CD, événement critique. CLÉMENT : Sonates en trio, Iakovos Pappas / Augustin Lusson (Maguelone, 2019)

clement-sonates-en-trio-pappas-lusson maguelone critique cd classiquenewsCD, Ă©vĂ©nement critique. CLÉMENT : Sonates en trio, Iakovos Pappas / Augustin Lusson (Maguelone, 2019). Connaissez-vous les Sonates pour clavecin et violon de Charles François ClĂ©ment (c 1720 – Paris, 1789) ? En polĂ©miste virtuose, d’une acuitĂ© parfois mordante, par son verbe et son geste, le Iakovos Pappas souligne la clartĂ© audacieuse de CF ClĂ©ment, puissant crĂ©ateur aux cĂ´tĂ©s des Leclair, Rameau, Mondonville… A la manière des polĂ©mistes du XVIIIè, Iakovos Pappas prend la plume, trempĂ©e dans un bain de verve critique voire acerbe contre les tenants du goĂ»t et de la culture « classique ». On y goĂ»te son humour et son sens parodique, son esprit libre qui « ose » non sans raison et nombreux arguments, attaquer la lĂ©gitimitĂ© de tout ceux qui jugent ; affichant, claironnant des contre vĂ©ritĂ©s souvent aussi Ă©normes qu’elles sont Ă©mises sans vrai discernement. Ce sens analytique s’applique ensuite dans une sĂ©rie de « remarques » qui commente et explique la manière inventive voire dĂ©cisive de Charles François ClĂ©ment dont la carrière s’arrĂŞte Ă  la RĂ©volution.

Professeur de clavecin Ă  Paris, ClĂ©ment a laissĂ© un recueil de 3 cantatilles (Le DĂ©part des guerriers et Le Retour des guerriers en 1750, Le CĂ©libat en 1762), un Livre de Sonates en Trio pour clavecin et violon (1743) – le sujet du prĂ©sent album ; un journal de clavecin (airs extraits des intermèdes et opĂ©ras comiques Ă  la mode, transcrits pour clavecin seul et accompagnement de violon)…publiĂ© dès 1762. A l’opĂ©ra, ClĂ©ment compose aussi La PipĂ©e, parodie d’après le Paratorio du napolitain Jommelli (Théâtre Italien, 1756), l’opĂ©ra comique la BohĂ©mienne (1756).

En rĂ©fĂ©rence Ă  Rameau (Pièces de clavecin en concerts, 1741), ClĂ©ment pose d’emblĂ©e que le clavecin compte pour 2 voix. Sa densitĂ© – comme l’est aussi celle de Forqueray, contredit la lĂ©gèretĂ© d’une musique rocaille et galante qui ne serait ĂŞtre que « creuse ». PersonnalitĂ© qui touche par sa profondeur et son imagination, ClĂ©ment maĂ®trise le jeu Ă©gal rĂ©servĂ© aux deux instruments, autant qu’un Mondonville (opus III).
Sur le plan structurel, ses 6 Sonates appliquant le schĂ©ma lent – vif – lent, suivent Rameau plutĂ´t que Mondonville : la forme Ă  3 mouvements « traditionnelle », est enrichie (pour 3 d’entre elles) d’inserts au caractère imprĂ©vu. Exemple : Sonate III : Allegro-Largo e affettuoso – Minoetto I (rondeau) – Minoetto II – Giga. Allegro. Soit une expĂ©rimentation permanente dans l’esprit d’un laboratoire musical.
Le clavecin en verve, autant que le violon donc, indique une Ă©criture raffinĂ©e, volubile, juste, attestant de l’éloquence expressive du clavier baroque, – jusqu’à sa pleine disparition en 1776 (Ă  l’OpĂ©ra de Paris).

 

 

 

Merveilles de la Sonate française au XVIIIè

Iakovos Pappas ressuscite le génie expérimental
de Charles François Clément

 

 

 

clement-sonates-en-trio-pappas-lussonD’une érudition pertinente, Iakovos Pappas note très judicieusement la place primordiale du rondeau, avec son refrain, court, mémorisable, puis son couplet (trait manifeste dans la Sonate II). Même non indiqué, sa carrure, son allure y sont évidents… En particulier dans le mouvement central. Le fait qu’il soit associé au premier Allegro de la Sonate II est inédit alors. Le claveciniste en expert de la forme distingue chaque variation ainsi élaborée par Clément dans le traitement musical (rondeau noté « aria affetuoso » en forme de gavotte tendre de la Sonate I ; structure rondeau très originale, détaillant la succession du refrain puis des 3 couplets qui suivent pour l’ultime mouvement de la Sonate III, noté « Allegro poco andante »).
Comme s’il suivait l’instinct novateur d’un Clément réformateur, le geste souple de Iakovos Pappas, rappelant très justement l’influence de la danse chantée, prend soin de toujours préserver le flux naturel, l’allant, le rebond flexible de chaque Sonate : cela chante et parle même, mais cela court et ondule.

LE CLAVECIN DES LUMIERES… S’agissant de la structure mĂŞme des parties, le claveciniste s’interroge sur les Ă©lĂ©ments qui relèvent de la rhĂ©torique mĂŞme du discours musical, soulignant le bon usage du point d’orgue (point d’arrĂŞt), opportun entre autres lorsqu’il indique le dĂ©but d’une section improvisĂ©e (cadence), en règle gĂ©nĂ©rale jouĂ©e sans reprises (comme Corelli au siècle prĂ©cĂ©dent, dans ses PrĂ©ludes Ă  mouvement lent ou modĂ©rĂ©). Toute l’esthĂ©tique expressive fondĂ©e sur la respiration et le rebond naturel s’en trouve Ă©claircie. A partir d’une analyse très fine des partitions Ă©ditĂ©es au XVIIIè, Iakovos Pappas intègre aussi le phĂ©nomène Ă©mergeant au dĂ©but du XVIIIè (avec Veracini, Geminiani ou Locatelli), le point d’orgue sans limite tend Ă  dĂ©faire la « rĂ©gularitĂ© du rythme pĂ©riodique » et accentuer la lente et inĂ©luctable « dislocation «  de la forme des mouvements. En France Dandrieu et Rameau indiquent les points d’arrĂŞt, comme Guillemain, Guignon, Duphly et Jean-Marie Leclair (qui fut danseur), en particulier dans la dĂ©cennie 1730 – 1740. Incroyable parcours de la notation ainsi relevĂ©e qui mène jusqu’à Ernelinde de FAD Philidor de 1767, « littĂ©ralement noyé » sous les points d’orgue !
Tout cela indique l’évolution permanente de la forme, soumise à l’invention des compositeurs, à la ténacité de leur geste libre face à la mécanisation du rythme (batteries interminables « inventées à la fin du XVIIè en Italie »). Une défense du génie français se glisserait-elle ainsi grâce à une argumentation qui séduit par son éloquence ?
La conception première et le geste qui en découle sont ainsi restituée dans leur contexte et leur ineffable parure ; l’approche et la lecture qui sont ici proposées saisissent par leur finesse et leur ouverture ; c’est un retour aux fondements même de la « Révolution baroqueuse » propre aux années 1970 ; Iakovos Pappas suggère, évoque, prend en compte toutes les options à partir des notations minutieusement constatées ; cette culture philologique nourrit un questionnement perpétuel sur chaque mesure, chaque formule rythmique ; le sens, la direction, la réalisation d’une poésie musicale dont la richesse et la carrure toujours en métamorphose singularisent l’écriture française. Voilà qui réhabilite Clément au rang des créateurs les plus imprévisibles et les plus pertinents de son époque. D’autant que le violon d’Augustin Lusson, satellite libre et lui aussi virtuose, renforce le tempérament et l’intention artistique du programme. L’élève de Patrick Bismuth, remarqué par Sigiswald Kuijken partage l’acuité d’esprit, l’expressivité articulée de Iakovos Pappas. Ces deux là s’électrisent. Clément ne pouvait rencontrer meilleurs alliés.

On croit vivre de nouveau le temps des dĂ©fricheurs… quand nombre d’interprètes savaient oser, expliquer, convaincre, rĂ©vĂ©lant dans le Baroque tout ce qu’il a de neuf, de moderne, d’inouĂŻ, d’imprĂ©visible et de saisissant.

 

 

 

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CLIC_macaron_2014CD événement, critique. Charles-François CLÉMENT (1720 – 1789) : Sonates en trio, Iakovos Pappas, clavecin / Augustin Lusson, violon (Maguelone, 2019) – 6 Sonates en trio, 1743 – Livre cd Maguelone MAG 358.435 – Enregistrement sept 2019 – durée : 1h10. Notice livret : essai “Considérations sur la légitimité de l’autorité critique et son usurpation” par Iakovos Pappas – CLIC de CLASSIQUENEWS Noël 2020

 

 

 

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LIRE aussi notre annonce du livre cd Charles François Clément : Sonates en trio / Iakovos Pappas :
http://www.classiquenews.com/cd-evenement-critique-clement-sonates-en-trio-iakovos-pappas-maguelone-2019/

 

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LIRE aussi notre ENTRETIEN EXCLUSIF avec Iakovos PAPPAS à propos de Charles François Clément, génie oublié du XVIIIè français :

yakovos pappasENTRETIEN avec Iakovos Pappas. L’écriture de Charles-François CLÉMENT nous est révélée par l’instinct et le goût d’un interprète enquêteur de premier plan, Iakovos Pappas dont l’esprit de défrichement est demeuré intact. Clément, génie oublié du XVIIIè français, éblouit par sa virtuosité facétieuse, son mordant expressif, son goût du jeu formel et de l’invention : les 6 Sonates que le claveciniste inspiré ressuscite aujourd’hui (nouveau cd édité par Maguelone – CLIC de CLASSIQUENEWS Noël 2020), avec le concours du violoniste, aussi imaginatif qu’espiègle, Augustin Lusson, saisissent par leur vitalité inclassable : une exception à classer désormais aux côtés des opus de Leclair, Rameau, Mondonville… Entretien exclusif pour classiquenews.com

 

 

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CD. Suites Anglaises de JS BACH : PAOLO ZANZU Ă©claire l’invention d’un Bach expĂ©rimental

zanzu-paolo-clavecin-suites-anglaises-de-js-BACH-cd-critique-evenement-CLIC-classiquenews-avril-2020-musica-fictaCD Ă©vĂ©nement, critique. JS BACH : Suites anglaises (BWV 806 Ă  811). PAOLO ZANZU, clavecin (1 cd Musica ficta) – Voici un rĂ©jouissant programme portĂ© de mains de maĂ®tre par le claveciniste Paolo Zanzu, tempĂ©rament dĂ©sormais incontournable de la scène baroque actuelle. Ex assistant de Bill Christie et de Gardiner, ayant fondĂ© son propre ensemble depuis 2017, Le Stagioni (Les Saisons), le chef et claveciniste confirme un rare talent pour la caractĂ©risation lumineuse, surtout claire et ciselĂ©e. Une attention active et nuancĂ©e qui assure la rĂ©ussite de ce nouvel album dĂ©diĂ© aux Suites « anglaises » de JS Bach.

 

Claveciniste, fondateur de l’ensemble Le Stagioni

Paolo Zanzu célèbre la liberté et l’invention
des Suites anglaises de JS BACH

 
 
 

paolo-zanzu-suites-anglaises-jean-sebastien-bach-cd-portrait-UNE-582La Sarabande (4) est d’un caractère plus noble, large et majestueux oĂą le jeu trouve des respirations et des notes dĂ©tachĂ©es / pointĂ©es comme suspendues. L’agilitĂ© bienheureuse des deux BourrĂ©es I et II (5) affirme par contraste une rusticitĂ© radieuse qui met en avant les qualitĂ©s d’articulation du clavecin, Ă©tonnant de prĂ©cision et d’intensitĂ© expressive. La sobriĂ©tĂ© rayonnante dont fait preuve Paolo Zanzu captive d’autant que le contrepoint qu’exige cette bourrĂ©e en 3 volets est un exercice de haute virtuositĂ© digitale. Ce qu’exalte encore davantage comme un point d’accomplissement majeur, le final en forme de Gigue (6), d’une palpitante activitĂ©. DĂ©lectable, le jeu entre les danses, lesquelles sont abordĂ©es diffĂ©remment selon les Suites, chacune ayant son terrain d’expression privilĂ©giĂ© : BourrĂ©es (3 volets pour les Suites 1 et 2 / Gavottes de mĂŞme pour la 3 ou la 6 ; Passepieds de la n°5) ; le claveciniste expose, articule, superpose pour un final des plus « explosifs », … LIRE notre critique complète Suites Anglaises de JS BACH par Paolo Zanzu, clavecin (1 cd Musica Ficta)

 
 
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ENTRETIEN EXCLUSIF... LIRE aussi notre entretien avec Paolo Zanzu, Ă  propos des Suites Anglaises de JS BACH : ici

 
 
 
 

CD événement, critique. JS BACH : Suites anglaises (BWV 806 à 811). PAOLO ZANZU, clavecin (1 cd Musica ficta)

zanzu-paolo-clavecin-suites-anglaises-de-js-BACH-cd-critique-evenement-CLIC-classiquenews-avril-2020-musica-fictaCD Ă©vĂ©nement, critique. JS BACH : Suites anglaises (BWV 806 Ă  811). PAOLO ZANZU, clavecin (1 cd Musica ficta) – Voici un rĂ©jouissant programme portĂ© de mains de maĂ®tre par le claveciniste Paolo Zanzu, tempĂ©rament dĂ©sormais incontournable de la scène baroque actuelle. Ex assistant de Bill Christie et de Gardiner, ayant fondĂ© son propre ensemble depuis 2017, Le Stagioni (Les Saisons), le chef et claveciniste confirme un rare talent pour la caractĂ©risation lumineuse, surtout claire et ciselĂ©e. Une attention active et nuancĂ©e qui assure la rĂ©ussite de ce nouvel album dĂ©diĂ© aux Suites « anglaises » de JS Bach.

Paolo Zanzu aborde l’écriture éclectique d’un Bach très habile à échafauder mille architectures sur le clavier ; il en ressort l’intelligence et l’imagination de Bach alors au travail à Köthen vers 1720, destinant probablement les pièces à un possible patron anglais (d’où leur titre) : l’interprète montre combien Bach est inspiré par les suites du français Dieupart, auxquelles il joint une ouverture italienne en guise de « prélude »… D’ailleurs, le jeu du claviériste indique l’ampleur de chaque Prélude, véritable mouvement de concerto, évoquant même le dialogue soliste / orchestre, avec une durée croissante, de la Suite n°1 à la dernière (n°6). Celle ci d’une ambition remarquable, agit même comme un mouvement autonome, d’une maturité méditative extrême qui fait penser à la fantaisie en ré mineur de Mozart (K397).

Distinguons d’emblĂ©e la Suite 1 BWV 806, pour restituer chaque cycle formant une « Suite » : le PrĂ©lude (1) est atemporel hors temps hors enjeu dramatique, d’un Ă©quilibre souverain (il est appelĂ© dans les Suites n°5, – abstraite ; surtout n°6 – dĂ©passant les 7 mn -, Ă  un dĂ©veloppement en effet remarquable). Puis l’Allemande (2) toujours de la n°1 est jouĂ©e dĂ©terminĂ©e, droite, d’un allant irrĂ©pressible ; la profondeur un rien mĂ©lancolique allant en s’accentuant Ă  mesure que l’on progresse Ă  travers les 6 Suites.
La Courante (3) d’une nostalgie dansante, affirme un caractère plus intérieur qui est davantage développé dans la suite logique « Courante II et 2 doubles » où l’interprète fait chanter l’instrument avec une éloquence rhétorique jamais sèche, d’un rebond galbé idéal.

  
 

Claveciniste, fondateur de l’ensemble Le Stagioni

Paolo Zanzu célèbre la liberté et l’invention
des Suites anglaises de JS BACH

  
 

paolo-zanzu-suites-anglaises-jean-sebastien-bach-cd-portrait-UNE-582La Sarabande (4) est d’un caractère plus noble, large et majestueux où le jeu trouve des respirations et des notes détachées / pointées comme suspendues. L’agilité bienheureuse des deux Bourrées I et II (5) affirme par contraste une rusticité radieuse qui met en avant les qualités d’articulation du clavecin, étonnant de précision et d’intensité expressive. La sobriété rayonnante dont fait preuve Paolo Zanzu captive d’autant que le contrepoint qu’exige cette bourrée en 3 volets est un exercice de haute virtuosité digitale. Ce qu’exalte encore davantage comme un point d’accomplissement majeur, le final en forme de Gigue (6), d’une palpitante activité.

Délectable, le jeu entre les danses, lesquelles sont abordées différemment selon les Suites, chacune ayant son terrain d’expression privilégié : Bourrées (3 volets pour les Suites 1 et 2 / Gavottes de même pour la 3 ou la 6 ; Passepieds de la n°5) ; le claveciniste expose, articule, superpose pour un final des plus « explosifs », soit une gigue qui est énergie et électrisation pure, revendication et proclamation du compositeur pour la suprématie expressive et poétique de son art (voir la Gigue finale conçue comme une apothéose de la Suite n°2). Tandis que la dernière Gigue (n°6) semble traversée par un souffle et une urgence inexorable, parcourus eux-mêmes d’éclairs et de déflagrations chtoniens, une sorte de tremblement de terre purement musical dont l’excellent Paolo Zanzu rétablit la puissance et l’assise rythmique comme le chant et l’ivresse infinis.
Les mouvements plus introspectifs (Allemande puis Sarabande) permettent de superbes méditations, distinctes de la course revendiquée dans les passages plus vifs (Bourrées, Gavottes, Passepieds…). Ainsi l’éloquence sobre et murmurée, presque grave de l’Allemande de la n°3 qui dit un adieu, tout en finesse et pudeur.

Par contraste, le dessin très ciselé des Gavottes en triptyque de la même n°3 affirme une superbe précision dans le contrepoint qu’enrichit la sonorité tout en rondeur du clavecin choisi : clavecin allemand par Anthony Sidey et Frédéric Bal à Paris (1995), d’après un clavier historique de l’école de Gottfried Silbermann, ca. 1735.

On y saisit ainsi l’urgence d’une danse aux profonds enjeux, presque grave elle aussi, aux résonances secrètes (La Musette) ; dont le flux continu expose tous les tenants et aboutissants d’une situation irrépressible et les résout aussi, dans le même temps, en un jeu étonnamment clair et précis (superbe architecture de la Gigue finale de la 3). Le jeu des distanciation ou des temps en écho, comme deux plans distincts (rapproché / lointain), se lit admirablement dans le déroulement des énergiques Passepieds de la n°5.

CLIC D'OR macaron 200La clarté rhétorique du jeu de Paolo Zanzu renforce le sentiment de profonde cohérence organique à travers chaque Suite, et d’une Suite à l’autre, et dans la totalité des 6 Suites ; c’est un cheminement tonal global qui suit « l’hexacorde descendant (la majeur, la mineur, sol mineur, fa majeur, mi mineur, ré mineur), retraçant la mélodie du choral Jesu meine Freude » … schéma « secret » élucidé dans la passionnante notice écrite par le claveciniste. Le point d’orgue est réalisé aussi à travers l’évolution des Gigues qui concluent chacune chaque Suite : la dernière, n°6, atteint un très haut degré de virtuosité débridée, « véritable «Trille du diable» clavecinistique » comme le précise très justement Paolo Zanzu.
Voilà longtemps que le clavier de Bach n’avait pas sonné si chantant, à la fois virtuose, impérieux, débordant d’énergie et d’imagination ; de clarté et de précision. Magistrale compréhension d’un Bach polymorphe qui ose, se régénère, expérimente. CLIC de CLASSIQUENEWS d’avril et mai 2020.

 
 

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CD, Ă©vĂ©nement. JS BACH : Suites anglaises n°1 Ă  6 BWV 806-811 / Paolo ZANZU, clavecin – Enregistrement rĂ©alisĂ© en 2017 et 2018 – 2 cd Musica Ficta – 2h10mn. CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2020.

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Entretien avec Paolo Zanzu

  
 
 

paolo-zanzu-suites-anglaises-jean-sebastien-bach-cd-portrait-UNE-582ENTRETIEN avec Paolo ZANZU à propos des Suites Anglaises de JS BACH. Pour son nouvel album édité par Musica Ficta, Paolo Zanzu interroge la liberté inventive, l’ambition des 6 Suites Anglaises de JS Bach. La sobriété rayonnante dont fait preuve Paolo Zanzu, son souci de l’équilibre et de la clarté fait toute la valeur d’une lecture solaire qui captive par sa grande finesse d’articulation. Entretien exclusif avec le jeune claveciniste, fondateur de son propre ensemble Le Stagioni (depuis 2017).

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Pour quelle raison avoir choisi d’enregistrer les Suites Anglaises de JS BACH ?

Les Suites anglaises étaient en partie déjà dans mon répertoire depuis l’adolescence, ce sont des morceaux dont je suis familier depuis longtemps. C’est aussi mon préféré des trois grands recueils de suites que Bach a écrits. En outre, la virtuosité, très présente dans ces pièces, est un défi que j’aime relever.

 
 

Dans la réalisation, quels sont les points à soigner en particulier : la vocalité, la clarté du contrepoint, leur caractère expérimental… ?

Plusieurs aspects des Suites anglaises demandent une attention particulière, en premier lieu leurs dimensions. Ces suites sont plus longues et plus articulées que les Suites françaises et les Partitas. Chacune est introduite par un prélude très développé et souvent très long (le dernier approchant des huit minutes), construit comme un premier mouvement de concerto, dans une alternance de solos et de tutti orchestraux.
Ensuite, chaque morceau de la suite a son caractère propre, mais on peut identifier des caractéristiques communes. Les allemandes, par exemple, sont très écrites, avec un flot ininterrompu de doubles croches, ce qui représente un réel défi pour l’interprète qui doit en véhiculer toute l’expressivité et la grâce, sans jamais devenir bavard. Une spontanéité qui semble naturelle, mais qui cache, comme sous un épais feuillage, un contrepoint complexe est aussi un élément constitutif de ces pièces, dans la tendresse d’une gavotte comme dans la virtuosité d’une gigue. Il faut donc préserver ce naturel, dans la complexité de sa texture contrapuntique.

 
 
Comment avez-vous choisi l’instrument et quelles sont ses qualités qui ont piloté votre choix final ?

J’ai choisi pour cet enregistrement le même instrument que pour mon disque consacré aux Suites de Haendel : une copie d’un clavecin allemand non signé, probablement de l’école de Gottfried Silbermann, des années 1730, faite par Anthony Sidey et Frédéric Bal. L’original comme la copie sont des trésors. La beauté du son, le jeu cristallin, qui permet d’entendre distinctement chaque voix même au milieu d’un riche contrepoint, la puissance, les basses à la longue résonance, les aigus qui chantent comme une voix humaine font de ce clavecin un des plus beaux instruments que je connaisse. Et, bien entendu, la provenance et la période de construction de son modèle en font aussi un instrument idéal pour ce recueil.

 
 

Savons-nous précisément dans quel cadre JS BACH les a composées puis jouées ? Ces éléments historiques vous ont-ils influencé dans la réalisation de l’enregistrement ?

On sait relativement peu de choses sur les Suites anglaises, car nous n’avons pas l’autographe de Bach et qu’il n’existe aucune édition d’époque. Il nous reste plusieurs manuscrits différents, dont les plus importants de la main de Johann Christian Bach et de Heinrich Nikolaus Gerber. Premier des trois grands recueils de suites à avoir été écrit, les Suites anglaises datent probablement des années 1720, période à laquelle Bach consacrait son génie à la composition de musique profane, à la cour de Köthen. On sait également que l’adjectif anglaises, qui n’est probablement pas le fait du compositeur, n’a du moins aucun rapport direct avec le style ou l’esthétique de ces pièces, plutôt d’inspiration italienne, française et allemande. Pour autant, je trouve toujours utile et important de connaître le contexte historique, artistique et musical d’une pièce, même si parfois cela ne nous renseigne aucunement sur la façon de la jouer.

 
 
Comment rĂ©tablir la continuitĂ© et l’unitĂ© organique de chaque suite “malgrĂ©” la succession des danses si diversifiĂ©es qui succèdent au PrĂ©lude initial ?

La suite est à l’époque baroque ce que la sonate est aux époques classique et romantique, c’est-à-dire une forme consacrée où s’exprime le génie du compositeur, illustrant l’horizon psychologique d’une génération. Ce n’est pas la seule, bien entendu, mais c’est une des principales, avec le concerto. Il va donc de soi que dans une suite, en Allemagne au XVIIIe siècle, à une allemande succède une courante, à laquelle succède une sarabande, et ainsi de suite. Ces morceaux sont intimement liés thématiquement et psychologiquement. À l’interprète revient seulement de saisir leur logique interne pour permettre à l’auditeur de mieux la percevoir.

 
 

Propos recueillis en avril 2020

 
 
  
 
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Visitez le site de Paolo Zanzu / Le Stagioni : https://www.paolozanzu.com/fr/le-stagioni

 

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Cd critique compte rendu. JS BACH : Sonate pour flûte et clavecin, Partita pour clavecin seul BWV 830 (Troffaes / Wolfs, 1 cd Paraty, 2015)

PARATY julien wolfs clavecin clic de classiquenews juillet 2016 bach_3760213650344Cd critique compte rendu. JS BACH : Sonate pour flĂ»te et clavecin, Partita pour clavecin seul BWV 830 (Troffaes / Wolfs, 1 cd Paraty, 2015). Pour l’interprète, exprimer dans le jeu certes la rhĂ©torique de l’éloquente musique, surtout la poĂ©sie du coeur et de l’esprit… Ainsi est signifiĂ© le dĂ©fi de toute partition de Jean-SĂ©bastien, qui semble de facto avoir rĂ©ussi la fusion idĂ©ale, du sentiment et de la virtuositĂ© : toucher l’âme, bercer l’esprit. Autant de caractères, Ă©lĂ©ments d’une esthĂ©tique vivante, qui s’écoulent ici, portĂ©s par la connivence des deux interprètes en tous points, convaincants. Ligne claire et sans affèterie, posĂ©e, portĂ©e, canalisĂ©e par la gestion du souffle de la flĂ»tiste Stefanie Troffaes. Discours fluide, prĂ©cis et sobre du claveciniste vĂ©ritable orfèvre de l’articulation, Julien Wolfs. On connaĂ®t bien le claviĂ©riste comme membre fondateur de lâ€extraordinaire ensemble Les Timbres, en rĂ©sidence au Festival Musique et MĂ©moire. L’hypersensibilitĂ© expressive des deux instrumentistes affirment la vitalitĂ© et la justesse du Jean-SĂ©bastien, Ă  la fois imaginatif, expĂ©rimental, suprĂŞmement Ă©lĂ©gant. De toute Ă©vidence, Julien Wolfs dĂ©fend l’approche partagĂ©e avec ses habituels partenaires des Timbres : faire parler la musique. Le Baroque est un vaste laboratoire oĂą la note ambitionne peu Ă  peu l’impact expressif du verbe. Lea fĂŞte traversière, mĂŞme si elle n’exprime pas le sentiment du compositeur, – processus romantique, sĂ©duit ici par son Ă©loquence proprement baroque : dans la diversitĂ© des accents, l’articulation des nuances… toute une intelligence dynamique qui dans le pacte discursif Ă  deux voix : flĂ»te / clavecin (BWV 1030 et 1032), affirme ce langage palpitant des partitions ici rĂ©unies (profondeur contemplative en dialogue de l’Andante du 1030).


 

Toucher le cœur, plaire à l’esprit

 

 

wolfs clavecin cd paraty js bach  flu te  presentation cd review cd critique classiquenews clic de août 2016 stefanie-troffaes-julien-wolfs

CLIC_macaron_2014Ailleurs on relève la parfaite connaissance qu’avait Bach, du rĂ©pertoire expressif classĂ© par Mathewson, servi, compris particulièrement par les interprètes : effusion venant du coeur du si mineur (1030) ; tristesse recueillie du mi mineur (1034), activitĂ© brillante du la majeur (1032)… enfin, joie irradiante conquĂ©rante irrĂ©sistible du mi majeur (1035). Innervant pour chaque pièce, ce jeu tĂ©nu, vibrant des contrastes,, un soin spĂ©cifique dans la rĂ©alisation des rĂ©pĂ©titions (toujours variĂ©es et caractĂ©risĂ©es), les interprètes Ă©clairent le gĂ©nie d’un Bach, maĂ®tre du langage musical. Sa langue est encore davantage intense et investi dans la sĂ©quence oĂą Julien Wolfs joue seul la Partita BWV 830 : la clartĂ© nerveuse du clavecin (copie B Kennedy d’après M. Mietke de 1703) apporte Ă  la succession des 7 Ă©pisodes, sa noblesse discursive d’une Ă©loquente tendresse… sa sincĂ©ritĂ© intĂ©rieure (crĂ©pitement d’une liquide ardeur de l’exceptionnelle Corrente) : parfois sombre et pudique (Sarabande), sans omettre le prĂ©lude (Toccata) qui est questionnement dĂ©passant le prĂ©texte d’une Suite de mouvements diversitĂ©s et caractĂ©risĂ©s : l’interrogation variant les sĂ©quences enchaĂ®nĂ©es, affirme peu Ă  peu une interrogation sur le sens mĂŞme de la forme musicale : en cela le souci de prĂ©cision contrapuntique, comme de sobriĂ©tĂ© expressive rendent compte du gĂ©nie d’un Bach dĂ©miurge pensant la musique comme d’un matĂ©riau vivant et organique. Le jeu tout en finesse et en sobriĂ©tĂ© du claveciniste saisit d’un bout Ă  l’autre par sa gestion de la tension, d’une lumineuse intelligence (fluiditĂ© magicienne, entre tendresse et nostalgie de l’Allemande ; acuitĂ© intĂ©riorisĂ©e du Tempo di Gavotte puis Gigue au souffle philosophique universel, sidĂ©rant). Superbe programme, emblĂ©matique de la maturitĂ© de la jeune gĂ©nĂ©ration baroqueuse actuelle. Suivez ces deux tempĂ©raments lĂ  : ils ne jouent pas ; ils vivent la musique, de l’intĂ©rieur. Leur sobriĂ©tĂ© interprĂ©tative fait la diffĂ©rence : tout pour la musique, rien que la musique. CLIC de CLASSIQUENEWS de l’étĂ© 2016.

 

 

 

Cd critique compte rendu. JS BACH : Sonate pour flĂ»te et clavecin, Partita pour clavecin seul BWV 830 (Troffaes / Wolfs, 1 cd Paraty 165142, 2015) – Parution : septembre 2016

 

 

Approfondir : reportage vidéo de la Résidence des Timbres, année 2, juillet 2015, au Festival Musique et Mémoire (Haute Saône, 70).

 

 

 

 

CD, compte rendu critique. Vertigo. Rameau, Royer. Jean Rondeau, clavecin (1 cd Erato, mai 2015)

vertigo jean rondeau cd erato critique review classiquenews fevrier 2016CD, compte rendu critique. Vertigo. Rameau, Royer. Jean Rondeau, clavecin (1 cd Erato, mai 2015). Clavecin opĂ©ratique. Le texte du livret notice accompagnant ce produit conçu comme une pĂ©rĂ©grination intĂ©rieure et surtout personnelle donne la clĂ© du drame qui s’y joue. Quelque part en zones d’illusions, c’est Ă  dire baroques, vers 1746… Jean Rondeau le claveciniste nous dit s’Ă©garer dans un fond de dĂ©cors d’opĂ©ra dont son clavecin (historique du Château d’Assas) ressuscite le charme jamais terni de la danse, “acte des mĂ©tamorphoses” (comme le prĂ©cise Paul ValĂ©ry, citĂ© dans la dite notice). Entre cauchemar (surgissement spectaculaire de Royer dans Vertigo justement) et rĂŞve (l’alanguissement si sensuel de Rameau ou le dernier renoncement du dernier morceau : L’Aimable de Royer), l’instrumentiste cisèle une sĂ©rie d’Ă©vocations, au relief dramatique multiple, contrastĂ©, parfois violent, parfois murmurĂ© qui s’efface. Rondeau ressuscite dans les textures rĂ©tablies et les accents sublimes des musiques dansantes ici sĂ©lectionnĂ©es, le profil des deux gĂ©nies nĂ©s pour l’opĂ©ra : Rameau (mort en 1764) et son “challenger” Pancrace Royer (1705-1755), Ă  la carrière fulgurante, et qui au moment du Dardanus de Rameau, livre son ZaĂŻde en 1739. Deux monstres absolus de la scène dont il concentre et synthèse l’esprit du drame dans l’ambitus de leur clavier ; car ils sont aussi excellents clavecinistes. Ainsi la boucle est refermĂ©e et le prĂ©texte lĂ©gitimĂ©. Comment se comporte le clavier Ă©prouvĂ© lorsqu’il doit exprimer le souffle et l’ampleur, la profondeur et le pathĂ©tique Ă  l’opĂ©ra ? Comme il y aura grâce Ă  Liszt (tapageur), le piano orchestre, il y eut bien (mais oui), le clavecin opĂ©ra (contrastĂ© et toujours allusif). Les matelots et Tambourins de Royer valent bien Les Sauvages de Rameau, nĂ©s avant l’OpĂ©ra ballet que l’on connaĂ®t, dès les Nouvelles Suites de Pièces de Clavecin de 1728. DĂ©jĂ  Rameau lyrique perçait sous le Rameau claveciniste. Une fusion des sensibilitĂ©s que le programme exprime avec justesse.

 

 

 

Rameau, Royer, Rondeau…

Récital personnel et hommage aussi aux génies lyriques, Royer et Rameau

Jean Rondeau : “le clavecin opĂ©ra”

 

 

 

CLIC_macaron_2014Au final, la rĂ©vĂ©lation de ce disque demeure la pièce Vertigo et en gĂ©nĂ©ral, l’Ă©criture ainsi rĂ©vĂ©lĂ©e, investie du compositeur Pancrace Royer (gĂ©nie disparu en 1755) superbe par sa verve, son panache, une Ă©lĂ©gance puissamment charpentĂ©e qui convoquant  l’opĂ©ra suscite des torrents de dĂ©lires dramatiques avec des failles dans l’intime murmurĂ© qui sculpte de sublime vertiges dramatiques, dignes des machineries spectaculaires sur la scène.
L’imaginaire de Royer se dĂ©voile : course furieuse, ou tempĂŞte invraisemblable aux vagues et cascades et autres dĂ©ferlantes d’une irrĂ©sistible ampleur … un tempĂ©rament inĂ©dit voire inouĂŻ, comme le Rameau d’Hippolyte en 1733.
D’abord lent puis comme endolori, le jeu de Rondeau s’Ă©vĂ©ille aux Ă©vocations convoquĂ©es ; puis le claviĂ©riste cisèle amoureusement son clavier ; et remodèle avec un tempĂ©rament expressif, la carrure originellement lyrique des sĂ©ries de pièces choisies en un jeu allusif, plutĂ´t rĂ©jouissant.
Massif par sa sĂ»retĂ© d’intonation et tout autant d’une belle finesse et d’une sobre Ă©coute  intĂ©rieure, le talent de Royer subjugue Ă  mesure qu’il s’Ă©coule sous des doigts aussi enivrĂ©s;  l’approche se fait pudique ensuite pour La Zaide ; l’imagination du claveciniste sĂ©duit irrĂ©sistiblement par une sensibilitĂ© qui se fait mĂ©canique de prĂ©cision  (jeu simultanĂ© aux deux mains dans la mĂŞme Zaide, plage 9 qui dĂ©roule ses guirlandes exaltĂ©es, intĂ©rieures… et tendres).

Ainsi, sujet du prĂ©sent programme, comme il y aura grâce Ă  Liszt Ă  l’âge romantique le piano orchestre qui par le feu synthĂ©tique dramatique de son jeu conteur exprime le gĂ©nie wagnĂ©rien par la transcription mais sans jamais le rĂ©duire, Jean rondeau dans Vertigo entend ouvrir notre conscience Ă  la verve magicienne du “clavecin opĂ©ra” : de Royer Ă  Rameau, c’est tout un univers poĂ©tique et une esthĂ©tique sonore qui se nourrit du seul jeu du clavier des cordes pincĂ©es. De la salle lyrique et des planches, au salon et Ă  l’intimitĂ© des cordes sensibles, malgrĂ© le transfert et le passage d’un media Ă  l’autre, d’une Ă©chelle Ă  l’autre, le feu Ă©vocateur n’a pas Ă©tĂ© sacrifiĂ©.
Formidable conteur, le claveciniste parisien exprime au-delĂ  de la technicitĂ© virtuose du toucher et l’agilitĂ© des mains d’une finesse que bien des pianistes pourraient reprendre pour mieux inspirer leur geste propre, toute l’admirable sensibilitĂ© des consciences musicales capables de dire sans forcer, la destinĂ©e humaine dans l’ambition du seul clavier : l’inoubliable repli tĂ©nu, secret, comme blotti, et le renoncement du dernier Royer (L’Aimable,  1er Livre de 1746) ne cesse de nous l’affirmer avec la grâce d’une inspiration juste et magicienne. En confrontant (immanquablement) les deux “R” du XVIIIè (Rameau / Royer), l’approche sĂ©duit par son originalitĂ© ; convainc par la sĂ»retĂ© du jeu, l’assise de ses convictions artistiques. C’est un très bon rĂ©cital, l’acte et la dĂ©claration d’amour d’un musicien volontaire Ă  son propre instrument. On ne saurait y demeurer insensible. Donc CLIC de CLASSIQUENEWS en fĂ©vrier et mars 2016.

 

 

 

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CD, compte rendu critique. Vertigo. Rameau, Royer. Jean Rondeau, clavecin (1 cd Erato, mai 2015)

 

 

 

Vitalité concertante : Nevermind à Saintes

rondeau-jean-clavecin-poitiers-tap-classiquenewsSaintes. Concert Nevermind. Mercredi 10 fĂ©vrier 2016. C’est un nouvel ensemble Ă  quatre voix Ă©gales qui sait dĂ©ployer une pĂ©tulante vitalitĂ© sur instruments d’Ă©poque : flĂ»te ou plutĂ´t traverso, violon, clavecin et viole de gambe. Le programme de ce 10 fĂ©vrier est le prolongement finalisĂ© et abouti d’une rĂ©sidence de près de 4 jours, dans l’Ă©crin inspirant de l’Abbaye aux Dames de Saintes. Comme l’ensemble de voix de femmes De Caelis – en rĂ©sidence en 2015 pour l’enregistrement de leur programme en crĂ©ation dĂ©diĂ© Ă  Hildegard von Bigen : VOIR notre reportage vidĂ©o sur le travail de De Caelis Ă  Saintes en 2014 avec Zad Moultaka, “Jardin clos” puis Gemme en 2014), les quatre instrumentistes de Nevermind explorent Ă  Saintes en 2016, de nouveaux champs musicaux : un Baroque revivifiĂ© au diapason de l’Ă©nergie collective. Sur instruments anciens, les 4 tempĂ©raments innovent, surprennent, osent par un jeu concertĂ©, concertant, virtuose et profond d’une indiscutable clartĂ© expressive qui rend chaque interprĂ©tation captivante, par la prĂ©cision rythmique et le souci de l’Ă©coute partagĂ©e. De la fougue, une sensibilitĂ© ciselĂ©e, partagĂ©e par des partenaires complices qui cultivent le respect mutuel, le rebond, dans l’esprit si dĂ©licat d’une conversation musicale… Au programme quelques joyaux baroques français du Grand Siècle (Marais) et du XVIIIè (Couperin et Rameau), mis en regard avec deux monstres sacrĂ©s du XVIIIè germanique, JS Bach et Telemann…

 

 

 

boutonreservationEnsemble Nevermind
Programme : Marais, Couperin, Rameau, Bach, Telemann (extraits des Quatuors Parisiens)
Mercredi 10 février 2016, 20h30
Saintes, Auditorium de l’Abbaye

Anna Besson, traverso
Louis Creac’h, violon
Robin Gabriel Pharo, viole de gambe
Jean Rondeau, clavecin

 

 

CONVERSATION MUSICALE A QUATRE VOIX. Evolutive, souvent surprenante, l’Ă©criture instrumentale Ă  l’âge Baroque est l’une des plus inventives. Jean Rondeau et ses complices interrogent toutes les possibilitĂ©s expressives du cadre concertant oĂą 3 instruments solistes jouent de concert sur un continuo des plus subtiles. L’ensemble Nevermind met en lumière la partie Ă©clatante et continue de la basse continue (continuo), assurĂ©e par le clavecin et la viole entre autres, qui sait nuancer sa partie lorsqu’il faut par exemple mettre en lumière les instruments concertants, comme c’est le cas de la Suite en trio n°5 en mi mineur de Marin Marais ou dans La PiĂ©montoise, tirĂ©e du recueil Les Nations de François Couperin. Souple, agile, le continuo dĂ©ploie un subtil tapis sonore sans couvrir les instruments solistes.
Plus dĂ©concertant encore, la place que Rameau sait dĂ©dier au clavecin dès lors moins instrument du continuo que soliste de premier plan ; ainsi dans ses Pièces pour clavecin en concerts, le clavecin est l’instrument central autour duquel s’organise la conversation musicale. Le compositeur n’hĂ©site pas Ă  dĂ©fier la virtuositĂ© du soliste : un main assure la basse continue pendant que l’autre dĂ©fend la partie concertante et soliste, dialoguant avec les autres instruments. Un dĂ©fi pour l’interprète.
Jean-SĂ©bastien Bach innove encore en associant deux flĂ»tes, ou en dĂ©diant sa partition uniquement Ă  la viole ou au clavecin (Sonate in sol majeur BWV 1039). Mais l’un des plus grands gĂ©nies europĂ©ens de l’Ă©poque baroque, Telemann – plus cĂ©lèbre encore de son vivant que Bach, publie Ă  Paris, ses fameux Quatuors Parisiens dont la formation reste constante, et lĂ  encore, sujet de dĂ©fis concertants permanents : flĂ»te, violon, viole et clavecin…

Article actualisé le 13 février 2016 : le jeune ensemble Nevermind à Saintes.

L’ensemble Nevermind Ă  Saintes

rondeau-jean-clavecin-poitiers-tap-classiquenewsSaintes. Concert Nevermind. Mercredi 10 fĂ©vrier 2016. C’est un nouvel ensemble Ă  quatre voix Ă©gales qui sait dĂ©ployer une pĂ©tulante vitalitĂ© sur instruments d’Ă©poque : flĂ»te ou plutĂ´t traverso, violon, clavecin et viole de gambe. Le programme de ce 10 fĂ©vrier est le prolongement finalisĂ© et abouti d’une rĂ©sidence de près de 4 jours, dans l’Ă©crin inspirant de l’Abbaye aux Dames de Saintes. Comme l’ensemble de voix de femmes De Caelis – en rĂ©sidence en 2015 pour l’enregistrement de leur programme en crĂ©ation dĂ©diĂ© Ă  Hildegard von Bigen : VOIR notre reportage vidĂ©o sur le travail de De Caelis Ă  Saintes en 2014 avec Zad Moultaka, “Jardin clos” puis Gemme en 2014), les quatre instrumentistes de Nevermind explorent Ă  Saintes en 2016, de nouveaux champs musicaux : un Baroque revivifiĂ© au diapason de l’Ă©nergie collective. Sur instruments anciens, les 4 tempĂ©raments innovent, surprennent, osent par un jeu concertĂ©, concertant, virtuose et profond d’une indiscutable clartĂ© expressive qui rend chaque interprĂ©tation captivante, par la prĂ©cision rythmique et le souci de l’Ă©coute partagĂ©e. De la fougue, une sensibilitĂ© ciselĂ©e, partagĂ©e par des partenaires complices qui cultivent le respect mutuel, le rebond, dans l’esprit si dĂ©licat d’une conversation musicale… Au programme quelques joyaux baroques français du Grand Siècle (Marais) et du XVIIIè (Couperin et Rameau), mis en regard avec deux monstres sacrĂ©s du XVIIIè germanique, JS Bach et Telemann…

 

 

 

boutonreservationEnsemble Nevermind
Programme : Marais, Couperin, Rameau, Bach, Telemann (extraits des Quatuors Parisiens)
Mercredi 10 février 2016, 20h30
Saintes, Auditorium de l’Abbaye

Anna Besson, traverso
Louis Creac’h, violon
Robin Gabriel Pharo, viole de gambe
Jean Rondeau, clavecin

 

 

CONVERSATION MUSICALE A QUATRE VOIX. Evolutive, souvent surprenante, l’Ă©criture instrumentale Ă  l’âge Baroque est l’une des plus inventives. Jean Rondeau et ses complices interrogent toutes les possibilitĂ©s expressives du cadre concertant oĂą 3 instruments solistes jouent de concert sur un continuo des plus subtiles. L’ensemble Nevermind met en lumière la partie Ă©clatante et continue de la basse continue (continuo), assurĂ©e par le clavecin et la viole entre autres, qui sait nuancer sa partie lorsqu’il faut par exemple mettre en lumière les instruments concertants, comme c’est le cas de la Suite en trio n°5 en mi mineur de Marin Marais ou dans La PiĂ©montoise, tirĂ©e du recueil Les Nations de François Couperin. Souple, agile, le continuo dĂ©ploie un subtil tapis sonore sans couvrir les instruments solistes.
Plus dĂ©concertant encore, la place que Rameau sait dĂ©dier au clavecin dès lors moins instrument du continuo que soliste de premier plan ; ainsi dans ses Pièces pour clavecin en concerts, le clavecin est l’instrument central autour duquel s’organise la conversation musicale. Le compositeur n’hĂ©site pas Ă  dĂ©fier la virtuositĂ© du soliste : un main assure la basse continue pendant que l’autre dĂ©fend la partie concertante et soliste, dialoguant avec les autres instruments. Un dĂ©fi pour l’interprète.
Jean-SĂ©bastien Bach innove encore en associant deux flĂ»tes, ou en dĂ©diant sa partition uniquement Ă  la viole ou au clavecin (Sonate in sol majeur BWV 1039). Mais l’un des plus grands gĂ©nies europĂ©ens de l’Ă©poque baroque, Telemann – plus cĂ©lèbre encore de son vivant que Bach, publie Ă  Paris, ses fameux Quatuors Parisiens dont la formation reste constante, et lĂ  encore, sujet de dĂ©fis concertants permanents : flĂ»te, violon, viole et clavecin…

Article actualisé le 13 février 2016 : le jeune ensemble Nevermind à Saintes.

Compte rendu, concert. Saintes. Abbaye aux dames, le 14 juillet 2015. Bach, Rameau, Royer. Jean Rondeau, clavecin.

Après une Ă©dition 2014 exceptionnelle, tant par la qualitĂ© des concerts proposĂ©s que par la frĂ©quentation, le festival de Saintes revient en force pour son Ă©dition 2015 avec des artistes Ă  fort tempĂ©rament, dans un style bien diffĂ©rent de l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente. Parmi ces artistes, le jeune claveciniste Jean Rondeau rĂ©cemment primĂ© aux Victoires de la musique 2015 (rĂ©vĂ©lation instrumentale). Le style du jeune homme dĂ©montre qu’il maitrise son instrument avec une maestria digne des plus grands clavecinistes actuellement en activitĂ©.


Jean Rondeau : génie du clavier au festival de Saintes

Le double jeu de Jean Rondeau, entre Bach et jazz

rondeau jean clavecin siantes 2015Pour ce concert, Jean Rondeau reprend le programme de son premier CD consacrĂ© Ă  Johann Sebastian Bach (1685-1750) : « Imagine ». Si plusieurs des oeuvres du concert ont Ă©tĂ© composĂ©es pour clavier, tels les deux prĂ©ludes et fugue en la mineur BWV 894 et BWV 895 ou le concerto dans le goĂ»t italien BWV 971, remarquable marathon pour clavecin, interprĂ©tĂ©s avec goĂ»t et sensibilitĂ©, d’autres ont Ă©tĂ© transcrites pour clavier. Ainsi, Jean Rondeau s’attaque avec brio Ă  la Suite en do mineur BWV 997; d’abord composĂ©e pour luth, cette suite a ensuite Ă©tĂ© transcrite pour clavier. Également transcrite pour clavecin, la chaconne tirĂ©e de la partita pour violon seul n°2 en rĂ© mineur BWV 1004; lĂ  encore, le jeune claveciniste comprend le caractère dansant de la pièce, il en dĂ©voile l’énergie rythmique avec une flexibilitĂ© digitale enivrante. Pendant tout le concert, son professionnalisme (concentration et dĂ©tente), sa maĂ®trise sĂ©duisent le public venu nombreux : l’attrait du phĂ©nomène actuel du clavier produit ses effets. Le public est ravi et lui rĂ©serve un accueil chaleureux. Jean Rondeau concède d’ailleurs deux bis ; le premier est tirĂ© de l’oeuvre de Jean Philippe Rameau (1683-1764) : Tendres plaisirs ; le second est une oeuvre de Pancrace Royer (vers 1705-1755) : Marche des scythes.

Si Jean Rondeau est un claveciniste hors pair, il est Ă©galement excellent pianiste. ConviĂ© Ă  donner un concert de jazz avec son groupe Note Forget, composĂ© du saxo Virgile Lefebvre, du batteur SĂ©bastien Grenat et du contrebassiste Erwan Ricordeau, le claviĂ©riste joue pendant plus d’une heure après le concert de 19h30, Ă©galement consacrĂ© Ă  Bach et dont nous rendons compte dans un autre article. Après avoir rendu hommage Ă  deux des plus grands jazzmen du XXe siècle, ThĂ©lonious Monk et Herbie Hancock, le quatuor se lance dans un show jazzy en jouant les compositions de ses membres devant un public toujours aussi nombreux et sĂ©duit par l’Ă©clectisme du claviĂ©riste, hors norme, polyvalent, d’une facilitĂ© Ă©tonnante d’un rĂ©pertoire l’autre. Et d’ailleurs de nombreuses personnes sont allĂ©es saluer Jean Rondeau et ses musiciens pour le fĂ©liciter et le remercier de leur avoir donnĂ© un si bel Ă©chantillon de son talent.

Dans deux styles très diffĂ©rents, voire radicalement opposĂ©s, Jean Rondeau a sĂ©duit un public nombreux qui s’est littĂ©ralement arrachĂ© son CD Bach “Imagine”. Saluons l’Abbaye aux Dames d’avoir eu l’excellente idĂ©e d’accueillir le jeune claveciniste qui sera en rĂ©sidence Ă  compter de la saison 2015/2016. Souhaitons Ă  l’artiste et Ă  ses deux ensembles, Note forget (de tendance jazzy) et NeverMind (ensemble de musique baroque) la plus belle des carrières ; carrière qui s’annonce d’ailleurs sous les meilleurs auspices.

Saintes. Abbaye aux dames, le 14 juillet 2015. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Prélude et fugue en la mineur BWV 895, Prélude et fugue en la mineur BWV 894, Fantaisie et fugue inachevée en do mineur BWV 906, Suite en do mineur BWV 997, Chaconne de la partita pour violon seul N°2 en ré mineur BWV 1004, concerto dans le goût italien BWV 971; Jean Philippe Rameau (1683-1764) : Tendres Plaisirs (bis N°1); Pancrace Royer (vers 1705-1755) : Marche des scythes (bis N°2) . Jean Rondeau, clavecin.

CD. Mahan Esfahani (JS Bach, Reich, Gorecki, Scarlatti, Geminiani – 1 cd ARCHIV 2014)

CD critique.  Mahan Esfahani (JS Bach, Reich, Gorecki, Scarlatti, Geminiani – 1 cd ARCHIV 2014) . Voici un premier cd chez Archiv qui se prĂ©sente comme une carte de visite dĂ©montrant les riches capacitĂ©s du claviĂ©riste iranien Mahan Esfahani. C’est aussi un programme habilement conçu qui sous couvert de son Ă©clectisme (passant du XVIIè au XXè) dĂ©clinant le thème de La Follia, souligne nos propres dĂ©règlements contemporains.

esfahani mahan present time and time past scarlatti js bach gorecki reich archiv comptre rendu critique cd classiquenews CLIC de juin 2015La Follia d’Alessandro Scarlatti est un flamboiement digital tout en crĂ©pitements, un dĂ©fi formel qui s’arrĂŞte presque a brupto (et qui rend la transition avec le Concerto de Gorecki un rien raide). DatĂ© de 1980, la partition de GĂłrecki semble cantonner l’instrument baroque Ă  une sĂ©rie de variations rĂ©pĂ©titives qui exploite peu sa riche palette sonore contrastĂ©e. C’est pour mieux souligner dans l’Allegro initial, l’impression d’enfermement et d’intense frustration impuissante qui dans cette limitation consciente du spectre musical exprime la misère humaine contemporaine. MĂ©canique joyeuse puis dĂ©rĂ©glĂ©e jusqu’Ă  la folie (Ă©cho du Scarlatti initial ?), le second Ă©pisode Vivace traduit les mĂŞmes spasmes et convulsions modernes : celle de nos sociĂ©tĂ©s qui tournent en rond jusqu’Ă … l’autodestruction (martèlement Ă©reintĂ© dĂ©shumanisĂ©).

 

Archiv dévoile le tempérament réfléchi du claveciniste iranien Mahan Esfahani

La Follia revisitée : chaos et ordre

CLIC_macaron_2014Quelle bonne idĂ©e alors d’entonner la variation du prodige de Hambourg au XVIIIè (après Telemann), Carl Philip Emanuel Bach. Ses 12 variations d’après Les Folies d’Espagne mettent Ă  distance critique et ludique l’un des thèmes les plus jouĂ©s du XVIIIè avec cette facĂ©tie brillante et facĂ©tieuse propre au fils Bach, alors tout emprunt d’une dĂ©licieuse humeur fantaisiste et toujours Ă©lĂ©gantissime (le vrai prĂ©curseur de Haydn) : la digitalitĂ© aĂ©rienne de Mahan Esfahani relève tous les dĂ©fis de cette partition dĂ©lirante (y compris au jeu luthĂ©), comme La Follia de Scarlatti.

Moins connu le Concerto de Geminiani, reprend lui aussi les cabrures dansantes du thème central du programme, ajustant le thème de La Follia Ă  un effectif plus ambitieux, concertant donc, concertino ciselĂ© et solistisant, et ripieno des tutti, alternĂ©s : toute l’onctuositĂ© affĂ»tĂ©e du Concerto Köln imprime un geste qui sait ĂŞtre Ă  la fois caractĂ©risĂ© et flexible, d’oĂą jaillit comme une diaprure complĂ©mentaire, le jeu toute en intelligence du claveciniste. Ce sont 11mn de haute virtuositĂ© portĂ©es par un collectif cohĂ©rent, impĂ©tueux, d’une humeur chorĂ©graphique et nostalgique dĂ©lectable.

Esfahani-mahan-clavecin-time-present-and-time-past-archiv-cd-critiqueL’horreur du vide qui transparaĂ®t dans Piano Phase pour deux claviers de Steve Reich (1967), Ă  l’origine pour deux pianos, dĂ©porte le curseur expĂ©rimental non plus sur la sonoritĂ© mais le rythme et la durĂ©e des notes. RĂ©pĂ©tition certes mais sur des tempi diffĂ©rents accelerando, deccelerando, soit presque 17 mn d’un tissu sonore ininterrompu qui Ă  l’Ă©coute joue sur l’effet de dilatation temporelle. Pour autant, l’instrument choisi et transposĂ© par Esfahani est-il bien reclus Ă  un rĂ´le strictement mĂ©canique ? Pas si sĂ»r, tant le timbre mĂŞme de la corde pincĂ©e souligne/surligne la prĂ©cision des rythmes flottants ou alĂ©atoires de la pièce. La cadence obsessionnelle exprime elle aussi l’emportement et l’expressionnisme du thème axial de la Folie. C’est donc avec une force et une puissance inouĂŻes, celui de la clartĂ© et de l’organisation olympienne que s’affirme en fin de parcours, l’Ă©blouissant et magistral Concerto pour clavecin de JS Bach (BWV 1052, avec cadence de Brahms)) : Ă©videmment, le Concerto Köln, badin, prĂ©cis, mordant, flexible lĂ  aussi excelle dans un rĂ©pertoire qu’il maĂ®trise intuitivement. Comme une rĂ©ponse Ă  tout ce qui prĂ©cède, surtension mĂ©canique, dĂ©règlements rĂ©pĂ©titifs, chaos, – le lumineux et souverain ordre dĂ©fendu par Bach le père s’affirme sous les doigts experts et tout en complicitĂ© avec ses confrères instrumentistes tel un baume salvateur. On s’incline devant l’intelligence du programme et l’assurance du tempĂ©rament de Mahan Esfahani, son regard reconstruit, original sur l’instrument. Dans une pĂ©riode oĂą règnent le superficiel et la culture jettable, les programmes aussi parfaitement ficelĂ©s et mĂ»ris, captivent, enchantent, convainquent.

CD. Mahan Esfahani : Time present and time past, La Follia. A. Scarlatti, Gorecki, Geminiani, Reich, JS et CPE Bach (Concerto pour clavecin BWV 1052). Mahan Esfahani, clavecin (Burkhard Zander, 2012 ; Detmar Hungerberg, 2010 pour le Scarlatti). Concerto Köln. Enregistrement réalisé à Cologne (Allemagne) en septembre 2014. Durée : 1h13. 1 cd ARCHIV 0289 479 4481 2

AGENDA

Mahan Esfahani est en concert en France au Festival de SablĂ© 2015 : Variations Goldberg de JS Bach, jeudi 27 aoĂ»t 2015, 14h30 (Ă©glise Saint-Pierre, Le Bailleul – durĂ©e : 1h20mn) sur clavecin Ă  deux claviers (Marc Ducornet, 1995 d’après Ruckers, 1624).

LIRE aussi le clavecin enchanté de Bruno Procopio. Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) : Sonates Wurtembergeoises Wq 49 (1 cd Paraty, 2014), CLIC de classiquenews de février 2015.

Compte rendu, récital. Paris. Hôtel Dosne-Thiers, le 5 mars 2015. Thomas Enhco, pianiste jazz. Mahan Esfahani, claveciniste.

PARIS, soirĂ©e de prĂ©sentation de deux jeunes artistes Ă  l’HĂ´tel Dosne-Thiers, avec des sorties de disques imminentes. Il s’agĂ®t du jeune pianiste Jazz Thomas Enhco et du claveciniste Iranien-AmĂ©ricain Mahan Esfahani. Le beau cadre du XIXe siècle est donc amĂ©nagĂ© pour deux rĂ©citals de prĂ©sentation, intimes et dĂ©contractĂ©s.

De l’ancien au nouveau

Mahan-Esfahani_marco-borggreve_03Le jeune claveciniste Mahan Esfahani ouvre la soirĂ©e avec un rĂ©cital mĂ©langeant tradition et modernitĂ©. Dans son discours initial, il partage avec les auditeurs la passion qu’il a vers pour son instrument et son dĂ©sir de le rendre accessible Ă  un public grand et diversifiĂ©, ainsi qu’Ă  la musique contemporaine, par le biais des arrangements qu’il fait lui-mĂŞme, entre autres. Son futur album Ă©ditĂ© par ARCHIV Produktion « Time Present and Time Past », dont la sortie française est le 11 mai 2015, prĂ©sente un Ă©ventail de morceaux pour clavecin solo (y compris des arrangements) et avec le fabuleux orchestre de chambre baroque Concerto Köln, allant d’Alessandro Scarlatti jusqu’Ă  Steve Reich. Pour attiser l’Ă©coute, le jeune artiste joue du Takemitsu, mĂ©ditatif mais confondant, la Suite Anglaise de Bach, pièce de bravoure technique et Ă©motionnelle, pourtant sans prĂ©tentions, ainsi que la Suite en La de Rameau, oĂą il montre de façon exemplaire toute la modernitĂ©, celle du compositeur et de l’instrument. Il clĂ´t son rĂ©cital avec le chant particulier d’un Purcell et les feux d’artifices de La Follia de Scarlatti. L’auditoire le rĂ©compense vivement et nous croyons et adhĂ©rons Ă  son intention de rafraĂ®chir et Ă©largir le clavecin. A suivre absolument !

Après la science et l’humour du clavecin nous passons Ă  une autre salle pour le rĂ©cital du jeune pianiste Thomas Enhco, prĂ©sentant des extraits de son nouvel album « Feathers ». Quand il joue le morceau « Looking for the moose » dont il raconte l’inspiration sauvage, nous pensons aux spĂ©cificitĂ©s de la musique Ă  programme du XIXe siècle, peut-ĂŞtre Ă  cause de la libertĂ© fantaisiste et formelle associĂ©e. C’est la pièce qui ouvre son rĂ©cital « The last night of february » qui nous captive le plus par sa richesse harmonique et son accessibilitĂ©. Enhco fait preuve d’un charme quelque peu juvĂ©nile, non dĂ©pourvu d’une certaine mĂ©lancolie, qui s’accorde très bien avec le caractère de sa musique. Deux jeunes  artistes Ă  dĂ©couvrir !

Jean Rondeau, clavecin Ă  Saintes

Rondeau jeanSaintes. RĂ©cital Jean Rondeau, clavecin. D. Scarlatti. Le 15 juillet 2014, 13h. Clavecin mĂ©ridional. RĂ©cital de  clavecin mĂ©ridional avec son ambassadeur le plus rayonnant et virtuose: Domenico Scarlatti (1685-1757). A la fougue de son tempĂ©rament hautement napolitain dĂ©jĂ  riche en audacieuse crĂ©ativitĂ© (hĂ©ritage du père Alessandro), Domenico sait assimiler le dĂ©lire picaresque,  la flamboyante caractĂ©risation propres aux caractères de son pays d’adoption: l’Espagne. Son oeuvre et son style sont si impressionnant (550 Sonates) que les virtuoses antĂ©rieurs sont tous minimisĂ©s sauf peut ĂŞtre le père pour tous S’agissant du clavecin ibĂ©rique : Antonio Soler (1729-1783).
Telles les jalons d’une pensĂ©e musicale qui recherche et expĂ©rimente sans se fixer de limites, les Sonates de Domenico outrepassent les règles dĂ©volues au clavier faisant de l’instrument avant les compositeurs romantiques,  le vecteur privilĂ©giĂ© de sa quĂŞte intarissable : un instrument expĂ©rimental de premier ordre qui suit les humeurs et les audaces de l’auteur.  De fait il nous laisse une littĂ©rature inĂ©dite dont l’esprit dynamique renouvelle totalement la forme musicale,  jusqu’au rapport Ă  l’instrument. Ce Scriabine du  clavecin aura subjuguĂ© bien des interprètes excitĂ©s par les dĂ©fis multiples d’oeuvres atypiques. Au premier rang desquels Scott Ross. Ralf Kirkpatrick musicologue que la question de Scarlatti n’a cessĂ© d’interroger, a tentĂ© de rĂ©tablir la chronologie d’un catalogue qui porte encore son nom et classe ainsi de façon critique une centaine de Sonates scarlatiennes.
Esprit nerveux,  Domenico affirme une Ă©criture vive qui se joue des modulations passant sans annonce ni prĂ©ambule du mineur au majeur. Les sonates baroques sont parfois très courtes en un seul mouvement,  dĂ©veloppant un seul thème ou combinant plusieurs. Toujours le style est flamboyant,  imprĂ©visible,  d’une libĂ©rĂ© et d’un feu dĂ©jĂ  mozartiens. Un vrai dĂ©fi pour un jeune claveciniste prĂŞt Ă  relever tous les paris pour dĂ©voiler son propre tempĂ©rament : c’est assurĂ©ment le cas de Jean Rondeau, Ă©lève de l’ineffable et subtile Blandine Verlet-, dont l’engagement pour le clavecin Ă©gale son art de l’improvisation qu’il cultive au piano au sein d’un ensemble de jazz. Volubile, curieux, mais aussi disciplinĂ©, Jean Rondeau crĂ©e l’évĂ©nement Ă  Saintes ce 15 juillet sous la voĂ»te de l’Abbatiale.

Mardi 15 juillet 2014
Abbaye aux dames, 13h

Jean Rondeau, clavecin

Domenico Scarlatti (1685-1757)

Sonate k.215 en Mi Majeur, andante
Sonate k.175 en la Mineur, allegro
Sonate k.208 en la Majeur, adagio e cantabile
Sonate k.119 en do Majeur, allegro
Sonate k.213 en ré Mineur, andante
Sonate k.141 en ré Mineur, allegro
Sonate k.30 en Sol Mineur « la Fugue du Chat », moderato
Sonate k.132 en do Majeur, cantabile
Sonata k.84 en do Mineur, allegro
Sonata k.481 en do Mineur, andante cantabile

Padre Antonio Soler (1729-1783)

Fandango r.143 en ré Mineur

Illustration : Jean Rondeau (DR)

Approfondir : consultez notre présentation complète du festival de Saintes 2014

 

Saintes abbayeLe festival de Saintes c’est aussi de nombreux jeunes talents déjà remarqués à Saintes ou nouveaux tempéraments à suivre désormais et révélés dans le cadre de l’Abbaye aux Dames : entre autres, Quatuor Hermès (Haydn, Beethoven, Schubert, le 13 juillet, 22h), Jean Rondeau, clavecin (le 15 juillet, 13h), Récital de l’excellente soprano Céline Scheen (L’Amante segreto, le 16 juillet, 13h), Quatuor Hip4tet (Quatuors de Félicien David et Mendelssohn, les 17 et 19 juillet, 17h), …

 

 

 

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Consultez l’ensemble de la programmation du festival de Saintes, les modalités de réservations et les offres pacakagés plusieurs concerts, les conditions d’hébergement à Saintes… sur le site du festival de Saintes 2014

Réservations par internet

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VIDEO. Le claveciniste Bruno Procopio joue Jean-Philippe Rameau

Rameau : Pièces de clavecin en concerts par Bruno Procopio

video_procopio_manonBruno Procopio: Pièces de clavecin en concerts de Jean-Philippe Rameau. Le claveciniste virtuose Bruno Procopio en dialogue avec trois autres solistes d’exception souligne l’invention expressive de ce nouveau dispositif instrumental qui fait de Jean-Philippe Rameau, un dĂ©fricheur visionnaire… Pièces de clavecin en concerts de Jean-Philippe Rameau par Bruno Procopio, clavecin, avec Philippe Couvert, violon; François Lazarevich, flĂ»te allemande; Emmanuelle Guigues, viole de gambe. Reportage vidĂ©o exclusif classiquenews.com

CD. Rameau: le clavecin solaire de Bruno Procopio (Pièces pour clavecin en concerts)

CD. Bruno Procopio illumine les Pièces pour clavecin en concerts de Rameau (1 cd Paraty)

Rameau: Pièces de clavecin en concert (Procopio, 2012)
critique de cd
rameau_pieces_clavecin_concerts_paraty_cd_bruno_procopioAvec ses Pièces pour clavecin en concert, Rameau offre un aboutissement inĂ©galĂ© dans l’art de la musique de chambre mais selon son goĂ»t, c’est Ă  dire avec impertinence et nouveautĂ©: jamais avant lui, le clavecin, instrument polyphonique et d’accompagnement n’avait osĂ© revendiquer son autonomie expressive de la sorte. PubliĂ© en 1741, voici bien le sommet du chambrisme français sous la règne de Louis XV: alors que Bach se concentre sur le seul tissu polyphonique, Rameau fait Ă©clater la palette sonore du clavier central, qui de pilier confinĂ© devient soliste concertant (avec les deux instruments de dessus: violon ou flĂ»te et viole ou 2è violon.

La prééminence du clavecin est dĂ©jĂ  annoncĂ©e par les Sonates d’Elisabeth Jacquet de la Guerre et de MontĂ©clair. Mais l’inventivitĂ© mĂ©lodique, le raffinement, la vivacitĂ© Ă©lectrisante du style ramĂ©lien repoussent encore les limites du genre (ivresse concertante de l’Agaçante). Disons immĂ©diatement ce qui nous gĂŞne: la partie et l’aciditĂ© tendue du violon qui semble dire d’un bout Ă  l’autre, je suis lĂ  et je revendique le premier plan mĂ©lodique (Le VĂ©zinet): un contresens qui affecte le chant libre et si facĂ©tieux, fluide et si volubile du clavecin. Question de sonoritĂ© et de style, le violon contorsionne toujours, se pique de tournures affectĂ©es, semble rĂ©gler un sort Ă  chaque phrase. Que son Rameau est perruquĂ© en petit marquis. L’option peut dĂ©ranger. Elle s’avère particulièrement mordante dans le portrait charge de La Pouplinière (la La Poplinière): Ă©vocation aigre douce du protecteur de Rameau, tracĂ©e, il est vrai,  plus Ă  l’acide qu’Ă  l’encre respectueuse.

Nonobstant, saluons la complicitĂ© des instruments autres: viole toute en nuances et expression (et de surcroĂ®t d’une difficultĂ© monstre, Rameau y rend hommage Ă  Forqueray, rien de moins!)
Et quand la flĂ»te de l’excellent François Lazarevitch se joint au violon et Ă  la viole (La Livri), la tonalitĂ© d’une douceur rayonnante, entre tendre voluptĂ© et tristesse mĂ©lancolique, les interprètes accordĂ©s trouvent le ton juste, voire envoĂ»tant: on aimerait connaĂ®tre Livri entre autres, dont la pièce Ă©ponyme brosse un portrait bien sĂ©duisant (en vĂ©ritĂ© l’un des protecteurs du compositeur mort rĂ©cemment). MĂŞme constat pour la pudeur (autobiographique?) de La Timide oĂą la flĂ»te allemande attĂ©nue l’incisive agressivitĂ© du violon. Et que dire pour clore le chapitre des rĂ©serves, du pincĂ© sec du violon dans les Tambourins du IIIè Concert, aigreur acide bien peu enjouĂ©e et fidèle au soleil des danses qui ont la Provence pour origine…. Pour autant la vitalitĂ© de La Rameau (concession du maĂ®tre Ă  lui-mĂŞme), l’engagement de La Forqueray, la berceuse secrète et mystĂ©rieuse de La Cupis, la grâce purement chorĂ©graphique de La Marais accrĂ©ditent pour les plus rĂ©servĂ©s la haute valeur musicale de cet album Rameau dont les options et partis divers ne manqueront pas de susciter rĂ©actions et dĂ©bats.

le clavecin royal et concertant de Rameau

Mais au cĹ“ur de ce programme des plus rĂ©jouissants, d’autant plus opportun pour la prochaine annĂ©e Rameau 2014, s’affirme le clavecin de Bruno Procopio: l’ex Ă©lève des Rousset et HantaĂŻ y confirme son immense talent, son intelligence interprĂ©tative, une finesse flamboyante qui Ă©claire le gĂ©nie d’un Rameau touchĂ© par la grâce. Belle idĂ©e de souligner la place centrale dans l’Ĺ“uvre du Dijonais en ajoutant 5 des 7 pièces composant la Suite en la du IIIè Livre de clavecin de 1728: ici se succèdent Allemande, Courante, Sarabande… d’une exaltante euphorie intimiste, oĂą les doigts experts savent relever les dĂ©fis techniques et poĂ©tiques du jeu des ” Trois mains ” et de la Triomphante finale, habilement et lĂ©gitimement retenue en conclusion superlative. Le choix du clavecin (copie d’un RĂĽckers avec petit ravalement dans le style français) ajoute Ă  la perfection du jeu de Bruno Procopio: au timbre clair de l’instrument rĂ©pondent aussi la puissance et la rondeur d’un son chantant, souvent bondissant.

RĂ©vĂ©rence Ă  la superbe Sarabande, dont la noblesse et la tendresse sont magnifiquement exprimĂ©es: la claveciniste saisit tout ce que l’Ă©criture de Rameau sait s’enivrer d’un monde sonore pur qui place au dessus de tout le gĂ©nie musical; la musique sans les paroles se fait chant, drame, tissu Ă©motionnel… RamĂ©lien de cĹ“ur, Bruno Procopio rĂ©alise un acte de foi. Heureuse annĂ©e 2013 qui voit aussi paraĂ®tre presque simultanĂ©ment un second cd Rameau, mais non pas intimiste, plutĂ´t symphonique et chorĂ©graphique, dĂ©diĂ©e aux ouvertures et ballets de Rameau, de surcroĂ®t avec un orchestre peu familier du Baroque français, l’Orchestre Symphonique Simon Bolivar du Venezuela. Autre programme, autre dĂ©fi… pleinement relevĂ© lĂ  encore.


Jean-Philippe Rameau: Pièces de clavecin en concert (1741). Nouvelles Suites de pièces de clavecin (1728).
Patrick Bismuth, violon? François Lazarevitch, flûtes allemandes. Emmanuelle Guigues, viole de gambe. 1 cd Paraty 412201. Durée: 1h19mn. Enregistré en 2012.