Compte-rendu critique. OpĂ©ra. CAPRAROLA, Festival STRADELLA, La Circe, 29 aoĂ»t 2020, Ensemble Mare Nostrum, Andrea De Carlo… Stradella le magicien… Le Festival Stradella poursuit son Ćuvre salutaire dâexploration de ce grand compositeur, qui chaque annĂ©e apporte son lot de nouveautĂ©s et de surprises. Et on sait grĂ© Ă cette remarquable institution dâavoir pu maintenir ses activitĂ©s en ces temps troublĂ©s de distanciation sociale et culturelle. Dâautant que lâon a assistĂ© Ă une vĂ©ritable et rĂ©jouissante dĂ©couverte. On connaissait cette brĂšve sĂ©rĂ©nade, dĂ©jĂ jouĂ©e et gravĂ©e il y a quelques annĂ©es (en 2016 par Luca Guglielmi pour le label Stradivarius). En rĂ©alitĂ© cette Ćuvre singuliĂšre existe sous la forme de deux manuscrits, conservĂ©s Ă la Biblioteca Estense de ModĂšne, qui prĂ©sentent deux versions trĂšs diffĂ©rentes, aussi bien par son livret, dans les deux cas du poĂšte Giovanni Filippo Apolloni, que par sa musique.
PrĂ©cĂ©dĂ©e par une superbe aria de la Susanna (« Da chi spero aita, o cieli ? »), lâun des plus beaux oratorios de Stradella, interprĂ©tĂ©e en hommage Ă Ennio Morricone rĂ©cemment disparu, la version prĂ©sentĂ©e pour lâouverture du Festival est inĂ©dite et correspond Ă la mouture originale, plus courte, dâune durĂ©e nâexcĂ©dant pas quarante minutes, mais musicalement plus audacieuse. Si la seconde version a Ă©tĂ© jouĂ©e pour la princesse Olimpia Aldobrandini dans sa villa de Frascati le 16 mai 1668, on nâa aucun tĂ©moignage dâune reprĂ©sentation de la premiĂšre qui nâa probablement jamais Ă©tĂ© jouĂ©e. La partition frappe par le contraste entre une intrigue extrĂȘmement tĂ©nue â il ne se passe pour ainsi dire rien, sinon les efforts de CircĂ© pour se liguer avec ZĂ©phyr et le fleuve Algido et promettre ainsi Ă la princesse commanditaire les fruits des diffĂ©rents Ă©lĂ©ments â et la force dramaturgique de la musique, dâune grande richesse expressive, et dont les airs prĂ©dominent largement sur les rĂ©citatifs rĂ©duits Ă la portion congrue. Les formes closes se succĂšdent Ă un rythme frĂ©nĂ©tique donnant lâimpression dâune musique ininterrompue, « durchkomponiert », par un Stradella Ă peine ĂągĂ© de vingt-cinq ans. Contrairement aux habitudes de lâĂ©poque, elles ne sont pas toujours reliĂ©es par des rĂ©citatifs qui ne peuvent faire progresser une action quasi inexistante. Il faudrait commenter chacune des nombreuses arias et trios, mais on relĂšvera en particulier le superbe lamento « Rimembranza che rimbomba », vĂ©ritable sommet de la partition, dâune profondeur exceptionnelle, dans laquelle la voix est sollicitĂ©e Ă travers un assez large ambitus, soulignĂ© efficacement par les cordes dâun pathĂ©tisme dĂ©chirant. Et les trĂšs nombreux trios qui constellent la partition se dĂ©marquent tous par leur briĂšvetĂ© et leur originalitĂ© expressive, dâune grande modernitĂ©, eu Ă©gard Ă la seconde version, plus lĂ©gĂšre et dâune sĂ©duction plus immĂ©diate, tout en tirant bĂ©nĂ©fice de lâhĂ©ritage de la seconda pratica montĂ©verdienne et de de la virtuositĂ© contrapuntique de lâĂ©cole romaine Ă laquelle cette dense et originale sĂ©rĂ©nade se rattache Ă bien des Ă©gards.
Pour dĂ©fendre cette partition qui, comme toutes les autres de Stradella, ne ressemblent Ă aucune autre, un superbe trio de chanteurs, impeccables de justesse, dâengagement, dâexpressivitĂ© et dâĂ©locution a Ă©tĂ© rĂ©uni, dominĂ© par la soprano Ă la fois ductile et puissante de Dorotea Szczepanska dans le rĂŽle-titre, qui dĂ©montre une prĂ©sence scĂ©nique exceptionnelle, une diction sans faille et use magnifiquement de son large spectre vocal. Dans le rĂŽle plus lĂ©ger de ZĂ©phyr, la soprano Giulia Bolcato enchante par un timbre qui sâest clarifiĂ© avec le temps (nous lâavions dĂ©couvert Ă Venise en 2013 dans lâEritrea de Cavalli oĂč elle dĂ©tonnait dĂ©jĂ par sa voix flĂ»tĂ©e et bien projetĂ©e) et qui souligne Ă merveille les milles nuances de la partition. Algido est dĂ©fendu avec panache par Mauro Borgioni, baryton-basse noble et expĂ©rimentĂ© qui apporte le contraste nĂ©cessaire pour faire varier les effets pathĂ©tiques dâune partition qui semble rĂ©percuter davantage le théùtre et les affects dans la théùtralitĂ© de la musique que dans celle du texte poĂ©tique, bien Ă©crit, mais dĂ©nuĂ© de toute pĂ©ripĂ©tie.
Ă la tĂȘte de son ensemble Mare Nostrum, Andrea De Carlo continue de dĂ©fendre cette musique avec la mĂȘme passion communicative. Il est un des rares chefs Ă avoir compris le gĂ©nie théùtral du compositeur et Ă ĂȘtre constamment attentif Ă lâĂ©quilibre des voix et des instruments qui toujours dialoguent dans une mĂȘme volontĂ© de persuasion rhĂ©torique. Dans le somptueux salon Jupiter du palais FarnĂšse, cette soirĂ©e inaugurale du Festival Stradella est une nouvelle fois Ă marquer dâune pierre blanche et nous remplit dâimpatience en attendant lâenregistrement intĂ©gral des deux versions de cette Circe, magique par son sujet, comme par son exceptionnelle musique.
Compte-rendu. OPERA, Festival International Alessandro Stradella, CAPRAROLA, Palais FarnÚse, 29 août 2020, Stradella, La Circe, D Szczepanska (Circe), G Bolcato (Zefiro), M Borgioni (Algido), Mare Nostrum, Andrea De Carlo.