L’oratorio de NoĂ«l de JS Bach

bach jean sebastian sebastien portrait vignette par classiquenews bach_js-jean-sebastianNOËL 2020. Célébrons le temps de NOËL… avec Jean-Sébastien Bach et ses 5 partitions dédiées à la naissance de Jésus et qui compose désormais un ensemble d’une saisissante unité. Cycle miraculeux d’invention et de dramatisme, l’oratorio de Noël (Weihnachts Oratorium) est bien un opéra sacré. JS Bach montre une imagination vive, proche du sens spirituel de ce temps de l’année béni entre tous.

L’opĂ©ra sacrĂ© de Jean-SĂ©bastien Bach

NoĂ«l 2020 : Jordi Savall sublime JS BachNe prenons que la construction et la progression dramatique de la Partie IV. Le choeur d’ouverture (avec cuivres rutilants et subtilement pastoraux) concilie idĂ©alement la tendresse et la victoire, celle du Christ dont on cĂ©lèbre la naissance. JS Bach affectionne l’effusion admirative : il se place du cĂ´tĂ© des bergers enclins Ă  adorer comme un petit frère, l’Enfant nouveau nĂ©. Puis, expression de l’âme fervente du croyant, la basse accompagnĂ©e par le choeur recueille tous les sentiments que produit l’évĂ©nement natal : questionnement et sens de ce miracle dans le coeur de chacun, Ă©mu voire troublĂ© par la Naissance inespĂ©rĂ©e. L’espoir et la tendresse culminent dans l’air de la soprano, en dialogue avec le hautbois, – optimisme et lĂ  aussi tendresse Ă©perdue ; tandis que le tĂ©nor et son non moins cĂ©lèbre air (d’extase mystique « Ich will nur dir zu Ehren leben… / Je veux vivre pour ta seule gloire ») fixe avec une tension dramatique manifeste (accompagnement du violon et de l’alto en duo), l’ardeur presque inquiète du chrĂ©tien qui veut adorer JĂ©sus. L’enchaĂ®nement de ces 4 sĂ©quences relève du miracle, fruit du gĂ©nie musical et dramatique de JS BACH.

Version recommandĂ©e : nouveautĂ© Ă©ditĂ©e par Alia Vox sous la direction de Jordi Savall, live rĂ©alisĂ© en dĂ©cembre 2019 (Barcelone). LIRE notre critique complète du Weihnachts Oratorium de JS Bach par Jordi Savall (2 cd Alia Vox) – CLIC de CLASSIQUENEWS de NoĂ«l 2020

LIRE aussi notre présentation et annonce du coffret Weihnachts Oratorium de JS Bach par Jordi Savall

CD événement, annonce. JS BACH : Weihnachts / Noël Oratorium (Jordi Savall, 2 cd live recording, déc 2019)

JS-BACH-weihnachts-oratorium-oratorio-de-noel-cd-savall-nations-catalunya-alia-vox-cd-critique-ALIA-VOX-critique-cd-classiquenews-AVSA9940COVEROratoriPREPCD Ă©vĂ©nement, annonce. JS BACH : Weihnachts / NoĂ«l Oratorium (Jordi Savall, 2 cd live recording, dĂ©c 2019). Fin mai 1723, Jean SĂ©bastien Bach devenu kantor des quatre Ă©glises du centre historique de Leipzig, conçoit une sĂ©rie de cantates pour les cĂ©lĂ©brations de NoĂ«l et du nouvel An ; en rĂ©sultent les 6 cantates, Ă©crites courant 1733, qui forment aujourd’hui l’oratorio de NoĂ«l, en particulier dans  deux Ă©crins principaux : les Ă©glises Thomaskirche et Nikolaikirche. Ainsi sont fĂŞtĂ©s 7 jours : le 25 jour de NoĂ«l, le 26 Saint Etienne, lendemain de NoĂ«l, le 27 jour de la Saint Jean l’ÉvangĂ©liste, le dimanche avant la Saint-Sylvestre, le 1er janvier, le dimanche avant l’Épiphanie, et enfin le 6, jour de l’Épiphanie. En 1734, le hasard fit que le 26 fut un dimanche et Bach n’eut qu’à Ă©crire 6 cantates au lieu de 7, pour couvrir tous les services de ces festivitĂ©s. Jordi Savall montre comment Bach rĂ©utilise le matĂ©riel purement orchestral composĂ© prĂ©cĂ©demment pour le Collegium Musicum (acadĂ©mie profane de musique dont il devient le directeur 1729). Soucieux d’expressivitĂ© et d’articulation, de souffle fervent aussi, le geste du chef restitue la profonde unitĂ© qui structure un ensemble pourtant composĂ© et conçu de façon sĂ©parĂ©e. La cohĂ©rence dĂ©rive aussi des livrets Ă©crits par le poète Picander, pseudonyme de Christian Friedrich Henrici (1700-1764), alors employĂ© au service postal de Leipzig : Bach l’a aussi sollicitĂ© pour des oeuvres capitales tels la Passion selon Saint Matthieu, Saint Marc, l’oratorio de l’Ascension, la Cantate du Café…

En décembre 2019, Jordi Savall dirige sa fidèle troupe de La Capella Reial de Catalunya, du Concert des Nations (Manfredo Kraemer, concertino) et un plateau de solistes, au Palau de la Musica à Barcelone, les 17 et 18 déc 2019. Le chef catalan réussit à exprimer non plus le doute de la croyance mais l’espérance et la joie que suscite désormais une épopée musicale du temps de Noël… Prochaine critique complète dans le mag cd dvd livres de classiquenews.


 

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Précédent CD critiqué de JORDI SAVALL sur CLASSIQUENEWS.COM :

CD événement, CLIC de CLASSIQUENEWS : Alcyone de Marin MARAIS : Lire notre critique complète ici : http://www.classiquenews.com/cd-evenement-critique-marais-alcione-jordi-savall-3cd-alia-vox-2017/
Intégré dans notre sélection de Noël 2020

 

 

 

PLUS D’INFOS sur le site d’ALIA VOX : https://www.alia-vox.com/fr/catalogue/pre-order-j-s-bach-weihnachts-oratorium/

Cd Ă©vĂ©nement, critique. MARAIS : Alcione – Jordi Savall (3cd Alia Vox, 2017)

MARIN-MARAIS-CD-ALCIONE-jordi-Savall-concert-des-nations-cd-classiquenews-critique-dossier-noel-classiquenews-critique-cd-Cd Ă©vĂ©nement, critique. MARAIS : Alcione – Jordi Savall (3cd Alia Vox, 2017). En 1706, Marin Marais, chef d’orchestre Ă  l’AcadĂ©mie royale, adulĂ© pour ses dons de violiste et depuis toujours favorisĂ© par le Roi, livre Alcione, ultime tragĂ©die en musique du règne de Louis XIV. Il y a peu d’effusion amoureuse et heureuse dans une partition qui touche par son Ă©loquence instrumentale, sa progression tragique, ses rares duos sublimes (Alcione / PelĂ©e au IV et V), ses Ă©vocations maritimes et sa tempĂŞte, mĂŞlĂ©e au songe qui frappe Alcione. Jordi Savall accomplit en 2007 l’une des meilleures contributions au genre lyrique du Grand Siècle, Ă©clairant mĂŞme cette modernitĂ© poĂ©tique de Marais, en particulier dans le flux irrĂ©pressible qui mène le drame vers son dĂ©nuement finalement heureux quand Neptune touchĂ©, ressuscite les amants Ă©prouvĂ©s afin qu’ils engendrent les Alcions, protecteurs des marins, chasseurs de tempĂŞtes et donc de naufrages.

En recréant ainsi Alcione de 1706,

Jordi Savall dévoile le génie orchestral
et la veine tragique de Marin Marais

CLIC_macaron_2014La Chaconne finale, véritable morceau orchestral, indique au début XVIIIè, le souffle symphonique d’une écriture à redécouvrir d’urgence. A la clarté et l’articulation du continuo comme de l’orchestre, répond le souci du verbe et des récits dramatiques que portent à une perfection agissante les 3 solistes réunis ici : Léa Desandre dans le rôle titre (laquelle délivre pour Alcione, une soie vocale des plus fluides, à la fois onctueuse et mordante, éclairant aussi cette angélisme volontaire), Cyril Auvity, ténor souple en Ceix, et surtout le baryton percutant, naturel Marc Mauillon qui fait du personnage de Pellée, le pilier de l’action : l’amoureux en souffrance d’Alcione brûle littéralement par son ardeur virile jusqu’à son suicide « heureux » au V. Il revient à Marais d’éblouir par son écriture colorée et puissante, pourtant dans un genre qui avait été dominé jusque là par Lully. Le soin qu’apporte Savall à la caractérisation et l’enjeu poétique de chaque acte, et ce dès le Prologue (duel Apollon / Pan) convainc particulièrement.

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Cd Ă©vĂ©nement, critique. MARAIS : Alcione – Jordi Savall (3cd Alia Vox, 2017) – CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2020. Plus d’infos sur le site d’ALIA VOX :
https://www.alia-vox.com/fr/catalogue/marin-marais-alcione-tragedie-lyrique/

CD critique. GUERRE et PAIX : WAR AND PEACE : 1614 – 1714 (2 cd Alia Vox)

war peace guerre et paix jordi savall alia vox 2015 cd critique classiquenewsCD critique. GUERRE et PAIX : WAR AND PEACE : 1614 – 1714 (2 cd Alia Vox) – Dans ce coffret de 2 cd enregistrĂ© en 2014 (pour le plus rĂ©centes sessions), Jordi Savall pointait du doigt un flĂ©au malheureusement et honteusement emblĂ©matique de l’histoire humaine : l’essor des guerres produisant atrocitĂ©s, barbaries, traumatismes chez les peuples qui en sont les victimes, des deux cĂ´tĂ©s, vainqueurs et vaincus. La Guerre de Trente Ans, jusqu’en 1648, marque la première moitiĂ© du XVIIè, siècle des guerres de religions (catholiques / protestants) auxquelles politiques en opportunistes cyniques apportent leur soutien selon leur intĂ©rĂŞt et leur volontĂ© de puissance. Les musiques de ce siècle martyrisĂ©, et du suivant (XVIIIè) illustrent Ă  la fois la majestĂ© dĂ©risoire des grandes nations belliqueuses (dont la France Ă©videmment, puis les Habsbourg autrichiens comme espagnols) mais aussi la vanitĂ© et les misères terrestres. Y rayonnent solennitĂ© et puissance de Biber (Missa Bruxellensis, Requiem) et Lully, musiques autant fastueuses que ferventes, auxquelles Marc Antoine Charpentier offre sa profondeur non moins Ă©clatante. Pourtant serviteur de la solennitĂ© française, Lully compose un remarquable Motet (concerto) pour la Paix ; une espĂ©rance prolongĂ©e par le Te Deum de Charpentier) et le Jubilate Deo de Handel ; ils sont les formes usuelles pour cĂ©lĂ©brer la fin d’une guerre en une action de grâce collective et ouverte.
L’époque est celle des instruments, comme en témoigne le passage de la viole de gambe à la famille des violons (Jenkins) ; la sélection des partitions ainsi opérée met en avant l’essor de la suite de danses, cycle purement musical où les instruments ne suivent pas les accents et images d’un texte, uniquement les ressorts du rythme produisant architecture (superbe Chaconne de Muffat). Ainsi les nombreuses batailles signées Schiedt, Biber, surtout Kerll) : hymnes percutants en contrastes et surprises. Le col legno de Biber revêt une coloration expressive inédite (Die Schlacht) qui saisit par son usage mesuré et génialement expressif.
Jordi Savall rappelle combien Louis XIII, digne père de son fils le Roi-Soleil et protecteur des artistes, sut déjà en 1626, en instituant les fameux 24 violons du Roi (comme il fixera tout autant les 12 grands hautbois du Roi), impose un nouveau standard orchestral d’une densité inouïe jusque là (à 4 et 5 parties).
Lully reprend le flambeau et réalise le passage du ballet de cour vers la tragédie en musique : emblème d’une France omnipotente, aussi martiale que raffinée, supplantant désormais les prodiges de l’Italie. Le stile concertato est la réponse italienne à cette recherche permanente du contraste, adulé par les luthériens heureux d’articuler ainsi avec accents la ferveur protestante (Siehe an die Werke Gottes de Rosenmüller).
CLIC D'OR macaron 200Racines et origines obligent, Jordi Savall évoque le temps « béni » où Barcelone confirmait déjà sa primauté comme capitale artistique de la Catalogne, alors résidence de la cour de l’Archiduc Charles (dès 1705) et dont la création de l’opéra de Caldara « Il piu bel nome » témoigne en 1708, en pleine guerre de Succession d’Espagne… l’ouvrage est d’autant plus significatif qu’il est premier opéra italien, de style napolitain, produit en Espagne. Du reste, l’éloquente et patriote fierté catalane s’exprime aussi dans plusieurs chansons restituées ici : El Cant dels Aucells, mélodie ancestrale adaptée alors pour l’arrivée de Charles justement en 1705 ; puis Catalunya, et Catalunya en altre temps ella sola es governava au titre sans ambiguïté qui témoigne aussi d’un sentiment indépendantiste fort et nostalgique. Qu’il s’agisse de mélodies populaires ou de formes savantes, l’idéal martial s’exprime entre noblesse, raffinement, détermination. L’engagement de Jordi Savall et ses musiciens est indiscutable. La grandeur comme le dénuement se côtoient et proche de l’âme catalane ibérique, une certaine gravité fraternelle se précise encore quand Savall exprime les tourments et aspirations de sa terre natale. Livre disque incontournable.

CD critique. GUERRE et PAIX : WAR AND PEACE : 1614 – 1714 (2 cd Alia Vox AVSA9908)
Jordi Savall, la Capella Reial de Catalunya, Le Concert des Nations, Hespèrion XXI
https://www.alia-vox.com/fr/catalogue/guerre-paix-1614-1714/

CD événement, critique. HAENDEL : MESSIAH, Le Messie – Jordi Savall (2 cd ALIA VOX, déc 2017)

critique-582-haendel-savall-le-messie-messiah-oratorio-hwv-56-savall-chapelle-royale-de-versailles-critique-review-critique-cd-opera-concert-classiquenews-alia-vox-dec-2019CD Ă©vĂ©nement, critique. HAENDEL : MESSIAH, Le Messie – Jordi Savall (2 cd ALIA VOX, dĂ©c 2017) – enregistrĂ©e sous la voĂ»te de la chapelle royale de Versailles, cette lecture du Messie de Haendel, chef d’œuvre incontestable du Saxon baroque dans le genre de l’oratorio anglais (1742), ravira les plus exigeants. Arguments de poids de cette production sous la direction du catalan Jordi Savall, parmi les solistes, le très subtil soprano de l’écossaise Rachel Redmond (habituĂ©e des Arts Flo et laurĂ©ate du Jardin des Voix), mais aussi le formidable baryton Matthias Winckhler, nuancĂ©, Ă©lĂ©gant, souple et naturel… sans omettre le geste choral palpitant des chanteurs de la Capella Reial de Catalunya. Le Concert des Nations et son « concertino » Manfredo Kraemer assurent le relief et le souffle d’une partition irrĂ©sistible dans ses Ă©vocations naturalistes et spirituels.
La partition tel un miracle inespéré, lumineux surgit après l’année noire 1737 quand le théâtre d’opéra qu’il avait fondé fait faillite, que surmené, et trop productif, il est foudroyé par une paralysie (du bras droit, en avril), que meurt le 20 nov, sa seule protectrice la plus fervente et amicale, la Reine Caroline (épouse de Georges II), honorée dans le sublime Funeral Anthem. Pourtant Haendel au fond du gouffre ressuscite. De ce traumatisme intime naît un nouveau genre l’oratorio anglais dont il fait un écrin spirituel d’une exceptionnelle intensité. La renaissance de Haendel passe ainsi : après une cure de vapeur à Aix la Chapelle, on le pensait fini, il enchaîne ressuscité, une nouvelle carrière qui le mène directement vers la gloire. Le Messie / The Messiah raconte cela surtout : la sublimation et le salut d’une âme donnée pour perdue. Dont la partition du Messie exprime l’inflexible espoir, l’inaltérable foi en Dieu. Les textes des trois parties sont invitation à la méditation, dans la confrontation de ce qu’a réalisé le Christ.

Ă  Versailles,
Majesté et méditation du Messie
par Jordi Savall

A Versailles, Jordi Savall offre une lecture pleine de panache et de ferveur, selon l’expérience personnelle de Haendel à l’époque de la composition de la partition du Messie. Le chef catalan en construit l’architecture méditative, telle la confession sincère d’un homme miraculé qui rend grâce et remercie dans la joie.  Jordi Savall souligne la profondeur des textes qui citent et évoquent la grandeur morale du Christ sans le portraiturer directement mais l’exposent continument comme source d’admiration. Le chœur participe intensément à la suggestion et les solistes soulignent la nécessité de méditer cet exemple de vertu inlfexible et de volonté tragique.

Passons sur les petites faiblesses de cette lecture globalement superlative (en réalité qui concernent 2 solistes éreintés). Le ténor Nicholas Mulroy plafonne ; voix fatigué et trop lisse, il n’empêche pas son medium d’être voilé, ce qui l’écarte d’une réelle brillance du timbre (en particulier dans la seconde partie où le ténor est le plus sollicité ; ses airs manifestent l’autorité belliqueuse divine ; le timbre est sans aucun éclat ; dommage). Même triste constat pour un Damien Guillon en déça de ce que nous connaissons : voix faible et intensité comme justesse en fragilité. C’était pour le chanteur français, un soir sans âme ni éclat.

Par contre le choeur final de la partie centrale (II) « Allelujah » confirme l’excellente tenue des choristes ; aussi racés, exaltés, dramatiques mais sans épaisseur, détaillés, articulés que les chanteurs des Arts Flo : c’est dire. Dans cette conclusion de la seconde partie,- la plus virtuose et éclatante, à la fois majestueuse et volontaire de Haendel (rappelant Zadok), le collectif choral se montre nerveux ; il confirme l’excellente préparation de la Cappela Real de Catalunya et une évidente intelligence haendélienne. Associé à l’orchestre et aux autres solistes, le chœur ainsi convaincant, demeure le pilier de cette lecture sur le vif. La vivacité de chaque pupitre renforce la clarté de la polyphonie (fugue finale), ainsi que le geste dramatique de chaque section chorale. Voici un chant habité, incarné : celui des fervents illuminés à la fin, et auparavant chœur des anges, des brebis égarées, chœur de haine, de violence, selon l’exhortation des solistes et les épisodes bibliques qu’ils évoquent ; la justesse expressive des choristes est indiscutable ; elle réussit à déployer le souffle spirituel et l’ardente aspiration dans l’espérance.  Le choeur, la soprano, la basse associé au geste impétueux, éclatant mais nuancé de l’orchestre réalisent un sans faute.

La prĂ©sence rayonnante, son angĂ©lisme pour le coup lui aussi, lumineux et sĂ»r de Rachel Redmond, son Ă©mission naturelle, sa couleur tendre et dĂ©terminĂ©e, reste le second pilier de cette lecture ; son air de ferveur apaisĂ© et accomplie, (d’après Job), « I know that my Redeemer… » qui ouvre les lumières de la Partie III – Ă©voquant surtout la RĂ©surrection, atteste de cette certitude de Haendel, ce miraculĂ© terrassĂ©, Ă  jamais confirmĂ©. La succession de ces deux sĂ©quences – chĹ“ur exultant, soprano en lĂ©vitation-, demeure très convaincant.
MĂŞme tenue exemplaire, autant dramatique qu’inspirĂ©e, du baryton Matthias Winckhler qui affirme tout autant une suretĂ© naturelle, ronde et magnifiquement timbrĂ©e – expression du fervent touchĂ© par la grâce qu’il reçoit peu Ă  peu (son dernier air solo avec trompette « the trumpet shall sound » rayonne littĂ©ralement, Ă  la fois sobre, flexible, libre).
CLIC_macaron_2014D’ailleurs, toute la troisième partie, confirmation du miracle de la RĂ©surrection et de la dĂ©faite de la mort – grâce aux airs pour soprano, pour basse (avec trompette) et dans le duo tĂ©nor / alto, exprime la profondeur et l’activitĂ© de la mĂ©ditation Ă  laquelle Haendel nous invite : il a vu comme une rĂ©vĂ©lation, – après sa guĂ©rison miraculeuse, Dieu dans le ciel dans une vision spectaculaire et Ă©blouissante ; ce tĂ©moigne nous est offert Ă  travers la musique, vivante, fragile, vibrante sous la direction très fraternelle de Jordi Savall. Magnifique lecture qui mĂ©rite bien cet enregistrement mĂ©morable. CLIC de CLASSIQUENEWS de dĂ©cembre 2019.

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CD événement, critique. HAENDEL : MESSIAH, Le Messie – Redmond, Winckhler, Capella Real de Catalunya… Jordi Savall (2 cd ALIA VOX, Versailles déc 2017)  -   CLIC de CLASSIQUENEWS de décembre 2019.

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Approfondir 

visiter le site du baryton mozartien / haendélien :
https://www.matthiaswinckhler.de/en/oper

celui de la soprano Rachel Redmond
http://rachelredmondsoprano.com/fr/accueil/

voir Rachel Redmond dans le Messie de Haendel,
autre production 2015  -  Le Concert d’Anvers
/ Bart Van Reyn
https://www.youtube.com/watch?time_continue=834&v=xSWreIkLM3E&feature=emb_logo

CD Ă©vĂ©nement, annonce. HAENDEL : MESSIAH, Le Messie – Jordi Savall (2 cd ALIA VOX, dĂ©c 2017)

critique-582-haendel-savall-le-messie-messiah-oratorio-hwv-56-savall-chapelle-royale-de-versailles-critique-review-critique-cd-opera-concert-classiquenews-alia-vox-dec-2019CD Ă©vĂ©nement, annonce. HAENDEL : MESSIAH, Le Messie – Jordi Savall (2 cd ALIA VOX, dĂ©c 2017) - enregistrĂ©e sous la voĂ»te de la chapelle royale de Versailles, cette lecture du Messie de Haendel, chef d’œuvre incontestable du Saxon baroque dans le genre de l’oratorio anglais (1742), ravira les plus exigeants. Arguments de poids de cette production sous la direction du catalan Jordi Savall, parmi les solistes, le très subtil soprano de l’écossaise Rachel Redmond (habituĂ©e des Arts Flo et laurĂ©ate du Jardin des Voix), mais aussi Damien Guillon ou encore Matthias Winckhler… sans omettre le test choral palpitant de la Capella Reial de Catalunya. Le Concert des Nations et son « concertino » Manfredo Kraemer assure le relief et le souffle d’une partition irrĂ©sistible dans ses Ă©vocations naturelles ou mystiques.
La partition telle un miracle inespéré, lumineux surgit après l’année noire 1737 quand le théâtre d’opéra qu’il avait fondé fait faillite, que surmené, et trop productif, il est foudroyé par une paralysie (du bras droit, en avril), que meurt le 20 nov, sa seule protectrice la plus fervente et amicale, la Reine Caroline (épouse de Georges II), honorée dans le sublime Funeral Anthem. De ce traumatisme intime naît un nouveau genre l’oratorio anglais dont il fait un écrin spirituel d’une exceptionnelle intensité. La renaissance de Haendel passe ainsi : après une cure de vapeur à Aix la Chapelle, on le pensait fini, il enchaîne ressuscité, une nouvelle carrière qui le mène directement vers la gloire. Le Messie / The Messiah raconte cela surtout : la sublimation et le salut d’une âme donnée pour perdue.
CLIC D'OR macaron 200A Versailles, Jordi Savall offre une lecture pleine de panache et de ferveur, selon l’expérience personnelle de Haendel à l’époque de la composition de la partition du Messie, comme la confession sincère d’un homme miraculé qui rend grâce et remercie dans la joie. Grande critique à venir dans la mag cd dvd livre de classiquenews. CLIC de CLASSIQUENEWS de décembre 2019.

 

 

 

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CD Ă©vĂ©nement, annonce. HAENDEL : MESSIAH, Le Messie – Jordi Savall (2 cd ALIA VOX, dĂ©c 2017)  -   CLIC de CLASSIQUENEWS de dĂ©cembre 2019.

CD, coffret Ă©vĂ©nement. MOZART : les 3 dernières Symphonies (39, 40, 41 “Jupiter”) / Jordi SAVALL (3 cd Alia Vox)

MOZART-testament-symphonique-symphonies-39-40-41-jordi-savall-alia-vox-cd-critique-3-cd-alia-vox-les-nations-classiquenews-cd-critique-classiquenewsCD, coffret Ă©vĂ©nement. MOZART : les 3 dernières Symphonies (39, 40, 41 “Jupiter”) / Jordi SAVALL (3 cd Alia Vox). En 1788, Mozart âgĂ© de 32 ans est dĂ©jĂ  Ă  la fin de sa trop courte existence : il meurt 3 ans plus tard. Les 3 dernières Symphonies n°39, 40 et 41 « Jupiter » sont Ă©laborĂ©es en 6 semaines, de juin Ă  aoĂ»t 1788, 3 sommets absolus, en plĂ©nitude orchestrale, justes, profonds, d’une sincĂ©ritĂ© et d’un Ă©lan intĂ©rieur, irrĂ©sistibles. Mi bĂ©mol, sol mineur, do majeur… le parcours des tonalitĂ©s n’en finissent pas de fasciner car il y a bien unitĂ© et cohĂ©rence organique de l’une Ă  l’autre, ce que tend Ă  exprimer et argumenter Jordi Savall qui parle mĂŞme de « Testament symphonique ». La vision est d’autant plus lĂ©gitime que ce portique inouĂŻ, totalement visionnaire sur le plan de l’histoire musicale et du genre symphonique, n’obĂ©it pas Ă  une commande mais prolonge un besoin impĂ©rieux, viscĂ©ral de la part d’un crĂ©ateur mĂ©sestimĂ©, Ă©cartĂ© mĂŞme du milieu officiel et politique, qui de surcroĂ®t est aux abois : la ruine financière et les dettes de Wolfgang l’obligent Ă  quĂ©mander auprès de tous ses proches, dont ses « frères » franc-maçons, une pièce ou un billet (florins ou ducats) pour survivre (cf lettre Ă  Michael Puchberg, comme lui membre de la loge Zur Wahrheit / A la vĂ©ritĂ©). Franc maçon depuis 1784 (comme Haydn), Mozart plonge Ă  Vienne de la pauvretĂ© Ă  la misère fin 1787. La souffrance, la mort, la vanitĂ© de toute chose…. sont des sentiments dĂ©sormais explicites dans l’écriture. D’oĂą l’urgence qui s’en dĂ©gage ; le dĂ©sarroi et l’espĂ©rance aussi qui innervent tout le retable orchestral.
savall-jordi-nuit-des-rois-versaillesSavall rĂ©tablit la place des Ă©vĂ©nements, le contexte d’une existence humaine dĂ©primĂ©e et affligeante en vĂ©ritĂ©, alors que l’acuitĂ© artistique du compositeur, la vitalitĂ© et les trouvailles de son gĂ©nie musical, atteignent des sommets d’audaces comme d’accomplissements inĂ©dits. Très juste et pertinent, le chef catalan ajoute la fameuse marche funèbre – Maurerische Trauermusik K 477 de 1785, rĂ©alisĂ© pour les funĂ©railles de deux frères de la loge : le lugubre bouleversant qui s’en dĂ©gage exprime au plus près, la conscience d’un Mozart touchĂ© par le sentiment de sa propre fragilitĂ© comme de sa mort. Puis deux ans après au printemps 1787 surviendra sa sĂ©paration avec la soprano Nancy Storace (sa Suzanne des Nozze), rupture elle aussi très douloureuse. La mort inspire constamment son Ĺ“uvre (d’autant plus avec la mort du père, Leopold survenue en mai 1787), sublimĂ©e prĂ©sente dans son nouvel opĂ©ra Don Giovanni (créé en oct 1787).
Jordi Savall rappelle le masque et la présence de la mort comme équation permanente dans la résolution des 3 symphonies : endetté, Mozart implore la générosité de moins en moins franche de ses frères dont le même Pucheberg (qui réduit considérablement ses dons à son ami) ; seul Swieten se montrera plus constant et d’un soutien indéfectibe.
Malgré cette indigence injuste, le génie mozartien, foudroyé, produit ses plus grands chefs d’œuvres symphoniques. Et pour mieux souligner encore leur continuité naturelle, la Symphonie en sol mineur (n°40), centrale, est présente sur les 2 cd ; passage continue depuis la mi bémol n°39 sur le cd1 ; volet préalable nécessaire à la Do majeur n°41 « Jupiter », sur le cd2 ; de facto, l’écoute en continu laisse se manifester l’absolue relation et la complémentarité des 3 cimes symphoniques, faisant ainsi sens en leur flux ininterrompu.

Savall se joue des timbres d’époque dans chaque partition, soulignant souvent la résonance et la réverbération pour mieux accentuer l’effet de solennité grave, d’ampleur souterraine liée au sentiment tragique. D’autant que surgissant d’une nécessité et d’un ordre intérieur et personnel impérieux, les 3 Symphonies ne furent probablement jamais créées et jouées du vivant de Wolfgang. En tout cas, pas dans leur continuité organique ainsi rétablie.

 

 

Testament symphonique de Mozart
et déjà romantique…

 

 

MOZART wolfgang vienne 1780 1790 classiquenews 1138381-portrait-wolfgang-amadeus-mozartDès la couleur particulière de la 39 (la clarinette placée au centre de l’échiquier instrumental y joue des contrastes et aussi de la riche texture orchestrale), Savall souligne les accents d’une partition entre ombre et lumière, panique et sérénité. De la même façon, le chef saisit et amplifie les harmonies inquiètes qui occupent le cœur de l’Andante con moto. Et Haydn est bien présent dans le raffinement éblouissant du Finale. Achevée en juillet 1788, la 40 est tout aussi lumineuse et solaire mais aussi emprunte d’un sfumato émotionnel qui est lié à l’utilisation du sol mineur, le mode doloriste (celui de Pamina dans La Flûte). L’allegro initial est de loin la création la plus puissante et exaltante de Mozart, un mouvement dont Savall exprime l’agitation quasi syncopée, l’exaltation des sens et une ivresse éperdue, presque panique et pourtant déjà romantique, totalement magicienne… Même naturel évident dans la Sicilienne qui est le mouvement lent (Andante) ; avant le surgissement d’une angoisse indicible dans le Finale qui affirme la haute conscience de la mort. Mozart s’y livre avec une acuité irrésistible que Savall sculpte dans la masse, en une danse ivre, exaltée, éperdue, comme d’un dernier souffle chorégraphique, l’ultime désir intime contre la tempête adverse : il n’est pas un mouvement orchestral de tout le XVIIIè qui affirme clairement son esprit déjà romantique. Quel saisissant contraste avec la musique funèbre enchaînée où la réverbation noble du lieu d’enregistrement amplifie la grandeur lugubre, portée par les bois. Mozart va très loin dans cette exploration personnelle de la mort.

Mozart_1780Symphonie 41 « Jupiter » : à notre avis elle aurait mérité plutôt le surnom d’Apollon ; certes il y a du militaire dans la remise en ordre du premier mouvement, superbe proclamation des forces de l’esprit sur tout ferment instable ; l’impérieuse nécessité se fait volonté et autodétermination, d’autant plus impériale et « pacificatrice » après le tumulte intranquille de la 40è, océan de sensations jaillissantes, exaltées. Mozart affirme ici le calme tranquille et l’équilibre des forces maîtrisées en une écriture d’un lumineuse finesse. Ce début proclame une rage déterminée prébeethovénienne, dans son élan, et aussi son orchestration : le sommet de l’expérience orchestrale contenue dans le triptyque. Savall grâce à une attention aux détails fait briller les nuances de cet éclat spécifique, saisi dans sa puissance comme dans ses reflets les plus infimes. On reste saisi par la hauteur du regard de l’interprète, comme de la pensée mozartienne : qu’aurait écrit le compositeur s’il n’était pas mort en 1791, dépassant le siècle et s’affirmant même tel un Haydn, encore prodigieusement actif à l’aube romantique ? Tout Mozart, le plus volontaire, le plus humain, le plus déchirant se trouve ici condensé dans ce lever de rideau ouvertement positif.
La caresse du chef, pleine de renoncement et de nostalgie dans l’Andante, n’oublie pas les arêtes vives, la tranche des contrastes aux cordes nettes et nerveuses, presque acérée. La forte réverbération accuse encore l’ampleur lugubre du morceau dont la lumière chatoyante se rapproche des déplorations maçonniques…
MOZART-wolfgang-portrait-concerto-symphonie-jupiter-don-giovanni-mozart-critique-opera-sur-classiquenewsLe Menuetto est réglé comme une mécanique pleine de rebond élastique où rutilent les couleurs des bois. Savall y distille un élan rond et énergique, là encore déjà beethovénien.
Mais le morceau de bravoure se déploie à la fin. Rien ne peut résister à l’affirmation olympienne, triomphante et conquérante du Finale, de fait « Jupitérien », dont Savall sait distiller (cordes) une couleur très fine qui ajoute à la trépidation nerveuse de l’architecture. Flûtes, hautbois, bassons dansent tandis que les cordes assènent leur miraculeuse volonté éprise d’ordre et de grandeur, d’élévation et de jubilation. Aux bois aériens, abstraits, Savall fait répondre les cordes engagées, mordantes, presque rageuses, d’une superbe autorité ryhtmique, creusant le sillon d’une volonté désormais invincible. Aucun doute, dans cette proclamation jubilatoire s’inscrit là encore, le premier Beethoven. Transparence, clarté, nervosité, articulation et souffle préromantique : le voici ce Mozart visionnaire, poète et moderne. Magistral.

L’élĂ©vation de l’inspiration, la poĂ©sie qui s’en dĂ©gage et qui confine Ă  l’abstraction (mais il serait erronĂ© d’en Ă©carter tout  ancrage dans l’expĂ©rience humaine) impose aujourd’hui le triptyque comme un sommet de l’écriture symphonique dont l’ampleur de la vision, l’expĂ©rience intime qui y est concentrĂ©e, impressionnent. Mozart est dĂ©jĂ  un romantique car sa musique est fondĂ© sur la vĂ©ritĂ© du cĹ“ur. Et Berlioz se trompait en fustigeant ce dernier sommet mozartien par son « absence de but » liĂ© Ă  « trop de procĂ©dĂ©s techniques ». De toute Ă©vidence, le premier romantique français n’avait pas compris la modernitĂ© singulière de la symphonie mozartienne. Beethoven prendra la relève 11 annĂ©es plus tard en 1799 dans sa Symphonie n°1 (Ă  29 ans et encore très mozartien de facture).
CLIC D'OR macaron 200Aujourd’hui, grâce à Savall, c’est a contrario la vérité et l’étonnante sincérité de Mozart qui nous touche tant, car chez lui, le procédé n’est jamais développé pour lui-même, s’il ne sert pas d’abord une intention émotionnelle. Coffret de 3 cd événement, évidemment CLIC de CLASSIQUENEWS de l’été 2019. A consommer sur la plage et pendant vos vacances estivales, sans modération.

 

 

 

 

 

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CD critique, coffret événement. MOZART : les 3 dernières Symphonies / Jordi SAVALL (3 cd Alia Vox)

Approfondir

LIRE aussi notre dossier critique complet sur les 3 dernières symphonies de MOZART, “oratorio instrumental” par Nikolaus Harnoncourt (dĂ©cembre 2012, Concentus Musicus Wien) / CLIC de CLASSIQUENEWS

harnoncourt mozart symphonies last symphonies 39, 40, 41 instrumental oratorium concentus musicus wien cd sony classicalParues le 25 août 2014, les 3 dernières Symphonies de Mozart (n°39,40, 41) synthétisent ici, pour Nikolaus Harnoncourt et dans cet enregistrement réalisé avec ses chers instrumentistes du Concentus Musicus Wien, l’expérience de toute une vie (60 années) passée au service du grand Wolfgang : sa connaissance intime et profonde des opéras, les plus importants dirigés à Salzbourg entre autres (la trilogie Da Ponte, La Clémence de Titus, La Flûte enchantée…), suffit à enrichir et nourrir une vision personnelle et originale sur l’écriture mozartienne ; s’appuyant sur le mordant expressif si finement coloré et intensément caractérisé des instruments anciens, le chef autrichien réalise un accomplissement dont l’absolue réussite était déjà préfigurée dans son cd antérieur dédié au Mozart Symphoniste

LIRE aussi notre entretien avec MATHIEU HERZOG, directeur musical de l’Orchestre Appassionato, Ă  propos des 3 dernières Symphonies de MOZART:

http://www.classiquenews.com/entretien-avec-mathieu-herzog-fondateur-et-directeur-musical-de-lorchestre-appassionato-les-3-dernieres-symphonies-de-mozart/

CD Ă©vĂ©nement, annonce. MOZART : Symphonies n°39, 40 et 41. Les Nations. Jordi Savall (3 cd ALIA VOX, 2017 – 2018)

MOZART-testament-symphonique-symphonies-39-40-41-jordi-savall-alia-vox-cd-critique-3-cd-alia-vox-les-nations-classiquenews-cd-critique-classiquenewsCD Ă©vĂ©nement, annonce. MOZART : Symphonies n°39, 40 et 41. Les Nations. Jordi Savall (3 cd ALIA VOX, 2017 – 2018). MOZART MON FRERE. L’équation que reprĂ©sente les 3 ultimes symphonies de Mozart s’apparente Ă  un rĂ©bus musical que les plus grands chefs abordent avec un sĂ©rieux et une humilitĂ©, une profondeur et une « sagesse » quasi philosophique. D’aucun en sont particulièrement Ă©mus et mĂŞme saisis, d’autant plus qu’ils sont eux aussi au sommet de leur carrière comme de leur expĂ©rience humaine. Mozart permet cela : exprimer le caractère le plus noble de l’âme humaine, dans sa dĂ©tresse, sa grandeur, ses souffrances. Une rencontre que les interprètes les mieux inspirĂ©s savent mesurer et ciseler. En dĂ©tails comme en profondeur.

Ainsi le dernier Harnoncourt qui en faisait un « oratorio instrumental » d’une portée bouleversante pour tous ceux épris d’humanité ; le cas récent du jeune maestro Mathieu Herzog, chambriste inspiré, est plus rare, révélant une prodigieuse maturité sur le sujet. Le cas de Jordi Savall ici au travail en 2017 et 2018 s’inscrit dans une lignée plutôt convaincante, elle aussi sur instruments anciens ; aucun doute, la révolution instrumentale actuelle concerne bel et bien les orchestres dont les timbres revivifiés selon le format sonore d’époque et l’intensité expressive proche de l’original révèlent de nouvelles avancées artistiques profitables… qui supplantent dans bien des cas, l’épaisseur tonitruante et spectaculaire des orchestres modernes.

Dans un format intimiste proche de l’humain, l’orchestre les Nations de Savall dĂ©ploie de solides arguments : Ă©quilibre des pupitres, clartĂ© structurelle, surtout dans un scintillement millimĂ©trĂ© des timbres très caractĂ©risĂ©s, Ă©tonnante expressivitĂ© qui balance entre profondeur voire gravitĂ© et ivresse joyeuse… voire jubilation gĂ©nĂ©reuse. Le tact et le style du chef catalan prennent naturellement leur essor sur le sujet conçu par un Mozart qui en 1788 Ă  Vienne connait dĂ©sespoir, dĂ©pression malgrĂ© une clairvoyance humaine exceptionnelle. Sa sincĂ©ritĂ© qui nous parle de fraternitĂ© et d’espoir déçus mais vivaces bouleverse et l’on est convaincu de la prodigieuse intelligence qui unifie les 3 symphonies en un retable symphonique parmi les plus modernes du XVIIIè – l’équivalent de ce qu’a rĂ©alisĂ© Rameau en France au dĂ©but des annĂ©es 1760 : une rĂ©volution du langage musical, un goĂ»t pour les timbres instrumentaux oĂą percent Ă©videmment chez Mozart, les sons maçonniques (le compositeur rĂ©servant Ă  la clarinette un solo anthologique dans le volet central, la Symphonie n°40 en sol mineur (la plus personnelle).

Symphonies 39, 40 et 41 « Jupiter » de Mozart
Jordi Savall éclaire l’humanité fraternelle
d’un Mozart, fils des Lumières

Mozart sur France MusiqueEn effet, on distingue la grande ouverture qui ouvre la 39, élément premier absent des deux suivantes ; l’absence d’un réel mouvement de début dans la 40, ce qui la place d’emblée comme un mouvement central ; enfin la fugue dernière de la 41, dont la dimension, le souffle, l’ambition dans la joie et la noblesse lui donnent avec raison, selon le mot de l’impresario et violoniste Johann Peter Salomon à Londres, son titre postmozartien de « Jupiter ». Les 3 opus s’inscrivent ainsi dans cette unité qui les rend complémentaires.
Jordi Savall dans un texte fondamental à notre avis (livret du présent triple coffret), précise les enjeux humains des 3 partitions : tout ce qui prend racine ici dans la vie misérable et déchirante de Wolfgang alors en galère à Vienne. Ecarté de toute commande officielle d’importance, (- le futur Empereur Habsbourg Leopold II ne l’appréciera guère et c’est un doux euphémisme), victime de l’humeur volatile, glissante des Viennois sur son écriture et son style (à la différence des Praguois qui l’adulent), sans ressources dignes, surtout endetté jusqu’à la moelle, Wolfgang à l’été 1788 (32 ans) atteint les gouffres de l’existence terrestre alors qu’il est au sommet de son expérience artistique.
mozart1790Comme le dit très justement Jordi Savall, Mozart est un artiste créateur libre, indépendant, doué d’une conscience hors normes : il a démontré son idéal de liberté dans L’Enlèvement au sérail ; d’égalité dans Les Noces de Figaro d’après Beaumarchais ; de fraternité bientôt, dans La Flûte enchantée. Ce pur esprit des Lumières, comme le sera Beethoven au début du siècle suivant et lui aussi à Vienne, affirme une profondeur qui est gravité et espoir. La lecture de Jordi Savall éclaire la vérité et la grande sincérité des partitions, réussissant sur le plan formel un modèle de symphonisme classique…. déjà romantique.
CLIC D'OR macaron 200C’est donc une lecture fondamentale et magistrale qui rĂ©volutionne de facto notre connaissance des Symphonies dernières de Mozart. Le « testament symphonique » de Wolfgang est rĂ©vĂ©lĂ©. La vision est aussi Ă©blouissante que celles antĂ©rieures et relativement rĂ©centes de Nikolaus Harnoncourt et de Mathieu Herzog. Prochaine grande critique dans le mag cd dvd livres de classiquenews.com / Coffret Ă©lu “CLIC de CLASSIQUENEWS” de l’Ă©tĂ© 2019.

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LIRE notre critique du cd Symphonies n°39, 40 et 41 de MOZART par l’orchestre Appassionato et Mathieu Herzog:
http://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-mozart-symphonies-n39-40-et-41-jupiter-appassionato-mathieu-herzog-direction-1-cd-naive/

LIRE notre critique des Symphonies 39, 40, 41 de Mozart / «  Instrumental Oratorium «  par Nikolaus Harnoncourt (déc 2012 2 cd Sony classical)
http://www.classiquenews.com/cd-mozart-3-dernieres-symphonies-n3940-41-nikolaus-harnoncourt-concentus-musicus-wien-decembre-2012-2-cd-sony-classical/

CD, événement, ANNONCE. JS BACH : Markus Passion BWV 247 (1744) : Capella Reial Catalunya, Concert des Nations, Jordi Savall (2 cd Alia Vox, mars 2018).

JS-BACH-markus-passion-cd-alia-vox-jordi-savall-critique-cd-critique-review-opera-concert-musique-classique-news-actualites-infos-opera-classiquenewsCD, événement, ANNONCE. JS BACH : Markus Passion BWV 247 (1744) : Capella Reial Catalunya, Concert des Nations, Jordi Savall (2 cd Alia Vox, mars 2018). Aux côtés des sommets musicaux que sont les plus connues Passion selon Saint-Mathieu et surtout, celle plus dense, resserrée, contrastée, selon Saint-Jean, Jordi Savall et ses troupes s’intéressent ici à la troisième Passion de Bach basée sur l’évangile de Saint-Marc. JS Bach l’a bien présenté, pour le Vendredi Saint de 1731, sur un texte de Picander, que celui-ci édite une année plus tard en même temps que le troisième tome de ses poésies. En 2009, une version plus tardive du livret utilisé pour une nouvelle exécution de l’œuvre en 1744, est découverte à Saint-Pétersbourg. Par rapport au livret de 1732, elle comporte certaines modifications des textes, ainsi que des emplacements différents des chorals et des airs, et aussi l’ajout de deux nouveaux airs.

 
 
 

NOUVELLE RECONSTITUTION
DE LA PASSION SELON SAINT-MARC

 
 
 

bach jean sebastian sebastien portrait vignette par classiquenews bach_js-jean-sebastianCette version offre un éclairage plus complet de la troisième Passion de Bach. Mais la musique que composa Bach demeure introuvable… pas de partition autographe, ni de copie, pas de partie séparée … il serait donc raisonnable de penser que le compositeur, comme il le fit souvent, a réutilisé du matériel musical précédent pour cette nouvelle Passion, selon le principe du « pasticcio », ou parodie. Le génie de Bach est d’assembler d’anciennes partitions, tout en préservant la grande cohésion à la fois musicale et spirituelle de l’ensemble ainsi rebâti.

Dans cette nouvelle approche de la Passion, Jordi Savall dévoile les sources qui lui ont permis de reconstituer l’architecture musical et le contenu poétique du cycle selon Saint-Marc.
D’après le Dr. Alfred Dürr, Bach réutilise ainsi une bonne partie des Chœurs et des Airs de son Trauerode (Ode Funèbre) BWV 198, donnée à Leipzig le 17 octobre 1727, en hommage funèbre à la princesse Christiane Eberhardine, Reine de Pologne et Princesse de Saxe; Laß Fürstin, laß noch einen Strahl (Laisse, princesse, laisse encore un rayon ) se transformant en Geh, Jesu, geh zu deiner Pein (Va, Jésus, va à ton supplice !).
Savall écarte tout matériel étranger à Bach (dont chœurs de foule /turbae, et récitatifs de la Passion selon saint Marc de son contemporain et collaborateur  Reinhard Keiser : 1674-1739).

Réalisant une révision globale pour unifier les parties diverses choisies pour la reconstruction, Jordi Savall suit à la lettre le texte de la version de 1744, – commentaires des chapitres 14 et 15 de l’évangile de Marc, depuis l’onction à Béthanie jusqu’à l’ensevelissement-. Pour respecter la progression du livret de Picander, le chef catalan réunit ainsi plusieurs groupes de musiques antérieures, toutes signées JS Bach : l’Ode funèbre, la Passion selon Saint Matthieu, différentes versions de la Passion selon Saint Jean et de certaines cantates… Grande critique à venir dans le mag cd dvd livres de classiquenews.

 
 
 
 
 
 

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CLIC_macaron_2014CD, Ă©vĂ©nement, ANNONCE. JS BACH : Markus Passion BWV 247 (1744) : Capella Reial Catalunya, Concert des Nations, Jordi Savall (2 cd Alia Vox, mars 2018 – AVSA9931). CLIC de CLASSIQUENEWS

 
 
 
 
 
 

CD critique. LES ROUTES DE L’ESCLAVAGE – JORDI SAVALL : 2 cd Livre + 1 dvd ALIA VOX 2015

routes-de-l-esclavage-jordi-savall-concert-dvd-cd-critique-classiquenews-grand-format-530LES ROUTES DE L’ESCLAVAGE – JORDI SAVALL : 2 cd Livre + 1 dvd ALIA VOX 2015. Durant plus de 4 siècles, entre 1492 (et bien avant en vĂ©ritĂ©) et 1888 (date de l’abolition de l’esclavage au BrĂ©sil), plus de 25 millions d’Africains ont Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s par les colons europĂ©ennes, rĂ©duits en esclavage. Le programme de livre disque offre la parole et la mĂ©moire aux descendants des victimes en esclavage au BrĂ©sil, au Mali, Ă  Madagascar, en Colombie, au Mexique, en Bolivie. Ainsi se prĂ©cise l’horreur d’un commerce et d’une exploitation Ă©dictĂ©s en système de sociĂ©tĂ© qui est le fruit d’une entente triangulaire (Europe, Afrique, Nouveau Monde). Musicien dĂ©fricheur, engagĂ© et humaniste, Jordi Savall en dĂ©duit ce concert hommage qui met en lumière les interactions culturelles nĂ©es de la barbarie humaine. Pour conjurer leur souffrance, souvent la musique a Ă©tĂ© pour les esclaves africains, une source de rĂ©confort voire de rĂ©sistance. Le concert a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© et créé Ă  Saint-Denis en 2015, puis enregistrĂ© et filmĂ© lors du 10è Festival de Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel Ă  l’Abbaye de Fontfroide, Narbonne.
Les textes et les séquences musicales dans leur variété et leur style attestent d’une affirmation viscérale, salutaire en dépit de l’horreur vécue par des millions de femmes, hommes, et enfants ainsi asservis. La parole des griots dialogue avec l’espoir ou la douceur ensanglantée des Villancicos de negros, mestisos, … negrillas, gugurumbés… L’improvisation là encore qui s’appuie sur une solide transmission des pratiques traditionnelles à travers les siècles, rend vivants de nombreux tableaux souvent tragiques, que la flamboyante musique et les chants incarnés colorent d’un souffle à la fois évocatoire et enivrant.
Le concert suit la chronologie d’une longue et progressive exploitation, organisĂ©e Ă  l’échelle mondiale, oĂą pour rĂ©pondre au besoin en main d’œuvre, les esclaves dĂ©portĂ©s arrivent en Algarve (1444), dans les colonies anglaises (1620), Ă  la Barbade (rĂ©cit de 1657), Louis XIV affirmant dĂ©sormais son « code noir » – bible des sanctions Ă  infliger aux rĂ©calcitrants-, depuis 1685, en application jusqu’en 1848. Le CD2 commence d’ailleurs dans cette Ă©vocation qui entame l’éclat du Roi Soleil. Perle de rĂ©sistance et d’autodĂ©termination admirable, le rĂ©cit de 1782, qui est la requĂŞte de Belinda, esclave, devant le Congrès du Massachussets ! un geste en prĂ©ambule Ă  l’abolition de 1848, et plus rĂ©cemment encore, le « Pouquoi nous ne pouvons plus attendre » de Martin Luther King en 1963…

CLIC D'OR macaron 200Les musiques et les chants, les textes et les récits se succèdent ainsi, d’une bouleversante poésie, incarnés magnifiquement par les instrumentistes habituels de La Capella Reial de Catalunya et d’Hespèrion XXI, ainsi que par la présence des interprètes invités dont les excellents artistes du Mali (interprètes inouïs des chants de tradition griotte). Le choix des timbres associés, la magie allusive des percussions, la sincérité des chants façonnent un réquisitoire et un hommage d’une humanité irrésistible. En bonus, l’éditeur, outre un excellent livret très documenté (comme tous les titres de la collection « Raices & Memoria, ici le vol. XXIV) ajoute le dvd qui est la captation de ce concert mémorable à Fontfroide, le 19 juillet 2015.

 

 

 

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routes-de-l-esclavage-cd-livre-dvd-jordi-savall-fontfroide-critique-compte-rendu-concert-review-cd-classiquenews-ob_bd8c8c_pochette-reCD, livre-cd, Ă©vĂ©nement. LES ROUTES DE L’ESCLAVAGE – JORDI SAVALL / 2 cd Livre ALIA VOX - Live 2015 + DVD : 2h07mn – Avec La Capella Reial de Catalunya, HespĂ©rion XXI, Bakary Sangare, Maria Juliana Linhares, Tembembe Ensamble Continuo, KassĂ© Mady Diabate, ensemble 3M (BallakĂ© Sissoko, Driss el Maloumi et Rajery), Mamani Keita, Nana KouyatĂ©, Tanti KouyatĂ© … CLIC de CLASSIQUENEWS

 

CD, critique. IBN BATTUTA, le voyageur de l’Islam : 1304 – 1377 (2 cd Alia Vox, Jordi Savall).

IBN BATTUTA voyageur de l islam jordi savall critique cd classiquenews AVSA9930 Ibn Battura critique cd review classiquenewsCD, critique. IBN BATTUTA, le voyageur de l’Islam : 1304 – 1377 (2 cd Alia Vox, Jordi Savall). Voici la somme littĂ©raire et musicale, voire philosophique qui a occupĂ©, esprit et pratique instrumentale, Jordi Savall en 2014 puis 2016 – puisque l’enregistrement de ce nouveau double cd, a Ă©tĂ© enregistrĂ© en deux Ă©tapes. A nouveau, le chef catalan Ĺ“uvre pour l’expĂ©rience fraternelle, ressuscitant musique et texte qui dans l’histoire passĂ©e, attestent de rapprochements bĂ©nĂ©fiques. Il y est question d’un voyage historique au XIVè siècle, dont les valeurs, – atemporelles-, valent Ă©clairage pour notre temps ; oĂą Ă  travers les lieux et les rencontres Ă©voquĂ©es s’intensifient et s’enrichissent les valeurs humaines, surtout humanistes et fraternelles, celles qui inspirent depuis ses dĂ©but, le chef et gambiste catalan Jordi Savall.

 

 

 

La Rihla de Battuta,
aux sources des métissages et des rencontres heureuses

 

 

 

Sur les traces du prophète Mahomet qui exhortait ses fidèles au mouvement, aux voyages « à la recherche du savoir et de la connaissance … jusqu’au confins de la Chine». Ainsi s’inscrit la « Rihla », comme genre littéraire, à la fois récit et témoignage, carnet de voyage, expérience humaine et fraternelle réalisée aux limites du monde connu d’alors (dès le XIIè siècle)… Le voyage d’IBN BATTUTA est précédé par celui de Ibn Jubayr (1145-1217), le premier grand voyageur arabe originaire de Xativa (Valencia).
Jordi Savall s’intéresse ici aux mondes et rencontres rapportés par IBN BATTUTA dont le récit de voyage (rihla) a été traduit, commenté, décrypté, publié par l’historienne Margarida Castells et le poète et arabiste Manuel Forcano (éditions Proa à Barcelone, 2005 : une nouvelle édition qui renforce l’attractivité d’un texte révélé dès la 2è moitié du XIXè). Le voyageur note les moeurs et les coutumes des terres explorés, dont certaines pratiques le choquent comme le cas de femmes impudiques aux Maldives, qui ne se couvrent pas le buste ni les seins (alors le droit matriarcal était à l’honneur, respecté par la souveraine de l’île)…

Musulman, Battuta (né à Tanger en 1304) a loisir d’écrire ses aventures de 1325 à 1354 ; il s’y montre sous des abords qui peuvent surprendre aujourd’hui ; répudie et adopte, puis écarte nombre de concubines a cours de ses périples. Ainsi s’épaissit un récit transcrit dès 1356 par le jeune érudit Ibn Juzzay à la demande du sultan du Maroc. Son périple commence avec le pèlerinage à la Mecque (haij) dès 1325 : sur la route de l’Arabie, il traverse l’Afrique du Nord, l’Égypte, la Palestine et la Syrie. Puis, découvre après son étape à la Mecque, la Perse (1326), l’Irak, l’Afrique de l’Ouest, et navigue jusqu’à Kilwa (actuelle Tanzanie), après être passé à Mogadiscio, Mombasa et Zanzibar. Au retour, il visite Oman et le Golfe persique avant de se rendre de nouveau à La Mecque.
En 1330, il reprend la route pour l’Inde … par l’Égypte, la Syrie, Constantinople, l’Asie Mineure, la Mer Noire et l’Afghanistan. Il restera ainsi huit ans en Inde, employé par Muhammad Tughluq, le sultan de Delhi et devient juge (qadi). Puis cap vers la Chine (1341), par les Maldives, le Sri Lanka (ex Ceylan), la Birmanie et Sumatra… avant de rejoindre Canton. Un dernier voyage le mène ensuite au Sahara, jusqu’au Soudan, pour se fixer au maroc définitivement à partir de 1355.

SAVALL-582-390-jordi-savall-l-orfeo-reeditionJordi Savall évoque musicalement les voyages vers le sud et l’est d’Ibn Battuta. Tout en contextualisant l’étendue d’une pérégrination en soi impressionnante, réalisé par un jeune homme encore voyageur au début de sa cinquantaine… Des repères historiques sont évoqués : la mort de Marco Polo (1324), le voyage à bord d’une nef catalane (1346), la conquête de la Sardaigne et Pierre IV sur l’île (1353), la Bataille de Baeza (1368), son arrivée à Constantinople (1334). Concernant son avancée en Afrique, dans la Grenade de l’Al-Andalus, dans le Proche ou le grand Orient (Inde et Chine), chansons et danses traditionnelles évoque chaque lieu. L’improvisation tient ici une place essentielle, comme preuve que la transmission par l’oralité et la pratique de génération en génération s’est réalisée sans discontinuité jusqu’à nos jours ; comme liberté d’un geste musical qui respire avec l’expérience et la sensibilité de chaque musicien interprète.
Chaque concert live enregistré préserve l’intensité de ce geste collectif qui est avant tout le fruit d’une complicité à plusieurs, entre instrumentistes et chanteurs : le CD 1 / Premiers voyages est le concert donné à Abu Dhabi, dans l’Emirates Palace-Auditorium le 20 vovembre 2014 (les textes sont récités en Arabe et en Anglais), / le CD 2 / derniers voyages (à partir de « Voyage au centre de l’Asie  : 1335 », était le programme donné à Paris (Philharmonie), en novembre 2016 (textes en Français). Le parcours s’achève avec la mort du voyageur en 1377.

Alchimiste et grand orfèvre des timbres anciens et traditionnels, Jordi Savall mêle avec beaucoup de finesse et de goût les alliages les plus imprévus, témoignant dès le moyen âge d’’une riche palette sonore : vielle, rebec, rebab médiéval, cistre, luth médiéval, organetto, chalemie, flûtes, cornemuses, et percussions diverses … pour les musiques occidentales médiévales ; et pour l’évocation des contrées et cultures approchées par Battuta, instrumentarium des plus variés selon les peuples rencontrés : oud marocain et ney (pièces arabes), oud turc, qanun et kaval (Turquie), le santur (Irak et Perse), le rebab et le zir baghali (Afghanistan), le sarod et la tabla (Inde et Maldives), le pipa et le zheng (Chine), enfin la kora et la valiha (comme évocations du Mali).
CLIC D'OR macaron 200Les instrumentistes d’Hespèrion XXI ressuscitent ainsi l’époque de Battuta, celle de Byzance et de l’empire Ottoman (Maroc, Syrie, Bulgarie, Grèce et Turquie…) ; l’Afrique, le proche-Orient et le grand Orient avec l’Inde et la Chine. A travers la diversité des rythmes, sonorités, textes, styles ainsi incarnés, Jordi Savall réalise avec ses troupes, ce métissage fraternel où l’Autre et le Différent sont le sujet d’une quête permanente. Et dans la musique, la réalisation d’une expérience humaine souvent bouleversante. Au final, IBN BATTUTA est bien aux côtés de Marco Polo, l’un des voyageurs et curieux, les plus actifs à son époque. Tous deux ont réunis l’Occident et l’Orient. Ils ont montré cette idée de fraternité des peuples qui fondent avec justesse et poésie, tout le travail du chef Catalan, depuis toujours, prophète du rapprochement et de la réconciliation des nations.

CD, livre cd, Ă©vĂ©nement, critique. IBN BATTUTA, le voyageur de l’Islam – 2 sacd ALIA VOX - 2014, 2016. Hespèrion XXXI, Jordi Savall / 1h18 + 1h08.

https://www.alia-vox.com/fr/catalogue/ibn-battuta-le-voyageur-de-lislam-1304-1377/

 

 

 

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TRACKLISTING

CD1 : 1304-1335 (live nov 2014)
1-2. 1304 · Tanger. Narration : Naissance d’Ibn battuta … / Bismillah ir-Rahman
3-4. 1311-1315 · Apogée de l’Empire musulman du Mali. Taqsim : Valiha / Kouroukanfouga (instr.) – Mali
5-6. 1324 · Mort de Marco Polo. Narration : Le célèbre voyageur meurt à Venise … / Plainte grècque
7. 1325 · Maroc – Égypte. Taqsim : Oud / Narration : À l’âge de 21 ans, Ibn Battuta de Tanger…
8-9. 1326 · Le Caire – Jérusalem – Damas. Narration : Ibn Battuta remonte le Nil … / Kevoque (instr.)
10-11. À Damas. Réc. I. Battuta : C’est l’un des édifices les plus surprenants … / Qays ibn al-Moullawwah
12-13. 1326 · Mort d’Osman Ier. / Taqsim : Oud & Kaval / Nihavent (Chant ottoman)
14. 1326 · Arabie : la Mecque. Taqsim : Ney & Oud / Narration : Après une visite …
15-16. Danse de l’âme, Taqsim / Réc. I. Battuta : La majorité de ceux … / Sallatu Allah
17. 1326-27 · Irak – Perse. Narr. : Une fois / Réc. I. Battuta : La partie occidentale de Bagdad. / Chahamezrab
18. Taqsim – Neveser · Hal asmar
19. 1328-1330 · Yémen – Zanzibar. Narration : Après la Perse et l’Irak …
20. Véro (instr.) / Récité I. Battuta : Depuis la ville de Mogadiscio …
21-22. 1329 · Bataille de Pelekanon. Narration: Bataille … / Der makÄm-ı HĂĽseynÄ« SakÄ«l-i – Anon. Ottoman
23-24. 1331 · Oman et le Golfe Persique. Narration : Revenu de son pĂ©riple … / Talaa’ al-badr â€aleina
25-26. 1332-1333 · Anatolie. Narration : Ibn Battuta prendra deux ans… / Sufí Dance (instr.)
27. 1334 · Ukraine – Constantinople. Narration : Depuis la côte turque de la Mer Noire …
28-29. Réc. I. Battuta : Notre arrivée dans la grande Constantinople … / En to stavro pares tosa – Chant byzantin
30. Samarcande. ĐŻŃен меŃец веч изгряава (Une lune claire se lève) / RĂ©c. I. Battuta : Ensuite, je me suis dirigé…
31. 1334-1335 · L’Asie centrale. Impro: Tabla / Narration : Ibn Battuta quitte Constantinople …
32. Laïla Djân (instr.) – Chant-danse de Kabul (Afghanistan)

CD2 : 1335-1377 (live, nov 2016)
1.2 1335 · Voyage au centre de l’Asie. Laïla Djân (instr.) – Chant-danse de Kabul (Afghanistan)
3. 1336 · Fondation du royaume de Vijayanagar. Réc. I. Battuta : Au centre du vaisseau …
4. Muddhu gare yashoda (Raga) – Sarod & Tabla
5-6. 1344 · Voyage aux îles Maldives. Réc. I. Battuta : Les habitants des Îles … / Raga: Sarod & Tabla
7. 1345 · Voyage au Sud de l’Asie, Ă  Sandabur (Goa) et en Chine. / é«ĺ±±ćµć°´ Gao shan liu shui
8. Impro.: Zheng / Réc. I. Battuta : Les Chinois sont des infidèles adorant des idoles …
9. 1345 · Début de la colonisation chinoise de l’Asie du Sud-ouest. 蕉窗夜雨 Jiao chuang ye yu
10. Chanson dansée « Ya bourdaeyn »
11. 1346 · Le grand retour au Maroc, Bagdad et Alep (1348). Réc. I. Battuta : Je partis de Tunis par mer …
12. Quant ai lo mont consirat – Anonyme catalan (Chant spirituel)
13-14. 1350 · Al-Andalus. Il visite Grenade. Réc. I. Battuta : Depuis Alhamma … / Fiyachia – Trad. arabe
15. 1352 · Ibn Battuta traverse le Sahara. Anonyme arabe : â€Al maya, â€Al maya (Chanson dansĂ©e)
16-17. 1353 · Il visite l’Empire de Mali. Réc. I. Battuta : Parmi tous les peuples … / Danse impériale (impro.)
18. 1354 · Pierre III conquête Sardaigne. Isabella (Stampitta)
19. 1356 · Zhu Yuanshang se rĂ©volte contre les Mongols. / ĺ¤©ĺ±±äą‹ćĄ Tian shan zhi chun
1357 · Ibn Battuta, dès son retour à Fez, débute la chronique de ses Voyages : La Rihla.
20. 1359 · Murat I succède Ă  son père le sultan Ohrhan Gazi. Der makÄm Çargah sirto (instr.)
21. 1368 · Battaile de Baeza. Anonyme : Cerco de Baeza (Romance de la Frontière, CMP 106)
22. 1368 · Les Yuan Mongols sont expulsés de Pékin. 行街 Xing jie – Sud-est de la Chine
23. 1377 · Mort d’Ibn Battuta. / Lamentation arabe : Li Saheb : Chant de la séparation – Taqsim

 

 

 

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CD, critique. REBEL, TELEMANN : TERPSICHORE (Jordi Savall, juil 2017, 1 cd)

Terpsichore danses louis xv telemann rebel jordi savall cd critique review cd classiquenewsCD, critique. REBEL, TELEMANN : TERPSICHORE (Jordi Savall, juil 2017, 1 cd). Saluons d’abord, la sonoritĂ© très chaleureuse, opulente mĂŞme du chef catalan qui dessine et rappelle s’agissant de Rebel, le raffinement et la franchise directe d’une Ă©criture très poĂ©tique presque diaphane, Ă©vanescente comme un glacis des paysages recomposĂ©s de Watteau… La caractĂ©risation des danses, au caractère quasi pastorale – et l’on sait que ce vocable est essentiel dans l’esprit du temps, ce dĂ©but XVIIIè encore très nostalgique-, est idĂ©ale, dans l’articulation, la dĂ©termination expressive, le dĂ©tail du discours et des effets rhĂ©toriques, ne serait ce que dans un seul Ă©pisode emblĂ©matique : Gigue, rigaudon, passepied, gavotte… rĂ©sumĂ© et synthèse de l’inclination de Rebel pour les univers poĂ©tiques et tendres, propre Ă  sa suite Terpsichore de 1721.

rebel_watteau_gravure_musiqueLes Plaisirs champêtre de 1724 indiquent une autre sensibilité : plus élégiaque et d’un abandon sensuel qui convoque l’extase des bergers. Tout un monde rêvé par Boucher et bientôt mis en oeuvre par Marie-Antoinette dans son écrin illusoire de Trianon. L’évocation fourmille d’idées et de motifs caressants surtout portés par les hautbois. L’ivresse et ce désir d’oubli comme de réenchantement (sublime Chaconne, plage 33) dans l’esprit de Lully mais plus onctueuse encore et nerveuse aussi ; revivifiée même, comme une surenchère dans les autres Chaconnes, plage 39 et surtout 44 de la Fantaisie de 1729) se réalise grâce au geste souple et très caractérisé de Savall et des instrumentistes réunis autour de lui (les musiciens du Concert des Nations / Manfredo Kraemer, violon solo et leader). L’éloquence et la compréhension qu’apporte Savall, sa curiosité et sa restitution gourmande, gorgée de si délectables couleurs, composent ici le plus bel hommage à l’orchestre de Louis XV, un thème qu’il avait déjà traité dans un cycle tout aussi convaincant.

telemann-vignette-ovale-portrait-telemann-2017L’élégance et la virtuosité nerveuse voire la frénésie graduelle de Teleman s’exprime outrageusement dans la Suite La Bizarre, en particulier dans l’urgence trépidante du Rossignol. Puis la Partie III de Tafelmusik (1733) rappelle combien à l’époque du premier opéra visionnaire et scandaleux de Rameau (Hippolyte et Aricie), l’éclectique Telemann savait aussi, comme Rebel offrir une relecture personnelle et puissante du style versaillais lullyste (ouverture, plage 45). Cette séquence est la plus audacieuse de notre point de vue, fruit d’une pensée musicale qui interroge le sens même d’un cycle musical, à la pulsion débordante, voire frénétique, construite comme un vaste crescendo : de l’ouverture noble, au badinage fugace, contrastant avec des postillons enjoués et délurés; surtout vers la conclusion notée « furioso », comme une apothéose de la danse.
Les phrasés de cette séquence première, entre noblesse, élégance, abandon, détente, tension et réexposition sont tout simplement jubilatoires. Tout l’esprit de Terpsichore, de la danse souveraine, de la musique pure, de sa surenchère et parfois de son exaspération critique, se déploie en liberté. Quel génie, contemporain du déterminant Rameau. Il faut toute l’intelligence de Savall pour nous en révéler les subtilités chorégraphiques, sublimement musicale. Pas un Français dans l’Hexagone, ne serait capable d’une telle finesse d’intonation : là om les chefs gaulois actuels s’entêtent dans la dureté, la sécheresse souvent mécanique du geste, le catalan nous réapprend, à présent que Harnoncourt nous a quitté, toute la caresse d’un galbe interprétatif, entre abandon nostalgique, et vivacité poétique (« bergerie », plage 46). Le maestro sait faire chanter, nuances, accents, phrasés à l’envi, son cher orchestre. Superlatif. CLCI de CLASSIQUENEWS de novembre 2018

 
   
 
 
 

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CLIC D'OR macaron 200Cd événement, critique. TERPSICHORE : ballets de Telemann, Rebel, Apothéose de la Danse Baroque. Le Concert des Nations. Jordi Savall (Graz, juil 2017, 1 cd Alia Vox). CLIC de CLASSIQUENEWS de novembre et décembre 2018).

 
 
 

ALIA VOX
https://www.alia-vox.com/fr/catalogue/terpsichore/

 
 
 

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Terpsichore danses louis xv telemann rebel jordi savall cd critique review cd classiquenews

 
 
 

CD, Ă©vĂ©nement, compte rendu critique. Réédition. Beethoven : Symphonie n°3, “Eroica” opus 55 (Jordi Savall, 1994, 1 cd Alia Vox)

Beethoven eroica savall 1994 cd alia vox review compte rendu critique announce of AVSA9916-1CD, Ă©vĂ©nement, compte rendu critique. Réédition. Beethoven : Symphonie n°3, “Eroica” opus 55 (Jordi Savall, 1994, 1 cd Alia Vox). RĂ©alisĂ© certains soirs de janvier 1994 au château de Cardona (Catalogne), l’enregistrement de cette Eroica opus 55, sommet symphonique de 1803, et manifeste pour une ère esthĂ©tique nouvelle, rĂ©tablit le travail des musiciens sur instruments d’Ă©poque rĂ©unis alors par Jordi Savall (il y a quand mĂŞme plus de 20 ans, soit autour de 45 instrumentistes dont les noms signifient depuis des aventures spĂ©cifiques et des engagements artistiques particulièrement cĂ©lĂ©brĂ©s, tels, entre autres Manfredo Kraemer en premier violon / concertino ; Marc HantaĂŻ, flĂ»te ; Guy van Waas, clarinette ; Bruno Cocset, violoncelle… ). L’apport des instruments historiques, de la pratique interprĂ©tative “historiquement informĂ©e” y est immĂ©diat : nouveau format sonore (avec cĂ´tĂ© ingĂ©nieur du son une bonne rĂ©verbĂ©ration, idĂ©alement spatialisĂ©e, c’est Ă  dire avec une rĂ©sonance mesurĂ©e qui permet la restitution analytique de chaque timbre exposĂ©, concertant), caractĂ©risation fine, affĂ»tĂ©e de chaque timbre instrumental; toute la science du Beethoven gĂ©nial orchestrateur qui sait bâtir, Ă©difier, architecturer avec un sens inĂ©galĂ©, c’est Ă  dire mordant et efficace des couleurs, gagne ici en intensitĂ©, acuitĂ©, prodigieuse vitalitĂ©.
L’Allegro initial, mĂŞme pĂ©taradant et d’une claque martiale annonciatrice des conquĂŞtes esthĂ©tiques nouvelles, profite du dĂ©tail et d’un fini instrumental d’une flamboyante activitĂ© : cors, flĂ»te, bois et vents ; mĂŞme chaque attaque des cordes conquiert un nerf vif inĂ©dit. Le chef toujours rĂ©flĂ©chi et mĂ©ditatif dans ses choix de rĂ©alisation, confirment sa double comprĂ©hension du sujet HĂ©roĂŻque : c’est Ă©videmment l’enjeu (ou les enjeux) d’une conquĂŞte : avec l’Eroica de 1803, le siècle romantique s’ouvre officiellement, conscient de sa propre dĂ©termination comme de sa volontĂ© ; mais c’est tout autant, l’expĂ©rience d’une amertume simultanĂ©e, retournement spectaculaire de la conscience car si la partition porte l’enthousiasme Ă  Bonaparte, le hĂ©ros libĂ©rateur qui pouvait prĂ©tendre incarner l’idĂ©al rĂ©volutionaire de tous les peuples affranchis de toute monarchie, le compositeur a rayĂ© la dĂ©dicace initiale, dĂ©nonçant sous Bonaparte, le tyran Ă  venir, – ici, Beethoven est tĂ©moin d’une dĂ©ception barbare. A la fois acte immense d’un espoir supĂ©rieur, la symphonie est aussi le rĂ©cit de cette dĂ©sillusion (et cela s’entend dans la lecture savallienne).

Il y a plus de 20 ans, Jordi Savall, précis, généreusement détaillé, dévoile la forge géniale du Beethoven symphoniste

Dès 1994, un Beethoven régénéré

CLIC_macaron_2014Dans le jeu instrumental historique, par les multiples Ă©clats d’une palette instrumentale rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e, la partition retrouve son souffle originel, ses Ă©lans matriciels dans leur Ă©noncĂ© primaire, irrĂ©sistible. A contrario de toute une tradition alourdie, opacifiĂ©e par des dĂ©cennies de pratique moderne et romantisante. DĂ©jĂ  Savall choisit un effectif proche de la Vienne du dĂ©but XIXè, mĂŞme si en 1803, il n’existe aucun orchestre rĂ©gulier et constituĂ© (il faut attendre 1840). Soit selon les tĂ©moignages des crĂ©ations des Symphonies BeethovĂ©niennes, entre 35 et 56 musiciens. Pas les 70 d’un orchestre symphonique actuel.

Outre ses considĂ©rations, chaque mouvement ici rĂ©tabli dans son format sonore proche de l’Ă©poque de Beethoven, profite naturellement d’une articulation plus vive et prĂ©cise, de contrastes plus tranchĂ©s et vifs, quasi bondissants, oĂą le timbre plus intense, incisif, – mordant de chaque identitĂ© instrumentale assemblĂ©e, gorge d’une sève nouvelle, chaque sĂ©quence (Savall dans son texte introductif parle “d’individualisation du timbre“).
La notion des tempi particulièrement soignĂ©es par Savall gagne elle aussi en relief et en souplesse, prĂ©servant pour chaque mouvement, une tension intĂ©rieure manifeste. L’orchestre ainsi acteur s’apparente Ă  une formidable machinerie dont chaque rouage est prĂŞt Ă  bondir, Ă  exprimer, Ă  revendiquer. Il n’y a que dans le Poco andante du Finale que Savall ralentit manifestement l’allure, le reste Ă©tant dirigĂ© avec une vivacitĂ© continuelle.
Dans cette confrontation permanente qui conçoit dĂ©sormais l’orchestre tel un foyer ardent, oĂą les forces en prĂ©sence sont toutes identifiĂ©es et toutes canalisĂ©es, Savall fait s’Ă©couler le brasier promĂ©thĂ©en primordial d’un Beethoven Ă  jamais inventeur et rĂ©volutionnaire. L’acuitĂ© active du chef porte et rend palpable l’ampleur d’une partition Ă©pique et profonde, dont l’esthĂ©tique et le jeu incessant des rythmes et des tempi alimentent la grande forge orchestrale qui mènera Ludwig jusqu’au sommet de la IXè (souffle du Finale, vĂ©ritable dĂ©claration fière et conquĂ©rante pour le futur, emportĂ© dans une ivresse sonore d’essence chorĂ©graphique qui rapproche Beethoven, de ses frères viennois, Haydn et Mozart). En presque 43 mn, Beethoven synthĂ©tise ainsi dans son Eroica, la portĂ©e universelle de sa conception du temps et de l’espace, dĂ©sormais orientĂ©e vers l’avenir. Ici, un chef visionnaire, d’une miraculeuse Ă©nergie lumineuse est au service du plus grand symphoniste de tous les temps. Le plus inventif. A possĂ©der et Ă©couter de toute urgence. La lecture de Coriolan (1805) opus 62 qui suit l’Eroica, affirme de façon plus radicale encore cette vertu de la caractĂ©risation aĂ©rĂ©e, palpitante et mordante oĂą la caractĂ©risation presque incisive de chaque timbre revivifie l’idĂ©e d’un volcan symphonique d’une audace inĂ©dite. Cela avance comme la coulĂ©e incandescente d’un mĂ©tal en fusion, crĂ©pitements et fusion fĂ»mante Ă  la clĂ©. Qui a dit que Savall, inspirĂ© par Beethoven, Ă©tait ce grand sorcier magicien ? L’approche, plus de 20 ans après sa rĂ©alisation, est aussi captivante que la conception d’un Harnoncourt (beethovĂ©nien forcenĂ©, rĂ©cemment assidu jusqu’aux portes de la mort : Symphonies 4 et 5 par le Concentus Musicus Wien, publiĂ©es au moment de son dĂ©cès en mars 2016). En une mĂŞme bouillonnante curiositĂ©, gĂ©nĂ©reuse et très argumentĂ©e, Savall nous offre les mĂŞmes frissons. C’est dire.

CD, événement. Réédition. Beethoven : Eroica opus 55 Symphonie n°3. Le Concert des nations. Jordi Savall (1 cd Alia Vox AVSA9916, Cardona, Catalogne, janvier 1994). CLIC de CLASSIQUENEWS de mars 2016.

Versailles : La nuit des rois de Jordi Savall en direct sur culturebox

savall-jordi-nuit-des-rois-versaillesEn direct sur internet. La Nuit des Rois : Jordi Savall à Versailles, mardi 30 juin 2015 en direct sur culturebox, dès 20h. 2015 marque le tricentenaire de la mort de Louis XIV (en septembre exactement). Par mi les nombreuses célébrations de la mort du Roi Soleil le septembre 1715, Versailles invite Jordi Savall pour la Nuit des Rois : 3 concerts dans 3 Lieux du château pour célébrer la gloire et le goût musical et artistique des 3 souverains bourbons qui ont marqué un âge d’or de la culture française à l’âge baroque, du premier XVIIè à l’esprit des Lumières. Ainsi au programme :

Concert Louis XIII à l’Opéra royal
Concert Louis XIV Ă  la Chapelle royale
Concert Louis XV dans la Galerie des glaces

Lully à VersaillesEn 2014, il avait dédié à Versailles une première nuit thématique autour des oeuvres de Haendel, investissant l’espace d’un soir, les 3 lieux emblématique de la vie de cour à Versailles entre dévotion, opéra et allégeance au Souverain : la chapelle, l’opéra et la galerie. Le 30 juin 2015, Jordi Savall souligne le goût spécifique de chaque monarque français, et le genre dans lequel il a marqué une passion personnelle.
Louis XIII à l’Opéra : joueur de luth, bon danseur, esprit mystérieux et solitaire (LIRE notre évocation de LOUIS XIII à travers sa passion du luth, entretien avec le luthiste Miguel Yisrael et son cd Les Rois de Versailles, CLIC de classiquenews 2014), Louis XIII, père de Louis XIV crée les 24 Violons du Roi, bande d’instrumentistes d’un niveau excellent, véritable modèle pour l’Europe…
Louis XIV (notre photo ci dessus) se montre quant à lui friand de virtuosité comiques avec l’ère de la comédie ballet et bientôt de la tragédie lyrique inventé pour lui à Versailles par Lully. Le théâtre envahit toute la vie de Cour jusqu’à la chapelle royale dernier grand chantier de son règne.
Louis XV à l’âme mélancolique voire dépressive cultive les divertissements amoureux que Voltaire et Rameau expriment sous la forme d’opéras-ballets, de comédie d’un nouveau genre. Fêtes, bals costumés, badineries (peintes par Boucher) font de Versailles un lieu de plaisirs et de sensualité que l’esprit et le goût de la Pompadour rehausse jusqu’à l’excellence. Son règne s’achève sur le nouvel opéra royal et le nouveau décor de la galerie des glaces pour le mariage du Dauphin, futur Louis XVI et de la Marie-Antoinette…

 

 

 

La Capella Reial de Catalunya
Le Concert des Nations
Jordi Savall, direction

Versailles, Château. Mardi 30 juin 2015, 20h
Durée : 4 h (2 entractes inclus, le temps que les musiciens rejoignent les lieux entre chaque programme….)

logo_culturebox_300_2014VISITEZ le site de culturebox et la page dédiée au concert événement LA NUIT des ROIS au château de Versailles par Jordi Savall, mardi 30 juin 2015, 20h

 

Programme détaillé de la Nuit des Rois au Château de Versailles :
FĂŞtes Royales aux temps de Louis XIII, Louis XIV, Louis XV

♦ Opéra Royal : l’orchestre de Louis XIII

Musiques de l’enfance du Dauphin
Musique pour le Sacre du Roy, fait le 17 Octobre 1610
Musiques pour le Mariage du Roy Louis XIII, faites en 1615
Concert donné a Louis XIII en 1627 par les 24 Violons
Les Musiques de Ballet 1634 – 1640

♦ Chapelle Royale : la Gloire de Dieu au temps de Louis XIV

Michel-Richard Delalande
De profundis

Marc-Antoine Charpentier
Te Deum

♦ Galerie des Glaces : la Tragédie Lyrique au temps de Louis XV

Jean-Philippe Rameau
Les BorĂ©ades* – ouverture, Airs et ChĹ“urs

Mardi 30 juin 2015 dès 20h sur Culturebox, et sur France 2 le 1er septembre 2015

 

 

LIRE aussi notre dossier spécial LULLY à VERSAILLES

CD. Magnificat. Vivaldi, Bach. Jordi Savall (1 cd / 1 dvd Alia Vox).

magnificat-jordi-savall-vivaldi-bach-alia-vox-cd-clic-de-classiquenewsCD. Magnificat. Vivaldi, Bach. Jordi Savall (1 cd / 1 dvd Alia Vox). Alia Vox offre un montage spĂ©cifique pour les fĂŞtes de NoĂ«l 2014, associant les Magnificat de Vivaldi puis de Bach, en les faisant prĂ©cĂ©dĂ©e chacun de Concerti, prĂ©ambules profanes qui fonctionnent cependant Ă  merveille, comme les portiques d’une ferveur Ă©panouie Ă  suivre, d’une Ă©vidente profondeur exaltĂ©e. Au volet Vivaldi, le Concerto pour 2 violons RV578 enregistrĂ© en 2003 Ă  Cardona prĂ©cède donc le Magnificat enregistrĂ© en live Ă  la Chapelle royale de Versailles dix annĂ©es après, en juin 2013. Puis le Magnificat de Bach captĂ© Ă  la mĂŞme date Ă  Versailles est introduit par le Concert pour clavecin en RĂ© mineur BWV 1052, enregistrĂ© quant Ă  lui quelques semaines plus tard en juillet 2013 Ă  Fontfroide.

 

 

2013 : Magnificat de Vivaldi et Jean-Sébastien Bach

2 Magnificat embrasés par Savall

CLIC D'OR macaron 200Après la théâtralitĂ© mordante (un rien hachĂ©e et parfois sèche) du RV 578 vivaldien (de 1725), le Magnificat rayonne par sa somptueuse rondeur collective, idĂ©alement rĂ©verbĂ©rĂ©e sous la voĂ»te versaillaise. Le sens des contrastes, la voluptĂ© active des solistes, l’accent et l’allant de l’orchestre plus assurĂ©, plus mĂ»r savent plus nettement emporter les effectifs vocaux que dans la prise de 2004, dans le mĂŞme lieu (album spĂ©cifique : Marc-Antoine Charpentier Ă  la Chapelle royale de Versailles). Savall trouve mĂŞme des couleurs plus convaincantes dans le mystère resplendissant d’Et Misericordia… (plage 6). le Fecit potentia qui suit, fait valoir la coupe frĂ©nĂ©tique et très opĂ©ratique du chĹ“ur, ses accents projetĂ©s (dispersit), d’une Ă©nergie pourtant mesurĂ©e. Autant de fermetĂ© partagĂ©e par tous les pupitres qui affirment non sans justesse, l’Ă©loquente certitude de Vivaldi sur le plan sacrĂ©.

L’art des transitions est total passant du final exclamatif et presque guerrier du Magnificat vivaldien Ă  la coupe tragique et enivrĂ©e du Concert pour clavecin en rĂ© mineur BWV 1052. vĂ©ritable partition aux flammes enivrantes dont Pierre HantaĂŻ sait exprimer les crĂ©pitements denses et dramatiques.
ExaltĂ©, percutant, prĂ©cis, d’une parfaite ivresse, le dĂ©but du Magnificat de Bach est irrĂ©sistible, totalement enivrant d’autant plus mĂ©ritant pour une prise live : les airs solistes sont de la mĂŞme grâce inspirĂ©e ; c’est Ă©videmment une lecture irrĂ©sistible. Ă  classer parmi les meilleures bandes live de Savall Ă  Versailles. Le duo pour 2 voix (haute-contre et tĂ©nor), Et misericordia est d’une sĂ©duction tendre superlative, d’une juvĂ©nilitĂ© ardente (le sommet du Magnificat). MĂŞme coupe dramatique et fervente du Deposuit  potentes (plage 24) ; idem dans Esurientes implevit… qui suit (plage 25) : doublĂ© aux flĂ»tes en duo, Damien Guillon affirme un sens superlatif du texte (aciditĂ© prĂ©cise et ronde du timbre). MĂŞme souffle avec trompettes percutantes superbement mesurĂ©es (et des voix chorales parfaitement dĂ©tachĂ©es) pour le Gloria Patri final. Rien Ă  dire Ă  cette cĂ©lĂ©bration totalement rĂ©ussie et qui mĂ©rite amplement d’ĂŞtre fixĂ©e par le disque et le dvd.

SAVALL_savall_jordi-savall-724x464ExaltĂ©, rythmique mais inspirĂ© chez Vivaldi ; tragique et d’une fièvre prĂ©cise alternant l’exclamation doxologique et la ferveur attendrie des sĂ©quences de solistes, Jordi Savalll Ă©merveille dans ce recueil dĂ©diĂ© aux Magnificat des deux baroques. Le geste voluptueux mais mesurĂ©, la grâce collective font tout le prix de ce programme que le dvd complĂ©mentaire, renforce encore par la sĂ©duction de l’image.

 

 

Magnificat. Jordi Savall. Vivaldi et JS Bach : Concerti et Magnificat. La Capella Reial de Catlunya, Le concert des nations. Pierre Hantaï, clavecin. Jordi Savall, direction. Enregistrements de juin 2013 (Magnificat de Bach et Vivaldi), 2003 et 2013 pour le Concerti de Vivaldi, de Jean-Sébastien Bach. 1 cd + 1 dvd Alia Vox AVSA 9909D. Parution : décembre 2014.

 

 

Compte rendu. Narbonne. Abbaye de Fontfroide, les 15,16,17,18 et 19 juillet 2014. IXe Festival Musique et Histoire. Pour un dialogue Interculturel : Territoires et cultures de l’Homme.

narbonne été 2014 210La route qui mène à Fontfroide est si belle au milieu des vignes, des oliviers, et de la garrigue avec au loin quelques ruines des châteaux cathares, qu’elle devient presque un parcours initiatique, fait de senteurs merveilleuses. En la parcourant, le sentiment nous gagne d’entrer dans un ailleurs, coupé de la réalité contemporaine, un monde où l’homme et la terre nourricière, seraient à nouveau des amis à l’écoute l’un de l’autre.
Le 15 juillet, nous avons rejoint l’abbaye oĂą nous attendaient rĂ©pĂ©titions et concerts. Tous les espaces, toutes les salles, ou quasi, sont investis par le festival. Tout ou presque est accessible au public qui souhaite pousser les portes, alors qu’il visite l’abbaye, qui lui est ouverte Ă  la visite. Ainsi tandis que les artistes rĂ©pètent, peut-on voir les techniciens du son, les tĂ©lĂ©visions, France Musique s’activer autour d’eux, afin que tout soit prĂŞt pour les concerts. Evoquons tout de suite la sonorisation mise en place afin de rassurer les puristes. Elle est indispensable en ces lieux. Elle permet d’offrir une qualitĂ© d’Ă©coute Ă©gale Ă  tous. Cette annĂ©e, elle n’a pas toujours Ă©tĂ© parfaite, et pourtant pas un seul d’entre nous n’a regrettĂ© sa prĂ©sence en ces lieux, tant la magie de la programmation et le talent des artistes, font très vite oublier la prĂ©sence de la technique. Et alors que tout n’est qu’agitation autour de Jordi Savall et de ses musiciens, que les cameramen tirent les câbles, bondissent sur la scène, enjambent les fils, les artistes se retrouvent. Arrivant des quatre coins de la planète et ne disposant bien souvent que de quelques heures pour rĂ©pĂ©ter et se mettre en place, ils rĂ©investissent ce lieu qu’ils redĂ©couvrent Ă  chaque fois, tant il est si vivant. InstantanĂ©ment, ils installent ce lien si particulier entre eux, la musique, les lieux et celui qui les Ă©coute. Alors que tout virevolte autour d’eux, la sĂ©rĂ©nitĂ© s’empare pourtant de tous.

 

 

 

Festival Musique et Histoire : une source d’Harmonie

 

narbonne Ă©tĂ© 2014 363Le public vient Ă  Fontfroide pour partager avec le maestro catalan, au-delĂ  de la simple rĂŞverie, des instants uniques d’affinitĂ©s, d’amitiĂ©, d’amour. La musique y dĂ©voile progressivement, ce meilleur qui sommeille en chacun de nous, si souvent craintif et apeurĂ©. Il n’est qu’Ă  entendre les premières minutes du Concert Orient Occident, en Hommage Ă  la Syrie donnĂ© le premier soir, alors que les musiciens marocain Driss El Maloumi Ă  l’Oud, le malgache Rajery au Valiha et le malien BallakĂ© Sissocko, au Kora improvisent un Kouroukanfouga instrumental subjuguant. Dès le concert de l’après-midi Ă  18 heures, ils avaient entamĂ© Des Dialogues croisĂ©s, sous forme d’improvisation avec leurs homologues syriens Waed Bouhassoun au chant et Ă  l’Oud, Moslem Rahal au Ney et Hamam Alkhalaf au chant. Nous les retrouvons ce soir-lĂ , avec Ă  leur cĂ´tĂ© deux autres chanteurs, l’israĂ©lien Lior Elmaleh et la grecque Aikaterini Papadopoulu, ainsi que de nombreux instrumentistes et le chĹ“ur d’enfants des jeunes chanteurs du Conservatoire de Narbonne. Ces derniers viendront apporter au final, avec brio, cette touche d’innocence qui permet Ă  une mĂ©lodie commune Ă  toutes les civilisations du pourtour mĂ©diterranĂ©en de dĂ©ployer les ailes de l’espĂ©rance. Ce concert n’est en rien « exotique », il possède cette force de l’hommage aux victimes des guerres fratricides en une terre qui pourtant appelle Ă  la vie.
Ces concerts thĂ©matiques de « musiques du monde ancien », rĂ©unissant autour de lui pour des programmes comme Orient Occident du premier soir, ou celui sur les musiques du temps du Greco, ou bien encore celui sur les musiques des balkans qui concluait ou presque le festival, -puisque une dĂ®ner concert auquel nous n’avons pas assistĂ© le dimanche finissait sur une folle fĂŞte mexicaine l’Ă©dition de cette annĂ©e-, permettent Ă  Jordi Savall de poursuivre ainsi son travail d’artiste de l’Unesco pour la paix. En permettant aux jeunes gĂ©nĂ©rations en cours de formation musicales de dĂ©couvrir Ă  cĂ´tĂ© d’adultes de tout horizon, par la musique, la richesse de ces croisements incessants de l’histoire et des cultures, il donne aux jeunes gĂ©nĂ©rations l’opportunitĂ© de changer le monde de demain.
Tous les concerts de 18 heures sont des perles rares et prĂ©cieuses. Les talents d’improvisateurs virtuoses de tous ces musiciens, rĂ©vèlent ainsi, au public Ă©tonnĂ©, les ressources infinies de leurs instruments. De Driss el Maloumi Ă  l’oud, en passant par Moslem Rahal au Ney, ou le survoltĂ© Bora Dugic Ă  la Frula, ou le surprenant et irradiant violoniste tzigane Tcha Limberger, tous semblent entrer en transe et en communautĂ© d’esprit avec le public. Sourires, regards, silence, la musique, reflet de la lumière et de nos Ă©motions, s’y Ă©panouit. Le concert de Ferran Savall est une très belle dĂ©couverte. Les onomatopĂ©es de Ferran Savall, nous racontent des histoires fantasmagoriques. Aucun musicien ne cherche Ă  entrer en concurrence avec un autre. Ici chacun peut s’exprimer. En pays cathare, on se laisse ensorceler et rĂ©jouir par la musique, fĂ»t-elle nostalgique. Et l’on aura remarquĂ© au passage combien Hakan GĂĽngör au Canun, peut faire de chaque pièce interprĂ©tĂ©e, un vĂ©ritable joyau.
Comment ne pas ĂŞtre touchĂ© par la grâce qui Ă©mane du concert d’Arianna Savall et de Peter Udland Johansen. La prĂ©sence compassionnelle de la soprano, au timbre cristallin, nous touche Ă  chaque fois. Reprenant le programme du CD Hirundo Maris, pour lequel nous les avions interviewĂ©s pour Classique News, les deux artistes et leurs compagnons musiciens, nous ont procurĂ© au cĹ“ur de la garrigue en plein Ă©tĂ©, le sentiment de nous retrouver sur des mers oĂą souffle une brise fraĂ®che et lĂ©gère. NimbĂ©e de lumière, Arianna nous a touchĂ©e Ă  l’âme. Elle a souhaitĂ© rendre hommage Ă  sa mère, dont on ressent la prĂ©sence amicale partout en ces lieux qu’elle aimait tant. Le son des vagues, provenant des percussions de David Mayoral et le chant des mouettes de la contrebasse de Miguel Angel Cordero, sont des instants vertigineux de tendresse et d’apaisement. Le percussionniste que l’on a retrouvĂ© dans de nombreux concerts, a dĂ©voilĂ© combien la percussion est un art qui demande une vĂ©ritable sensibilitĂ©.
Impossible ici de rentrer dans les dĂ©tails de chaque concert et de citer tous les artistes, l’article serait bien trop long. Le concert en hommage au Grego, fait de lumières franches et d’ombres redoutables, a rĂ©vĂ©lĂ© un programme passionnant. Celui consacrĂ© aux Balkans fĂ»t d’une beautĂ© Ă  couper le souffle, oĂą l’on a retrouvĂ© cet apaisant instrument qu’est le Duduk et son jeune mais non moins brillant interprète, HaĂŻf Sarikouyoumdjian.
Enfin Jordi Savall, a consacrĂ© deux concerts inoubliables Ă  la musique pour viole. L’un intitulĂ© l’Europe du Nord a permis d’entendre le rĂ©pertoire français du XVIIe siècle, et celui intitulĂ© Fantaisies Royales, le si Ă©lĂ©gant et brillant rĂ©pertoire anglais des annĂ©es 1630-1660. ComplicitĂ© absolue entre des artistes qui se connaissent depuis tant d’annĂ©e. Dans le RĂ©fectoire des convers, un lien intime s’instaure entre les musiciens, les compositeurs et le public. Le sentiment d’être entre amis, après le souper, nous gagne. La poĂ©sie de l’éphĂ©mère est ici servie par une basse continue aux clairs obscurs chatoyants. Pierre HantaĂŻ au clavecin ou Xavier Diaz-Latorre au thĂ©orbe sont des continuistes aristocratiques. Philippe Pierlot Ă  la basse de viole qui assure la basse continue sur l’ensemble des concerts, a ici entamĂ© avec Jordi Savall une conversation raffinĂ©e et mĂ©lancolique, dans le Concert Ă  deux violes Ă©gales : Tombeau des Regrets de Monsieur de Sainte Colombe le Père qu’ils ont poursuivi dans les Fantaisies royales, deux jours plus tard, en compagnie du très beau consort de violes rĂ©unie pour cette occasion. Dans le concert consacrĂ© au rĂ©pertoire français, Jordi Savall a souhaitĂ© Ă©voquer l’éclat de la musique française qui Ă  la fin de règne de Louis XIV va cĂ©der la place Ă  une musique du recueillement, plus intimiste et qui fait miroiter l’âme et ses ombres. La flĂ»te ductile de Marc HantaĂŻ, parfois impertinente sait se faire joueuse, subtile, rĂŞveuse, tandis que le violon de Manfredo Kraemer mĂ©lange d’irisation et d’énergie, se plait Ă  soutenir une conversation effrontĂ©e. Le programme consacrĂ© Ă  la musique anglaise au temps des guerres des trois royaumes, rĂ©pertoire Ă©minemment virtuose de la toute fin du XVIe siècle et du dĂ©but du XVIIe siècle, offre au consort de violes ses plus belles lettres de noblesse, ici servie par des interprètes flamboyants. La texture polyphonique raffinĂ©e et si complexe est rendue avec une prĂ©cision si vivante qu’elle donne Ă  ses voix du silence, toute sa plĂ©nitude.
Le festival de Fontfroide est plus qu’une belle aventure. Il serait dommage de vous en priver. Jordi Savall bien au-delà du musicien est un humaniste qui sait s’entourer de véritables personnalités et transmettre non seulement son savoir-faire, mais aussi donner à voir et à partager la quintessence de ce que l’humanité peut elle-même offrir de meilleur. Entourer d’équipes techniques, administratives et de bénévoles qui ne demandent qu’à le seconder avec efficacité et passion et du soutien amical  des propriétaires de l’Abbaye, et de nombreux partenaires dont la si douce ville de Narbonne, il nous permet de voyager bien au-delà de toute frontière et de reprendre la route, de suivre cet escalier qui derrière le jardin en terrasse semble « aller sans fin », vers un inconnu fascinant.

Narbonne. Abbaye de Fontfroide du 15 au 20 juillet 2014. IXe Festival Musique et Histoire. Pour un dialogue Interculturel : Territoires et cultures de l’Homme. Mardi 15 juillet, Abbaye de Fontfroide, concert de 18 h, sur les Jardins en Terrasses  Dialogues croisĂ©s : Syrie, Maroc, Mali et Madagascar par Moslem Rahal (ney) , Waed Bouhassoun (voix&oud), Hamam Alkhalaf (voix) & l’ensemble d’Afrique : Dris El Maloumi (voix & oud), BallakĂ© Sissoko (lora du Mali), Rajery (Valiha de Madagascar). Concert du soir, Cour Louis XIV, Orient & Occident, avec les musiciens de Grèce, d’IsraĂ«l, du Maroc, de Syrie, le Choeur d’enfants du Conservatoire de musique du Grand Narbonne et les solistes vocaux et instrumentaux de la Capella Reial de Catalunya et d’HespĂ©rion XXI. Mercredi 16 juillet, concert de 18 h, Jardins en Terrasses, Dialogues Nord et sud : Norvège et Catalogne, Arianna Savall (chant et harpe), Peter Udland Johansen (voix, hardinfele, mandolin) et les musiciens de l’album Hirundo Maris. Concert du soir, L’Europe du Nord 1714 – 1788, Le Concert des Nations, Manfredo Kraemer, violon ; Marc HantaĂŻ, flĂ»te traversière ; Philippe Pierlot, basse de viole ; Xavier Diaz-Latorre, thĂ©orbe & guitare, Pierre HantaĂŻ, clavecin ; Jordi Savall, viole de gambe & direction. 18 juillet, concert de 18 heures, Jardins en Terrasse, Fantaisies mĂ©diterranĂ©es : d’autrefois et d’aujourd’hui, Ferran Savall et des musiciens d’HespĂ©rion XXI. Concert du Soir, Eglise Abbatiale, l’Europe du Sud 1541-1614, les Musiques au temps du Greco par les solistes vocaux et instrumentaux de la Capella Reial de Catalunya et d’HespĂ©rion XXI sous la direction de Jordi Savall. Le 18 juillet, concert de 18 h, Jardins en Terrasse, l’Esprit des Balkans : Tziganes & Ottomans par des musiciens tziganes, turcs et serbes. Concert du soir, RĂ©fectoire des convers de l’Abbaye. Fantaisies royales, HespĂ©rion XXI sous la direction de Jordi Savall. Le 19 juillet 2014, Concert du soir en l’Ă©glise Abbatiale, les Cycles de la vie – Balkan : le Pays du Miel & du Sang, HespĂ©rion XXI sous la direction de Jordi Savall.

 

 
Illustrations : © Monique Parmentier

Compte rendu, concert. Narbonne, Théâtre, le 13 juillet 2014. Festival Horizon MĂ©diterranĂ©e. Chants d’exil et d’amour dans les traditions juives et arabes du pourtour mĂ©diterranĂ©en, Jordi Savall et ses musiciens invitĂ©s.

SAVALL_savall_jordi-savall-724x464Lorsque vient l’heure d’Ă©crire cette chronique, le temps s’est Ă©coulĂ©, emportant les dernières notes de musique, celles du dernier concert. Elles sont parties vers des horizons lointains, tandis que nous rejoignons la capitale, son bruit, son agitation permanente. Et c’est d’abord la qualitĂ© du silence et de la lumière, du Festival de musique ancienne qui se tient en l’Abbaye de Fontfroide dans l’Aude, qui nous revient en mĂ©moire. Une qualitĂ© de silence, qui aidĂ©e par le vent porte la musique, loin, très loin. Comment ne pas se revoir, marchant dans la garrigue en dĂ©but de soirĂ©e, Ă  l’arrière de l’abbaye. Au loin, le son des violes de Jordi Savall et de Philippe Pierlot qui rĂ©pètent quelques fantaisies de William Law ou de Matthew Locke. Les nuages ont recouvert la forĂŞt environnante, semblant figer le temps dans un ailleurs lointain et Ă©ternel. Le vent chante sa plainte qui accompagne les violes. La solitude qui nous entoure, se pare de poĂ©sie et parle, nous murmure l’ineffable. Celui qui n’a pas vĂ©cu ce sentiment d’une intense spiritualitĂ©, si universelle, qui sourde de Fontfroide, comme cette source froide qui attend le voyageur Ă©garĂ©, ne sait Ă  quel point ce festival rĂ©pond Ă  un appel, Ă  une quĂŞte… celle de la paix.

Chants d’exil et d’amour sur les terres d’Al Andalous

savall-festival-fontfroideC’est Ă  quelques kilomètres des bords de la MĂ©diterranĂ©e, notre mère Ă  tous, que ce lieu prĂ©servĂ© par une famille qui semble si attachĂ©e Ă  ce trĂ©sor patrimoniale, offre l’harmonie et la sagesse. Et c’est en cette Abbaye de Fontfroide que depuis neuf ans, Jordi Savall propose Ă  un public fidèle et attentif, un festival de musique ancienne unique en son genre. Créé en compagnie de son Ă©pouse Montserrat Figueras, dans un lieu dĂ©couvert presque par hasard, Ă  l’occasion d’une invitation Ă  y donner un concert, le Festival Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel, tente de rendre possible le partage et l’Ă©coute d’une histoire et d’une culture commune et pourtant si diverse, des peuples de cette mer qui a vu naĂ®tre tant de civilisations.
Cette annĂ©e avant de rejoindre l’Abbaye le 15 juillet, c’est dans la ville de Narbonne que le 13, nous avons tout d’abord retrouvĂ© Jordi Savall, ainsi que certaines de ses chanteuses et musiciens pour un concert intitulĂ© Chants d’exil et d’amour. Partenaire officiel du Festival qui se tient Ă  l’abbaye, la ville dans le cadre d’une manifestation plus globale intitulĂ©e Horizon MĂ©diterranĂ©e, a souhaitĂ© cĂ©lĂ©brer la femme mĂ©diterranĂ©enne Ă  l’occasion de ces rencontres. Spectacles de chant, de danse, confĂ©rences dĂ©bats, exposition, viennent cĂ©lĂ©brer toutes celles qui dans la guerre et dans la paix, « sont une source d’inspiration ».
Ainsi le temps d’une soirĂ©e, Jordi Savall est-il devenu le troubadour de cette ancienne citĂ© romaine, qui a Ă©tĂ© Ă  une certaine Ă©poque la capitale d’une province d’Al Andalous. Nous retiendrons tout d’abord de ce concert splendide, la dĂ©claration simple, digne et angoissĂ©e, lue par des intermittents, rappelant que sans eux, il ne peut y avoir de spectacle. On peut Ă©galement se rĂ©jouir de ce public de tout âge, venu nombreux. D’autant que le soir mĂŞme, la coupe du monde de football aurait pu le retenir devant un poste de tĂ©lĂ©. Connaissant peu ou pas la musique ancienne, ce public n’a d’ailleurs quittĂ© qu’à regret le théâtre Ă  la fin du concert. A l’Ă©coute de la magie des instruments et de ces voix envoĂ»tantes, si Ă©vocatrices de ces ailleurs, d’une diffĂ©rence qui invite au voyage et Ă  la contemplation, il s’est laissĂ© emporter loin de son quotidien. Les instruments : le santur, le ney, l’oud et le rebbab magnifient les voix. Ils chantent les souffrances de l’absence et de l’exil, mais aussi la beautĂ© du monde et le bonheur d’aimer. Des voix, nous retiendrons tout particulièrement, celle de deux des chanteuses qui ont profondĂ©ment marquĂ© cette soirĂ©e et le festival oĂą nous les avons ensuite retrouvĂ©es. Celle de la chanteuse grecque, Aikaterini Papadopoulu, limpide et dĂ©licate, suggère la nostalgie des bonheurs perdus, des instants fugaces et ardents, de tous ces petits bonheurs qui font une vie. Tandis que celle tout en retenue, de la chanteuse musicienne syrienne – qui s’accompagne Ă  l’Oud- Waed Bouhassoun, est d’une indicible Ă©motion. Elle exprime l’amour, la peur, l’angoisse, une poĂ©sie fugace et sensible, qui suspend le temps, avec une noblesse et une dignitĂ© rares. La direction attentive et Ă  l’écoute de Jordi Savall redonne vie au lyrisme des muses de la MĂ©diterranĂ©e.

Narbonne, Théâtre de Narbonne le 13 juillet 2014 ; Festival Horizon MĂ©diterranĂ©e. Chants d’exil et d’amour dans les traditions juives et arabes du pourtour mĂ©diterranĂ©en, Jordi Savall et ses musiciens invitĂ©s.

 

 

Illustrations : Jordi Saval, portrait (DR) ; à Fontfroide juillet 2014 © Monique Parmentier

Jordi Savall joue Rameau sur France 2

france2-logo_2013Télé. France 2. Jordi Savall joue Rameau, jeudi 6 mars 2014, 00h30. On se souvient d’un disque exemplaire restituant le faste chorégraphique et cette sensibilité à la couleur et aux timbres  d’un Rameau réenchanté grâce à la direction du chef fondateur du Concert des Nations, Jordi Savall. Le programme avait été rodé d’abord au concert, comme ici en 2011, puis enregistré dans la foulée pour le disque (Alia Vox). France 2 en cette année Rameau 2014 nous offre l’enregistrement filmé du concert donné à l’Opéra royal de Versailles le 16 janvier 2011. Le lieu est d’autant mieux désigné pour Rameau que le Dijonais occupa les fonctions les plus prestigieuses à la Cour de France sous Louis XV à Versailles précisément. A l’époque, le Château ne dispose pas encore d’un opéra en dur, mais en divers sites du domaine, les compositeurs disposent d’un goût jamais atténué pour la machine lyrique et dans le cas de Rameau, du flamboiement d’un orchestre souverain, n’en déplaisent aux chanteurs et acteurs de l’Académie royale de musique. Le programme défendu par Savall et ses équipes illustrent l’excellence du compositeur dans l’art orchestral,  c’est même dans le cas de Rameau, du premier symphoniste digne de ce nom, avant Berlioz et les romantiques.  

 

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Pleins feux sur Rameau le symphoniste 

L’orchestre de Louis XV selon Rameau

 

Voici ce qu’écrivait Ernst Van Beck à propos du cd Rameau, l’orchestre de Louis XV lors de sa parution en juin 2006… Le programme du disque est identique aux œuvres abordés dans le concert filmé diffusé sur France 2.

Fastes et éloquence ramistes… Ici, naît l’orchestre français et déjà ce symphonisme ardent, ivre de couleurs et de climats ténus qui dépassent bien souvent leur “prétexte narratif”: à Jordi Savall, reconnaissons ce génie magicien du geste capable de transmettre aujourd’hui la modernité inclassable du plus grand compositeur français du XVIIIè. Magistral.

Dès les Indes Galantes, première pierre de cette incursion chronologiquement respectée et qui restitue comme une manière de récapitulation de l’écriture de Rameau des Indes Galantes donc (1735) aux Boréades (1764, que l’auteur ne put voir créé de son vivant): Jordi Savall se dévoile immensément inspiré dans ce théâtre du délire musical, de l’enchantement rocaille et de la pure invention baroque. Certes il y a le mordant et l’expressivité des cordes (superbes coups d’archet), la vitalité des bois (hautbois et bassons à la fête), avec l’accent et la couleur des cuivres étonnamment ronds et précis, Jordi Savall souligne tout ce que Rameau doit à Lully dans la grandeur et la solennité (jamais cependant grandiloquente: balancement suspendu du Menuet des guerriers…). La

Chaconne laisse respirer la phrase, déployant ce goût de la pâte, ce coloris savallien dont nous avons pu dire toute la subtilité et le raffinement jamais strictement démonstratif, toujours aérien, d’une onctuosité si délectable, déjà admirablement réalisés dans le précédent disque dédié à cet autre magicien au début du XVIIIè, François Couperin.

Nostalgie, rêve, enchantement, force et muscle (énergie de l’ouverture de Naïs, 1748: d’une électrisante course construite comme une flamme ascensionnelle avec des fins de phrase pointées comme une touche sans appui)… toutes les facettes du soleil versaillais éblouissent ici; comme compositeur officiel de la Cour de Louis XV, Rameau méritait bien ce flamboiement de couleurs, cette précision d’accents, ce geste libéré qui oublie la tenue strictement rythmique pour atteindre à une continuité élastique et organique totalement jubilatoire (Rigaudons si diversement caractérisés de Naïs, plage 16), sans omettre la légèreté de la Chaconne.
Beaux accents mordants de l’ouverture de Zoroastre (1749) où s’accomplit avec une même souplesse les pointes aigres surexpressives puis ce lâcher prise d’une onctuosité tout en finesse mélancolique: le contraste de ces deux climats enchaînés est déjà le  gage d’une superbe compréhension de la versatilité permanente du Rameau inventeur. Dans l’air des esprits infernaux plus l’air grave, Savall et sa noble assemblée font rugir la présence du théâtre avec une pâte là encore suractive et passionnante car la richesse dynamique ne ralentit jamais l’architecture dramatique. La Gavotte en rondeau puis la Sarabande (superbes respirations) convoquent le raffinement mondain des salons courtisans, cette délicatesse et ce poli d’intonation qui rappellent
évidemment les pièces de clavecin en concerts, eux même si inspirés par la succession prodigieuse des opéras du Dijonais.
Et que dire encore de la frénésie voire la transe de la conclusion des Boréades, l’ultime oeuvre de Rameau, où c’est le génie de la danse qui emporte tout l’orchestre au langage si flamboyant. Allant dramatique annoncé dans les gavottes pour les heures et les zéphyrs, réglées comme des mécaniques fulgurantes… l’option du tempo s’avère convaincante. Instrumentalement, Jordi Saval poursuit une étude de la sonorité appliquée amorcée auparavant sur les orchestres de Louis XIII et de Louis XIV. L’Héroïque, la Pastorale, l’action tragique s’incarnent ici avec une vitalité bouillonnante, une direction opulente et variée, qui aime s’alanguir et s’attendrir aux instants de repos et de méditation; rugir et souffler des braises à l’évocation des tempêtes et batailles en bon ordre. Pour accomplir cette recherche historique sur instruments d’époque selon la connaissance d’une recherche informée, Savall trouve en Manfredo Kraemer un violoniste complice évidemment crucial: la séduction formelle de la pâte globale comme ce nerf musclé des accents si habilement enchaînés dans leurs climats contrastés (poésie saisissante des Vents, si emblématique pour les Boréades) offrent aujourd’hui la plus vivante des propositions pour la musique française baroque dont Rameau sort gagnant. Le compositeur officiel de Louis XV dès 1745, incarne une manière rocaille pleinement aboutie et déjà visionnaire dans sa faveur délirante réservée aux instruments. L’orchestre vainc tout. Symphoniste, Rameau se distingue immédiatement. Peu à peu, une écriture d’abord dramatique et flamboyante déjà passionnante par sa verve créative séduit immédiatement; puis Savall nous initie à l’évolution de la plume ramiste, autour de 1750, plus construite, plus audacieuse et même abstraite: les ouvertures des Zoroastre et surtout des Boréades indiquent une pensée musicale de plus en plus libérée (pure invention rythmique de la contredanse en rondeau des Boréades).

Ici, naît l’orchestre français et déjà ce symphonisme ardent, ivre de couleurs et de climats ténus qui dépassent bien souvent leur “prétexte narratif”: à Jordi Savall, reconnaissons ce génie magicien du geste capable de transmettre aujourd’hui la modernité inclassable du plus grand compositeur français du XVIIIè. Magistral. Rameau: Suites d’orchestre. Les Indes Galantes, 1735. Naïs, 1748. Zoroastre, 1749. Les Boréades, 1764. Le Concert des Nations. Jordi Savall, direction. Ernst Van Beck. Voir la critique illustrée du disque Rameau, l’orchestre de Louis XV par Jordi Savall.

Compte-rendu : Saintes. Abbatiale, le 12 juillet 2013. Musiques traditionnelles séfarades et arméniennes, Hespérion XXI; Jordi Savall, vièle et direction.

Hesperion XXI photo de groupeOn ne prĂ©sente plus l’ensemble HĂ©sperion XXI placĂ© depuis ses dĂ©buts, en 1974, sous la direction avisĂ©e de Jordi Savall. Depuis le dĂ©cès de la soprano espagnole Montserrat Figueras en 2012, Savall privilĂ©gie les programmes de musique ancienne tant occidentale qu’orientale. 

Festival de Saintes : une ouverture en fanfare avec Jordi Savall

 

Pour le concert d’ouverture du festival 2013 Jordi Savall a programmĂ© des oeuvres du bassin mĂ©diterranĂ©en qui est aussi celui du dernier cd d’HespĂ©rion XXI. Le chef et vieliste catalan s’est beaucoup appuyĂ© sur l’oeuvre de Dimitrie Cantemir (1673-1723). Luthiste, compositeur et Ă©crivain reconnu de son vivant, il a entre autres laissĂ© un livre intitulĂ© “Istanbul : le livre de la science de la musique” sur lequel Jordi Savall s’est appuyĂ© et qui a donnĂ© son titre au programme du cd paru et du concert de Saintes 2013.

Dès le dĂ©but de la soirĂ©e, nous voyageons entre la Grèce, l’ArmĂ©nie, la Turquie et le bassin mĂ©diterranĂ©en oĂą se rejoignent et se cĂ´toient les trois grandes religions du livre,  dont le savant mĂ©lange des cultures laisse entrevoir la richesse exceptionnelle des musiques et des arts de ces pays. Jordi Savall et ses musiciens alternent avec talent les musiques de chaque pays, de chaque religion. A plusieurs reprises les musiciens jouent seuls, parfois accompagnĂ©s par la vièle de Jordi Savall. La richesse culturelle et artistique du bassin mĂ©diterranĂ©en est Ă  ce point inĂ©puisable que le programme du concert d’ouverture n’en donne qu’un bref aperçu.

Cependant, Jordi Savall dose savamment  les mĂ©lodies jouĂ©es, chantĂ©es et/ou dansĂ©es par chacune des trois grandes religions du livre permettant au public d’en dĂ©couvrir ou de redĂ©couvrir de nouveaux horizons.

Le programme “dĂ©coupĂ©” en quatre parties Ă©gales et alternant musiques entrainantes et “tristes”  accoste ainsi  en Grèce, en ArmĂ©nie, en Turquie …  cela permet aussi de se plonger dans un univers vivant et en constante Ă©volution. D’autre part, la complicitĂ© entre Jordi Savall et ses musiciens, qui se connaissent depuis quarante ans, leur permet de jouer sans complexes, au signe d’un regard furtif qui lance le collectif… et d’ailleurs, un seul coup dĹ“il, discret et Ă  peine visible suffit maintenant Ă  lancer une mĂ©lodie.

C’est un public conquis qui ovationne Jordi Savall et HespĂ©rion XXI; les musiciens,  ravis par l’accueil reparaissent sans se faire prier. C’est Jordi Savall qui annonce lui mĂŞme le premier bis qu’il dĂ©die, après lui avoir rendu un hommage Ă©mouvant, Ă  son Ă©pouse disparue.

L’ensemble joue une chanson mĂ©diĂ©vale que Montserrat Figueras chantait rĂ©gulièrement en concert dans ses trois versions (arabe, juive et chrĂ©tienne). C’est aussi Jordi Savall qui prĂ©sente ses musiciens et les instruments sur lesquels ils jouent; ce qui leur permet aussi de se livrer Ă  une courte improvisation afin que le public, venu nombreux, puisse apprĂ©cier les sonoritĂ©s propres Ă  chacun. Pour clore le concert, Hesperion XXI joue une chanson armĂ©nienne prĂ©sentĂ©e non par son chef mais par le jeune joueur de Duduk (flĂ»te armĂ©nienne) dont le titre est assez Ă©loquent (Nous sommes un peuple courageux). FraternitĂ©, musique, paix…

Voici la source savallienne des concerts humanistes que tant de musiciens et leur ensemble propre reprennent ici et lĂ , portĂ©s par un mĂŞme espoir de partage et de comprĂ©hension mutuelle. A Jordi Savall revient le mĂ©rite d’en entretenir la flamme pionnière.

Saintes. Abbatiale, le 12 juillet 2013. Musiques traditionnelles séfarades et arméniennes, Hespérion XXI; Jordi Savall, vièle et direction

Illustration : Jordi Saval et ses partenaires musiciens à Saintes 2013 © photo Hélène Biard pour classiquenews.com

Jordi Savall Ă  Versailles : Bach, Haendel, Vivaldi

SAVALL_savall_jordi-savall-724x464Arte. Jordi Savall : Magnificat & Jubilate Deo. Chapelle Royale de Versailles … Fin  juin 2013, Jordi Savall a offert un splendide programme de musique sacrĂ©e europĂ©enne dans le cadre de la Chapelle royale du Château de Versailles. Le musicien catalany dirigeait deux « Magnificat », l’un de Bach, l’autre de Vivaldi, et des Ĺ“uvres de Lully et Haendel.
Après la parution de son enregistrement de la Messe en Si de Bach, Jordi Savall a tenu Ă  proposer, pour le Tricentenaire de la Paix d’Utrecht (1713) qui venait clore une douzaine d’annĂ©es de guerre entre la France et la moitiĂ© de l’Europe, un programme rĂ©unissant quatre chefs d’œuvres emblĂ©matiques de la musique sacrĂ©e europĂ©enne, quatre compositions magnifiant la grandeur divine, le pouvoir royal, la force du message pacifique.
Cette première version du Magnificat de Vivaldi date précisément de la période 1713-1717. Vivaldi en donnera plus tard deux autres versions qui s’éloigneront de la cantate sacrée. Il emploie ici les techniques musicales qui le caractérisent alors, comme des thèmes très longs ou une écriture fuguée.

La suite pour orchestre n°3 de Johann Sebastian Bach est l’une des œuvres instrumentales les plus connues du compositeur.

Le Magnificat de Bach reste une rĂ©fĂ©rence de perfection dans l’Ĺ“uvre du Cantor, utilisant plus que jamais les combinaisons d’Ă©criture contrapuntique et les figures mathĂ©matiques pour crĂ©er une Ĺ“uvre Ă  la beautĂ© et Ă  l’Ă©loquence enthousiasmantes, vĂ©ritable tour de force vocal et contrapuntique pour le chĹ“ur. Adoration par la Vierge Marie du Christ naissant, le Magnificat serait-il le chef d’Ĺ“uvre choral de Bach ? certainement, c’est en tout cas de cette façon que l’approche Jordi Savall et ses troupes.

Haendel a composĂ© le Jubilate pour cĂ©lĂ©brer la Paix d’Utrecht, en 1713, dans un style qui croise les traditions purcelliennes et un mĂ©tier dĂ©jĂ  sĂ»r Ă  peine arrivĂ© d’Italie. Ĺ’uvre fastueuse, elle cĂ©lèbre la gloire de la Cour d’Angleterre tout autant que la paix europĂ©enne … aspiration et idĂ©al politique inspire une oeuvre de premier plan.

Jordi Savall : Magnificat & Jubilate Deo
Chapelle Royale de Versailles
La Capella Reial de Catalunya
Le Concert des Nations
Jordi Savall, direction
Réalisation : Benjamin Bleton
Coproduction : ARTE France, Karl More Productions, CIMA, Château de Versailles Spectacles
Avec : Hanna Bayodi-Hirt, Johanette Zomer, Damien Guillon, David Munderloh, Stephan Macleod.