Poitiers, TAP. Le 14 dĂ©cembre 2014, 17h. Au Pays oĂč se fait la guerreâŠ. Saintes, Venise⊠les escales de ce programme hors normes sont dĂ©jĂ prometteuses mais pas uniques puisque le concert est lâobjet dâune tournĂ©e en 2015. PrivilĂ©giant les compositeurs « romantiques français », le choix des partitions Ă©voque surtout le destin dâun soldat de la grande guerre (1914-1918), centenaire oblige, Ă travers des tĂ©moignages directs ou par le regard de ses proches ou de sa famille. En vĂ©ritĂ© le prĂ©texte martial et sanglant, intĂ©resse aussi dâautres conflits et dâautres Ă©poques que le premier conflit mondial, remontant le curseur chronologique jusquâaux Ă©vĂ©nements de 1870⊠Voici assurĂ©ment le meilleur spectacle spĂ©cialement Ă©crit pour cĂ©lĂ©brer la Grande Guerre.
Ainsi de Jacques Offenbach Ă Nadia Boulanger, de trĂšs nombreux styles et auteurs sont sollicitĂ©s : CĂ©cile Chaminade, Benjamin Godard (sublime mĂ©lodies intitulĂ©e Les Larmes), Henri Duparc, Claude Debussy ou le dĂ©sormais inĂ©vitable ThĂ©odore Dubois, acadĂ©mique audacieux que le Palazzetto Bru Zane Ă Venise a Ă©tĂ© bien inspirĂ© de ressusciter rĂ©cemment. Pourtant pas de rĂ©fĂ©rence Ă AlbĂ©ric Magnard, auteur majeur qui a pĂ©ri sous les armes (Tours en a fait heureusement un auteur favori rĂ©guliĂšrement jouĂ© : BĂ©rĂ©nice, Hymne Ă la justice)⊠Les quatre sĂ©quences du programme : le dĂ©part, au front, la mort, en paradis, Ă©voquent le chemin de croix du guerrier par un chant instrumental prĂ©alable, celui de la formation requise : quatuor avec piano (Bonis, FaurĂ© deux fois, enfin Hahn). Grande Duchesse de GĂ©rolstein ou veuve dâun colonel (La vie parisienne), la mezzo Isabelle Druet endosse avec une verve mĂ»re, les facettes de ses personnages; celle qui fut Ă Versailles, une Clorinde tragique et tendre chez Campra, retrouve dans ce programme romantico-moderne, les accents pudiques de lâhommage aux victimes sacrifiĂ©es sur les champs de bataille. Le titre du concert emprunte Ă la mĂ©lodie de Duparc « Au pays oĂč se fait la guerre », sublime priĂšre intĂ©rieure dont lâintensitĂ© Ă©gale la profondeur. Une traversĂ©e dans des paysages sombres mais dignes Ă laquelle les instrumentistes du Quatuor Giardini apportent des contours tout aussi suggestifs et recueillis.
Poitiers, TAP. Dimanche 14 dĂ©cembre 2014, 17h. « Au pays oĂč se fait la guerre ». DurĂ©e approximative : 1h15 (hors entracte).
avec
Isabelle Druet, mezzo soprano
Quatuor Giardini
David Violi, piano
Pascal Monlong, violon
Caroline Donin, alto
Pauline Buet, violoncelle
Programme
1/ LE DĂPART
Mel BONIS : Quatuor avec piano n°1 op. 69 : Finale
Jacques OFFENBACH : La Grande Duchesse de Gerolstein
Ah que jâaime les militaires
Cécile CHAMINADE : Exil
Jacques OFFENBACH : La Grande Duchesse de Gerolstein : Couplets du sabre
2/ AU FRONT
Gabriel FAURE : Quatuor avec piano op.45 : Allegro molto
Gaetano DONIZETTI : La fille du rĂ©giment : pour un femme de mon rangâŠ
Benjamin GODARD : Les Larmes
Henri DUPARC : AU pays oĂč se fait la guerre
Entracte
3/ LA MORT
Gabriel FAURE :Â Quatuor avec piano opus 15. Adagio
Claude DEBUSSY : 5 poĂšmes de Charles Baudelaire, Recueillement
Henri Duparc : Elégie
Jacques OFFENBACH : la vie parisienne, Je suis veuve dâun colonel
4/ EN PARADIS
Reynaldo HAHN : Quatuor avec piano : Andante
Lili BOULANGER : Elégie
Théodor DUBOIS : En Paradis
Théodore DUBOIS : Quatuor avec piano en la mineur
Andante molto espressivo
Bis 1 : OFFENBACH : La Fille du Tambour major, Que mâimporte un titre Ă©clatant ?
Bis 2 : FAURE : AprĂšs un rĂȘveâŠ
Patriotisme et guerres lointaines⊠Henri Duparc Ă©voque la froide dĂ©pouille dâun soldat anonyme ⊠tant de soldats morts au nom dâun patriotisme exacerbĂ©, celui du XIXĂšme et du XXĂšme siĂšcles. Lâantagonisme primitif France / Allemagne, revivifiĂ© encore sur la scĂšne musicale dans le rapport radicalisĂ© Ă Wagner fait aimer notre Ă©poque europĂ©enne oĂč les nationalismes durcis ont heureusement Ă©tĂ© absorbĂ©s par la construction europĂ©enne. PrĂ©texte Ă une relecture certes poĂ©tique mais surtout comique (Donizetti et Offenbach), la guerre est aussi lâacte ultime qui sacrifie le sang et la jeunesse. Les conflits de 1870 et de 1914 inspirent Ă©videmment les compositeurs chacun bravant le sort, cĂ©lĂšbre lâaccomplissement du devoir, et le dĂ©chirement du dĂ©part. Au front, câest lâangoisse nĂ©e de lâattente et de lâhorreur. Pourtant Ă peine adoucie par le souvenir de lâaimĂ©e, de la famille, du retour espĂ©ré⊠Courageux, le soldat nâen demeure pas moins homme : « mais les larmes quâon peut verser, quand les tĂȘtes sont dĂ©tournĂ©es, on ne les a pas soupçonnĂ©esâŠÂ » Les Larmes de Banjamin Godard.
Et comme si le sujet trop brĂ»lant ne pouvait ĂȘtre immĂ©diatement compris, digĂ©rĂ©, acceptĂ©, la plupart des auteurs usent du prĂ©texte historique, font surgir une action empruntĂ©e au siĂšcle antĂ©rieur plutĂŽt que de sâinscrire dans la rĂ©alitĂ© contemporaine : ainsi Offenbach situe sa Grande Duchesse de Gerolstein au XVIIIĂš (vers 1720 ou « à peu prĂšs »), Henri Duparc dans Au Pays oĂč se fait la guerre, ne peut Ă©voquer les armes et les deuils que dans une distanciation pudique, qui renvoie Ă la conquĂȘte coloniale du ⊠Second Empire ; mĂȘme Donizetti, pourtant dĂ©tenteur du truchement comique, Ă©labore dans sa Fille du rĂ©giment de 1840, une action qui Ă©voque des temps guerriers anciens eux aussi, ceux des campagnes de Bonaparte en Italie, Offenbach fait de mĂȘme en 1879 pour La fille du tambour-major. Dans le programme, les adagios des Quatuors pour piano de FaurĂ© (1887) ou Dubois (1907) Ă©clairent le fond dâune Ă©poque tourmentĂ©e. Ils font retentir mais allusivement dans les salons intimes, les dĂ©flagrations des guerres contemporaines.
Au pays oĂč se fait la guerre. AprĂšs Poitiers le 14 dĂ©cembre 2014, les autres dates de la tournĂ©e 2015 : 20 janvier Ă Aix-en-Provence, 22 janvier Ă Entraigues-sur-la-Sorgue, 25 janvier Ă Arles et 5 fĂ©vrier Ă PĂ©rigueux.