CD, Ă©vĂ©nement critique. CLÉMENT : Sonates en trio, Iakovos Pappas / Augustin Lusson (Maguelone, 2019). Connaissez-vous les Sonates pour clavecin et violon de Charles François ClĂ©ment (c 1720 – Paris, 1789) ? En polĂ©miste virtuose, d’une acuitĂ© parfois mordante, par son verbe et son geste, le Iakovos Pappas souligne la clartĂ© audacieuse de CF ClĂ©ment, puissant crĂ©ateur aux cĂ´tĂ©s des Leclair, Rameau, Mondonville… A la manière des polĂ©mistes du XVIIIè, Iakovos Pappas prend la plume, trempĂ©e dans un bain de verve critique voire acerbe contre les tenants du goĂ»t et de la culture « classique ». On y goĂ»te son humour et son sens parodique, son esprit libre qui « ose » non sans raison et nombreux arguments, attaquer la lĂ©gitimitĂ© de tout ceux qui jugent ; affichant, claironnant des contre vĂ©ritĂ©s souvent aussi Ă©normes qu’elles sont Ă©mises sans vrai discernement. Ce sens analytique s’applique ensuite dans une sĂ©rie de « remarques » qui commente et explique la manière inventive voire dĂ©cisive de Charles François ClĂ©ment dont la carrière s’arrĂŞte Ă la RĂ©volution.
Professeur de clavecin Ă Paris, ClĂ©ment a laissĂ© un recueil de 3 cantatilles (Le DĂ©part des guerriers et Le Retour des guerriers en 1750, Le CĂ©libat en 1762), un Livre de Sonates en Trio pour clavecin et violon (1743) – le sujet du prĂ©sent album ; un journal de clavecin (airs extraits des intermèdes et opĂ©ras comiques Ă la mode, transcrits pour clavecin seul et accompagnement de violon)…publiĂ© dès 1762. A l’opĂ©ra, ClĂ©ment compose aussi La PipĂ©e, parodie d’après le Paratorio du napolitain Jommelli (Théâtre Italien, 1756), l’opĂ©ra comique la BohĂ©mienne (1756).
En rĂ©fĂ©rence Ă Rameau (Pièces de clavecin en concerts, 1741), ClĂ©ment pose d’emblĂ©e que le clavecin compte pour 2 voix. Sa densitĂ© – comme l’est aussi celle de Forqueray, contredit la lĂ©gèretĂ© d’une musique rocaille et galante qui ne serait ĂŞtre que « creuse ». PersonnalitĂ© qui touche par sa profondeur et son imagination, ClĂ©ment maĂ®trise le jeu Ă©gal rĂ©servĂ© aux deux instruments, autant qu’un Mondonville (opus III).
Sur le plan structurel, ses 6 Sonates appliquant le schĂ©ma lent – vif – lent, suivent Rameau plutĂ´t que Mondonville : la forme Ă 3 mouvements « traditionnelle », est enrichie (pour 3 d’entre elles) d’inserts au caractère imprĂ©vu. Exemple : Sonate III : Allegro-Largo e affettuoso – Minoetto I (rondeau) – Minoetto II – Giga. Allegro. Soit une expĂ©rimentation permanente dans l’esprit d’un laboratoire musical.
Le clavecin en verve, autant que le violon donc, indique une Ă©criture raffinĂ©e, volubile, juste, attestant de l’éloquence expressive du clavier baroque, – jusqu’à sa pleine disparition en 1776 (Ă l’OpĂ©ra de Paris).
Merveilles de la Sonate française au XVIIIè
Iakovos Pappas ressuscite le génie expérimental
de Charles François Clément
D’une érudition pertinente, Iakovos Pappas note très judicieusement la place primordiale du rondeau, avec son refrain, court, mémorisable, puis son couplet (trait manifeste dans la Sonate II). Même non indiqué, sa carrure, son allure y sont évidents… En particulier dans le mouvement central. Le fait qu’il soit associé au premier Allegro de la Sonate II est inédit alors. Le claveciniste en expert de la forme distingue chaque variation ainsi élaborée par Clément dans le traitement musical (rondeau noté « aria affetuoso » en forme de gavotte tendre de la Sonate I ; structure rondeau très originale, détaillant la succession du refrain puis des 3 couplets qui suivent pour l’ultime mouvement de la Sonate III, noté « Allegro poco andante »).
Comme s’il suivait l’instinct novateur d’un Clément réformateur, le geste souple de Iakovos Pappas, rappelant très justement l’influence de la danse chantée, prend soin de toujours préserver le flux naturel, l’allant, le rebond flexible de chaque Sonate : cela chante et parle même, mais cela court et ondule.
LE CLAVECIN DES LUMIERES… S’agissant de la structure mĂŞme des parties, le claveciniste s’interroge sur les Ă©lĂ©ments qui relèvent de la rhĂ©torique mĂŞme du discours musical, soulignant le bon usage du point d’orgue (point d’arrĂŞt), opportun entre autres lorsqu’il indique le dĂ©but d’une section improvisĂ©e (cadence), en règle gĂ©nĂ©rale jouĂ©e sans reprises (comme Corelli au siècle prĂ©cĂ©dent, dans ses PrĂ©ludes Ă mouvement lent ou modĂ©rĂ©). Toute l’esthĂ©tique expressive fondĂ©e sur la respiration et le rebond naturel s’en trouve Ă©claircie. A partir d’une analyse très fine des partitions Ă©ditĂ©es au XVIIIè, Iakovos Pappas intègre aussi le phĂ©nomène Ă©mergeant au dĂ©but du XVIIIè (avec Veracini, Geminiani ou Locatelli), le point d’orgue sans limite tend Ă dĂ©faire la « rĂ©gularitĂ© du rythme pĂ©riodique » et accentuer la lente et inĂ©luctable « dislocation « de la forme des mouvements. En France Dandrieu et Rameau indiquent les points d’arrĂŞt, comme Guillemain, Guignon, Duphly et Jean-Marie Leclair (qui fut danseur), en particulier dans la dĂ©cennie 1730 – 1740. Incroyable parcours de la notation ainsi relevĂ©e qui mène jusqu’à Ernelinde de FAD Philidor de 1767, « littĂ©ralement noyé » sous les points d’orgue !
Tout cela indique l’évolution permanente de la forme, soumise à l’invention des compositeurs, à la ténacité de leur geste libre face à la mécanisation du rythme (batteries interminables « inventées à la fin du XVIIè en Italie »). Une défense du génie français se glisserait-elle ainsi grâce à une argumentation qui séduit par son éloquence ?
La conception première et le geste qui en découle sont ainsi restituée dans leur contexte et leur ineffable parure ; l’approche et la lecture qui sont ici proposées saisissent par leur finesse et leur ouverture ; c’est un retour aux fondements même de la « Révolution baroqueuse » propre aux années 1970 ; Iakovos Pappas suggère, évoque, prend en compte toutes les options à partir des notations minutieusement constatées ; cette culture philologique nourrit un questionnement perpétuel sur chaque mesure, chaque formule rythmique ; le sens, la direction, la réalisation d’une poésie musicale dont la richesse et la carrure toujours en métamorphose singularisent l’écriture française. Voilà qui réhabilite Clément au rang des créateurs les plus imprévisibles et les plus pertinents de son époque. D’autant que le violon d’Augustin Lusson, satellite libre et lui aussi virtuose, renforce le tempérament et l’intention artistique du programme. L’élève de Patrick Bismuth, remarqué par Sigiswald Kuijken partage l’acuité d’esprit, l’expressivité articulée de Iakovos Pappas. Ces deux là s’électrisent. Clément ne pouvait rencontrer meilleurs alliés.
On croit vivre de nouveau le temps des dĂ©fricheurs… quand nombre d’interprètes savaient oser, expliquer, convaincre, rĂ©vĂ©lant dans le Baroque tout ce qu’il a de neuf, de moderne, d’inouĂŻ, d’imprĂ©visible et de saisissant.
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CD événement, critique. Charles-François CLÉMENT (1720 – 1789) : Sonates en trio, Iakovos Pappas, clavecin / Augustin Lusson, violon (Maguelone, 2019) – 6 Sonates en trio, 1743 – Livre cd Maguelone MAG 358.435 – Enregistrement sept 2019 – durée : 1h10. Notice livret : essai “Considérations sur la légitimité de l’autorité critique et son usurpation” par Iakovos Pappas – CLIC de CLASSIQUENEWS Noël 2020
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LIRE aussi notre annonce du livre cd Charles François Clément : Sonates en trio / Iakovos Pappas :
http://www.classiquenews.com/cd-evenement-critique-clement-sonates-en-trio-iakovos-pappas-maguelone-2019/
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LIRE aussi notre ENTRETIEN EXCLUSIF avec Iakovos PAPPAS à propos de Charles François Clément, génie oublié du XVIIIè français :
ENTRETIEN avec Iakovos Pappas. L’écriture de Charles-François CLÉMENT nous est révélée par l’instinct et le goût d’un interprète enquêteur de premier plan, Iakovos Pappas dont l’esprit de défrichement est demeuré intact. Clément, génie oublié du XVIIIè français, éblouit par sa virtuosité facétieuse, son mordant expressif, son goût du jeu formel et de l’invention : les 6 Sonates que le claveciniste inspiré ressuscite aujourd’hui (nouveau cd édité par Maguelone – CLIC de CLASSIQUENEWS Noël 2020), avec le concours du violoniste, aussi imaginatif qu’espiègle, Augustin Lusson, saisissent par leur vitalité inclassable : une exception à classer désormais aux côtés des opus de Leclair, Rameau, Mondonville… Entretien exclusif pour classiquenews.com
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