STREAMING, opĂ©ra, critique, opĂ©ra chez soi. Paris, OpĂ©ra-Comique, le 19 janvier 2021. Mondonville : Titon et lâAurore. Bill Christie. DâemblĂ©e dĂšs lâouverture, chef et orchestre montrent quâils sont au diapason de lâĂ©criture impĂ©tueuse dâun Mondonville animĂ© voire survoltĂ© par lâesprit du théùtre. On distingue avec enthousiasme la belle nervositĂ© affirmĂ©e toute en cordes rugissantes et bondissantes, viriles et souples des Arts Flo, qui imposent cette frĂ©nĂ©sie que lâon connaĂźt dĂ©jĂ du compositeur (cf. ses Motets et leur spiritualitĂ© si dramatique que les mĂȘmes interprĂštes ont su rĂ©vĂ©ler et sublimer). William Christie apporte cette tension vive, fusion habile dâĂ©lĂ©gance et de nerf théùtral. Et il en faut pour assurer entre autres les transitions entre les sĂ©quences comme lâintermĂšde de lâActe I : quintessence des musiques de scĂšnes, Ă la fois tempĂȘte et tremblement de terre, prodige de plasticitĂ© dramatique dans la lignĂ©e de Rameau et dont le fondateur des Arts Flo a fait lâun de ses tubes favoris. Dâun regard gĂ©nĂ©ral, on regrette parfois le manque dâinspiration de Mondonville dont lâĂ©criture tourne au systĂšme qui ronronne. Lâouvrage en un Prologue et 3 actes, aurait pu tenir en 2 actes car le profil des protagonistes nâĂ©volue guĂšre dâun acte Ă lâautre. Dâautant que sans rĂ©elle vraisemblance, les « mĂ©chants » haineux ici sont vite Ă©vacuer de la scĂšne pour que triomphe le seul Amour.
Pourtant le prologue marque les esprits : lâindiffĂ©rence oisive des dieux y est dâemblĂ©e dĂ©criĂ© par le baryton (court au dĂ©but et qui peu assurĂ©, ne chante pas trĂšs juste) ; câest rare apparition sur la scĂšne lyrique française, PromĂ©thĂ©e qui sâingĂ©nie flambeau Ă la main, face Ă un panthĂ©on statufiĂ© ; son premier air qui insuffle aux hommes lâesprit dâindĂ©pendance et la libertĂ© (« volez »âŠ) sonne trop fragile.
LâagilitĂ© de la musique qui exprime sur la scĂšne la diffusion de la vie en une immense flamme afin que naissent les crĂ©atures humaines nouvelles⊠sâaffirme a contrario, grĂące Ă lâaplomb du chef, son charisme et son feu, lui-mĂȘme communicatif dans la fosse. Les silhouettes animĂ©es sont incarnĂ©es dans le chant des bois et des vents (bassons et flĂ»tes) quand les statues sâĂ©branlent soudain (choeur « Quelles mains nous a fait »)
Sur la scĂšne de lâOpĂ©ra Comique, Bill Christie ressuscite
le théùtre dâun Mondonville, furieux, haineux, souvent dĂ©chainĂ©âŠ
Titon, un miraculĂ© de lâamour ?
Lâorchestre sĂ©duit : sa vĂ©locitĂ© permanente, et la tendresse qui naĂźt soudain avec lâĂ©mergence dâune humanitĂ© dĂ©sormais vouĂ©e au culte de PromĂ©thĂ©e leur pĂšre (ballet rĂ©alisĂ© par 3 marionnettes gĂ©antes animĂ©es par des marionnettistes) rayonnent sur les planches. Puis Cupidon paraĂźt car lâamour Ă©claire le monde de son « flambeau divin » : en vĂȘtement XVIIIĂš (piquante coloratoure de la jeune Julie Roset au verbe ardent autant que nuancĂ©) ; la soprano pĂ©tillante et vivante rĂ©alise avec Ă©clat son duo de victoire avec PromĂ©thĂ©e. Elle invite les mortels Ă goĂ»ter lâart de plaire ; les dĂ©lices de la voluptĂ© pour leur bonheur : plus lascive, la musique sâattendrit : marionnettes volantes Ă lâappui (« Livrez vos Ăąmes Ă la fĂ©licitĂ© »).
Acte I
Lâaction proprement dite dĂ©bute avec la priĂšre du berger Titon, inquiet que lâAurore tarde, laquelle Ă©clatante ne se fait pas attendre vainement. Câest la sirĂšne matinale toute dâor, vraie crĂ©ature fantasmatique et fĂ©e complice (convaincante Gwendoline Blondeel) dâun solitaire un rien larmoyant et dâune mollesse tendre (Reinoud Van Mechelen); facĂ©tieux, Mondonville imagine une vraie dispute conjugale qui dĂ©voile le berger rongĂ© par la jalousie. LâĂ©criture du compositeur tend ensuite Ă rĂ©pĂ©ter une maniĂšre de bergerie heureuse sur un air de musette qui scelle les amours de Titon et de lâAurore (air aux oiseaux de lâAurore avec piccolo aĂ©rien, laquelle cependant sâadresse aux moutons bien innocents). Ce qui semble intĂ©resser Mondonville cependant câest les ressorts dramatiques nĂ©s des enchaĂźnements, dans la transition des intermĂšdes habilement contrastĂ©s.
Belle trouvaille, cet Eole furieux (rival colĂ©rique de Titon : Marc Mauillon colore toutes les nuances de la haine vengeresse). Le baryton est idĂ©alement articulĂ©, instance pleine de frustration et de haine, il commande Ă ses fiers et redoutables Aquilons (orchestre furieux). A la fois complice et trĂšs avisĂ©e, PalĂšs, interprĂ©tĂ©e par (la trĂšs solide) Emmanuelle de Negri (Ă©prise du berger), lui insuffle lâesprit de lâintrigue : quâil enlĂšve Titon, pour mieux rĂ©conforter et conquĂ©rir le cĆur de lâAurore.
Acte II
Mondonville excelle alors Ă peindre la solitude de lâAurore dĂ©possĂ©dĂ©e de son amant⊠vite rejointe par un Eole plus sanguin que rĂ©flĂ©chi que lâĂ©toile matinale finit par haĂŻr. Toujours bien manipulĂ© par lâinsidieuse PalĂšs, Eole se prĂ©cipite alors en injonctions impĂ©rieuses commandant Ă ses vents mauvais, avec tonnerre (« Ravagez lâunivers »), en une grande scĂšne de fantasmagorie terrifiante (effets de draperies flottantes Ă lâappui⊠avec chĆur agitĂ©). Mondonville affectionne manifestement cet Eole dĂ©chainĂ©, excitĂ© (prĂ©texte Ă surenchĂšre orchestrale), jusquâĂ ce que PalĂšs lui avoue aimer Titon.
Le duo Titon / PalĂšs qui tente de le charmer en suscitant le tableau des 3 nymphes (« lâamour vous appelle⊠») convoque de nouvelles douceurs ; sĂ©quence Ă la fois lascive et pastorale dans une surenchĂšre de moutons cotonneux (littĂ©ralement empilĂ©s) et mĂȘmes dansants⊠qui finissent par devenir envahissants. Voire ennuyeux si lâon scrute alors les soupirs du berger indiffĂ©rent (« Ah, rendez moi lâAurore ou laissez-moi mourir »). Cette page certes nâest pas du meilleur Mondonville⊠câest une crĂ©ation plus que convenue, bergerie caricaturale, parfois dĂ©lirante (les moutons volants) mais musicalement, tristement conforme et fleuri Ă souhaits. Câest lĂ que le musicien reste un suiveur de Rameau (malgrĂ© le nerf caractĂ©risĂ© quây placent Bill et ses musiciens). Fort heureusement, la haine vengeresse gagne trĂšs vite le cĆur de PalĂšs, qui exulte et sâenflamme, furieuse de se voir Ă©cartĂ©e par le berger inflexible.
III
De sorte quâau dĂ©but du III, le sort de Titon et de lâAurore (proies des deux haineux) semble scellĂ© : Eole et PalĂšs entendent tuer lâamour des deux amants. Superbe rĂ©ussite musicale et théùtrale, le plateau rĂ©unit alors le couple le plus convaincant : Emmanuel de Negri et Marc Mauillon, excellents diseurs, acteurs non moins assurĂ©s, unis dans la jouissance du malheur, en un duo des plus dĂ©lectables, Ă©numĂ©rant dĂ©lices et charmes de la vengeance. Mondonville conclut son opĂ©ra en rĂ©compensant la loyautĂ© indĂ©fectible de Titon devenu vieux et misĂ©rable : en suscitant Amour vainqueur, Aurore assure Ă son amant une apothĂ©ose digne des hĂ©ros, « modĂšles des cĆurs reconnaissants ».
LâopĂ©ra de 1753 cĂ©lĂšbre la puissance de lâAmour, et le bonheur qui est rĂ©servĂ© Ă ceux qui sâen montrent dignes, mĂȘme sâils sont comme ici, Titon et lâAurore, Ă©prouvĂ©s. La partition nâa pas le gĂ©nie de Rameau, mais lâorchestre parfois tournant Ă vide, regorge dâaccents expressifs ; et le couple haineux, dâEole et de PalĂšs, sont deux entitĂ©s qui ne manquent pas de piquant. Dommage quâici lâamour dĂ©lectable de Julie Roset ne trouve pas en Renato Dolcini, un PromothĂ©e digne de sa verve malicieuse. A lâĂ©poque de la querelle des bouffons, plutĂŽt iatalianisant, Mondonville a pourtant rĂ©servĂ© dans le Prologue un rĂŽle passionnant Ă celui qui a volĂ© le feu (vraie bartyon-basse dâagilitĂ©). Tandis que la mise en scĂšne et les rĂ©fĂ©rents visuels de Basil Twist se figent dans une fĂ©erie pastorale simple, efficace, parfois systĂ©matique (les moutons de cette « pastorale hĂ©roĂŻque » sont copieusement servis, en veux-tu en voilĂ ). La direction de Bill Christie, sĂ©duit toujours autant par cette Ă©quation singuliĂšre, entre Ă©lĂ©gance et nervositĂ©, prĂ©cision et fluiditĂ©. Musicalement, un Mondonville de rĂȘve.
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VOIR et REVOIR lâopĂ©ra Titon et lâAurore de MONDONVILLE
https://www.medici.tv/fr/operas/jean-joseph-cassanea-de-mondonvilles-titon-et-laurore/
Jean-Joseph CassanĂ©a de Mondonville : TITON ET LâAURORE
Pastorale hĂ©roĂŻque en trois actes et un prologue. Livret de l’abbĂ© de La Marre. Créée en 1753 Ă lâAcadĂ©mie royale de musique
Direction musicale : William Christie
Mise en scÚne, décors, costumes, marionnettes : Basil Twist
Titon : Reinoud Van Mechelen
LâAurore : Gwendoline Blondeel
PalĂšs : Emmanuelle De Negri
Eole : Marc Mauillon
Amour : Julie Roset
Prométhée : Renato Dolcini
Nymphes : Virginie Thomas, Maud Gnidzaz, Juliette Perret (III)
MarionnettistesâŠ
ChĆur et orchestre Les Arts Florissants
DurĂ©e estimĂ©e : 2h – spectacle en français, surtitrĂ© en anglais et en français