilitĂ© quelques mouvements de bras en rythme andalou sans caricature. Tous deux assortis en voix, charme et beautĂ©, sont de vrais jeunes premiers qui remportent les cĆurs dans une troupe nombreuse, heureuse Ă©poque de dĂ©pense, oĂč mĂȘme les figures les plus passagĂšres existent.
Flamenco et zarzuela
Mais il faut souligner quâĂ la musique espagnolisante facile de lâopĂ©rette de Lopez, on a ajoutĂ© avec raison, un authentique ensemble flamenco au-dessus de tout Ă©loge : un guitariste chanteur, JesĂșs Carceller qui, malgrĂ© le micro pour lâimmense salle, ne se contente pas de hurler comme le font trop souvent ceux qui caricaturent lâessence du cante hondo, mais, avec une belle voix, en fait ruisseler les mĂ©lismes dĂ©licats, murmure la dĂ©chirante plainte dâun pĂšre Ă la recherche de son fils, avec une sobre Ă©motion.Mis en pas par le chorĂ©grapheet danseur Felipe Calvarro, le groupe de danseurs, Nathalie Franceschi, ValĂ©rie Ortiz, FĂ©lix Calvarro dĂ©ploie tous les sortilĂšges de la danse flamenco dans des fandanguillos de Cadix, des bulerĂas, etc. dans des zapateados virtuoses au crĂ©pitement conjoint des castagnettes.
Mais, dans le dernier tableau, oĂč fut judicieusement intercalĂ©, sans aucune annonce dans le programme, lâintermĂšde complet de la gracieuse zarzuela de GerĂłnimo JimĂ©nez (1854-1923), qui inspira par sa musique Turina et Manuel de Falla, El baile de Luis Alonso, on put apprĂ©cier que ces danseurs avaient une solide formation de la Escuela bolera classique en interprĂ©tant avec beaucoup de charme la jota. Ce fut un triomphe.
LâEspagne vraie rattrapait la gentille espagnolade.
Compte rendu, opĂ©ra. Marseille, Théùtre de lâOdĂ©on, 16 et 17 janvier 2016. Andalousie de Francis Lopez. Direction musicale : Bruno Conti. âšMise en scĂšne : Jack GervaisâšChorĂ©graphie : Felipe Calvarro. Orchestre du théùtre de lâOdĂ©on, ChĆur PhocĂ©en
âšDolores : AmĂ©lie Robins ; Pilar : Caroline GĂ©aâšÂ ; Fanny Miller :Katia Blas ; âš Doña Victoria : Simone BurlesâšÂ ; Greta : Julie Morgane ; la gitane : Anne-GaĂ«lle Peyro ; la fleuriste : Lorrie Garcia.
Juanito : Marc Larcher ; Pepe : Claude Deschamps ; Valiente :Jean-Marie DelpasâšÂ ; Baedeker : Antoine BonelliâšÂ ; Caracho: Damien Surian ; Le SĂ©rĂ©no: Samy Camps ; un alguazil : Pierre-Olivier Bernard ; âšun consommateur : Patrice Bourgeois ; GĂłmez : Daniel Rauch ; Aubergiste : Emmanuel GĂ©a ; PĂ©on : Vincent Jacquet.
Guitariste chanteur : JesĂșs Carceller ;
Danseurs : Nathalie Franceschi , Valérie Ortiz , Félix Calvarro.
Chorégraphe danseur : Felipe Calvarro.
Illustrations : Christian Dresse