mardi 19 mars 2024

CD. Symphonies de Schumann par Yannick Nézet-Séguin

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schumann robert schumann nezet seguin  chamber orchestra of europe symphonies deutsche grammophon cdCD. Schumann : 4 Symphonies (Chamber orchestra of Europe, Nézet Séguin, 2013). Le chef Yannick Nézet Séguin publie chez Deutsche Grammophon les 4 Symphonies de Robert Schumann. Le feu bouillonnant du chef québécois Yannick Nézet-Séguin (36 ans en 2014) nouvellement arrivé chez Deutsche Grammophon (pour lequel il a gravé une intégrale de la trilogie mozartienne en cours : ne manque plus que Les Nozze di Figaro à paraître d’ici fin 2014) s’est réalisé auparavant au concert en octobre 2012 à Paris lors d’une intégrale des Symphonies de Schumann. L’enregistrement de Deutsche Grammophon qui paraît en mars 2014 reflète ce travail sur la texture orchestrale et la vitalité d’une écriture exaltée, volcanique qui dit assez outre l’autobiographie qui s’écrit alors, la volonté radicale d’un être passionné, déterminé à s’inscrire dans la lumière, l’antithèse de ses dérèglements psychiques qui ne tarderont pas à poindre. Exaltation, juvénilité, feu et embrasement, voire excitation des finales, Yannick Nézet-Séguin pourrait bien bouleverser la donne discographique en place (car les épisodes plus intérieurs et introspectifs : adagio de la 2, Feierlich de la 3, Romanze de la 4… y gagnent en mystère et en sombres questionnements). La direction affûtée se montre proche d’un cœur ardent dont le diapason versatile incarne toute la complexité et l’ambivalence de la sensibilité romantique… Doué d’une baguette vive et articulée, disposant d’un collectif ductile et énergique, la lecture du chef montréalais s’impose très honorablement par sa générosité sensible, si proche du jeu incessant des humeurs d’un Schumann ambivalent, imprévisible, contrasté. Du pain béni pour un orchestre qui souhaite en découdre comme galvanisé par l’appétit scintillante du maestro. Compte rendu détaillé de chaque symphonie pour mieux identifier l’apport de Yannick Nézet-Séguin. Le double cd Schumann par Yannick Nézet Séguin est «  CLIC » de CLASSIQUENEWS.COM.

Versatilité schumanienne

CD1. Symphonies n°1 et 4
CLIC_macaron_2014Symphonie n°1. Dès le premier mouvement, chef et instrumentistes réussissent à affirmer une étonnante motricité. Le voile se déchire et répond à la proclamation des trompettes qui célèbre une ère nouvelle, les horizons illimités du compositeur qui ici déclare pour la première fois sa complète maîtrise de l’écriture symphonique. Le soin narratif du chef s’électrise idéalement, travailleur du détail comme défenseur d’un éclat collectif avec une nette et franche volonté affirmée dans cet élan primordial qui dès la fin du premier énoncé (fanfare introductive), laisse jaillir l’exaltation trépidante des cordes. Ce feu bouillonnant dont a témoigné Schumann lui-même. Il s’agit bien de recueillir les moments d’ivresse personnelle, de les porter très haut comme l’étendard de sa joie de vivre.

Puis, la tendresse souveraine du 2ème mouvement installe un climat d’extase apaisée, véritable tour de force dans la compréhension des dynamiques ; c’est de loin dans cette frénésie maîtrisée, ce feu qui brûle aussi et d’une plénitude toute extatique, le mouvement le mieux ciselé par le chef. On ne dira jamais assez son intelligence musicale ici magistrale. Avec le motif voilé, brumeux et déjà lointain des fanfares de l’ouverture de Tannhäuser (déjà cité dans le premier mouvement) : tout s’achève en un songe bienheureux que l’on quitte avec regret et presque comme une blessure. Si dans sa présentation globale, le chef nous parle de versatilité émotionnelle (le double visage Florestan et Eusebius d’un Schumann bipolaire), le 3ème mouvement est le plus complexe avec sa séquence syncopée, outrageusement rythmique puis la succession des deux trios d’une beauté irrésistible. Du 4ème mouvement, se distinguent finesse et fragilité, – tendresse scintillante de l’allant rythmique; la direction est détaillée, déliée, articulée même… sans pourtant porter un vrai souffle lié au sentiment de jaillissement et d’exaltation voire d’excitation qui doit emporter toute la structure… cependant, – baisse de tension, le geste est parfois serré et petit… surtout les trompettes et les cuivres en général manquent d’éclat.

Yannick Nézet-Séguin : Les 4 symphonies de SchumannSymphonie n°4 : Yannick Nézet-Séguin y réalise la cohésion d’un tout organique dont l’enchaînement des parties parfaitement assemblées, dit l’unité et la circulation d’un bout à l’autre. Dès son amorce, le chef fait retentir comme un jaillissement irrépressible aux résonances cosmiques, le chant d’un glas : l’expression d’une tragédie. Nézert-Séguin garde la transparence, un énoncé toujours clair… puis ce sont les accents d’une exaltation reconquise et d’un allant irrépressible : bois, cordes, cuivres se distinguent très nettement révélant les qualités expressives de l’Orchestre de chambre d’Europe. Portés par les cors, violons et violoncelles redoublent d’activité exaltée. Voici, le point le plus positif de la lecture. Pourtant, des épisodes trop lents diluent la tension, abaissent la pulsion qui doit aller crescendo sans s’affaisser. L’élan devient palpitation inquiète, frémissante à la réexpédition du motif de conquête. Le chef martèle avec raisons, jusqu’à l’ivresse instrumentale révélée par une vision qui prend enfin forme dans la dernière partie du mouvement. L’intelligence de la vision d’ensemble captive ; ce qui a paru dilué était assumé pour nourrir un regard global qui se dévoile alors.
Enchaîné le 2è mouvement diffuse au hautbois/violoncelle, le caractère de rêverie plus intérieure, d’extase mystique et flottante… Totale réussite. Le 3ème mouvement résonne comme une résolution déterminée, dont Nézet Séguin rétablit la fraternité avec la fougue Beethovénienne, colorée par le sens du rythme et de la mélodie d’un Schumann, immense symphoniste. L’irrépressible et l’exalté refont ici surface mais le geste paraît encore court et sec. Le début du 4ème mouvement, ascension ultime aux cimes de la délivrance (fanfares de trompettes et cors somptueux il est vrai) est comme emporté par un élan vital d’une exaltante trépidation : le sentiment de joie et d’ivresse sonore est ici un peu atténué par des phrases courtes et sèches, un épaisseur du trait, la densité jamais vraiment nuancée des basses. On ne saurait demeuré insensible cependant à cette lecture très investie qui dans ses finales surtout délivre une excitation première, enfin manifeste et libérée.

CD2. Symphonies n°2 et 3
Symphonie n°2. (Premier mouvement) Le chef est ici à son aise, communiquant son énergie détaillée à tous les musiciens. Nerf et vivacité et aussi présence d’un voile initial d’où peu à peu émerge la force primitive d’un esprit de conquête d’une irrésistible détermination, assénée de façon organique et viscérale aux cordes dans ce mouvement originel, énoncé comme un feu volcanique. En sousjacence, le maestro sait exprimer aussi versatilité et grande fragilité de l’élément moteur, lié à la complexité psychique de Schumann. Nézet Séguin joue évidemment sur la juvénilité et la grande cohésion collective des musiciens, avec cette fougue beethovénienne aux cordes (ils ont joué avec Harnoncourt la 9ème de Beethoven, au cours d’une intégrale enregistrée, et ont gardé dans leurs gènes, cette précieuse expérience viscérale). Bois hautbois et basson, flûtes et clarinettes sont d’un prodigieux accents. Trépidation, frénésie, éclairs de fulgurance qui emportent et menacent aussi, … le style est précis, l’intonation juste, entre griserie ivre et déflagration destructrice. Tout cela est magnifiquement exprimé. Rien n’entrave plus la sauvagerie organique et prodigieuse à l’échelle d’un orchestre totalement soudé, palpitant d’un même coeur, aspiration vers les cimes pour une finale libération.

Du Scherzo, Nézeet Séguin délivre la vitalité encore mais ici de nature chorégraphique: à la fois dionysiaque et prométhéen. On se délecte de la pulsation inquiète et fragile là encore, comme un ballet presque déréglé : Ce pourrait être Mendelssohn échevelé, proche de la folie et aussi Beethoven comme hystérisé : où le feu prométhéen originel est transmis irradiant aux hommes. Franchise de ton et somptueuse fluidité énergique saisissent. Avec des cordes d’une motricité étonnante, et cette gradation du chef qui veut nous dire quelque chose à chaque mesure. Un bonheur infini.

Même accomplissement pour l’Adagio expressivo : quand tellement de compositeurs manquent ici de véritable inspiration. La tendresse infinie s’écoulent en larmes d’une profondeur qui sonne comme une tristesse comme un adieu, une révérence avec bois et cordes en fusion émotionnelle. L’énoncé à la clarinette, flûte/basson, hautbois… accorde pudeur et sensibilité… puis l’alliance cordes/cor dit l’ascension et ce désir des cimes, d’oubli et d’anéantissement. C’est le retour rêvé à l’innocence simultanément à des blessures secrètes. Pudique, secret, la chef finit comme la fin d’un songe, en un pianissimo touchant la grâce. Le contraste est total avec le Finale : où s’affirme la reprise de conscience, la vitalité conquérante : l’ivresse d’un crescendo progressif d’une irrésistible effervescences (quelle motricité des cordes là encore) : finesse, précision, mordant, attention et faculté aux nuances… avec une dernière affirmation assénée aux timbales. L’esprit est en pleine possession de ses forces vitales. Et le chef très convaincant.


seguin_yannick_nezet_chef_maetroSymphonie n°3
: pour finir notre compte rendu, la Symphonie n°3 « Rhénane » (créée en février 1851) s’écoule comme un fleuve impétueux, riches en images et en couleurs qui affirme encore et toujours, un esprit rageur et combattif. Celui d’un Schumann démiurge à l’échelle de la nature. La vitalité détaillée du chef assure là encore l’écoulement organique du tout… elle permet au compositeur d’affirmer une évidente maîtrise dans l’effusion souvent échevelée qui l’a fait naître. Les indications en allemand soulignent la germanité du plan d’ensemble dont la vitalité revisite Mendelssohn, et l’ambition structurelle, le maître à tous : Beethoven. Paysages d’Allemagne honorés et brossés avec panache et lyrisme depuis les rives du Rhin, la Rhénane doit s’affirmer par son souffle suggestif. Le geste du maestro montréalais y pourvoit sans compter.

Le premier mouvement Lebhaft (vivace) n’est pas le mieux écrit : son caractère répétitif gêne d’autant plus manifeste quand on écoute les quatre symphonies en un cycle d’écoute continu. Seules les cuivres formidables emblèmes de la victoire finale apportent évidemment une coloration spécifique : l’ivresse frénétique et les promesses d’un banquet festif et entraînant.
Scherzo : la houle généreuse des violoncelles, aux crêtes soulignées par les flûtes, évoquerait (selon Schumann lui-même) une « matinée sur le Rhin » : Nézet Séguin impose un tempo tranquille où triomphe le superbe contrechant des cors dialoguant avec les hautbois aux couleurs élégantes dont l’activité gagne les cordes. Tout cela ne manque pas de panache ni de belle allure portés par la rutilance des cuivres, fruités et généreux. Le chef sait en exprimer le climat d’insouciance rêveuse.

Le Nicht schnell baigne dans une tranquillité pastorale qui met en lumière le très beau dialogue dans l’exposition des pupitres entre eux, surtout cordes et vents. Le point d’orgue de la Rhénane demeure le 3ème épisode « Feierlich » (maestoso): Nézet-Séguin capte la grave noblesse et la solennité majestueuse. Ici, règne le chant presque douloureux et plaintif de l’harmonie des bois auxquels répondent violoncelles et cors… en couleurs déchirées semant un voile de dévastation. L’ampleur Beethovénienne de l’écriture impose une conscience élargie comme foudroyée … et ce n’est pas les fanfares souhaitant renouer avec l’aisance triomphale par un ample portique qui effacent les langueurs éteintes comme décomposées. Le caractère du mouvement est celui d’un anéantissement, aboutissement d’un repli dépressif exténué. Là encore, comme dans l’Adagio expressivo de la 2, chef et instrumentistes atteignent un sommet de profondeur et d’intériorité.

Homme des contrastes, Schumann revient au Lebhaft initial : retour à la conquête sur un mode plus insouciant… en une ronde pastorale de plus en plus entraînante à laquelle le chef apporte des accents haletants. La vision est celle d’un crescendo d’essence dionysiaque dont Yannick Nézet-Séguin suggère avec beaucoup d’articulation l’élan chorégraphique comme aspiré vers son inéluctable résolution. Le relief des timbres, l’élan collectif, la justesse des intentions expressives remportent l’adhésion. Un très grand cycle orchestral qui dévoile la versatilité maladive mais si expressive d’un Schumann ambivalent.

Robert Schumann : Intégrale des Symphonies 1-4. Orchestre de chambre d’Europe (Chamber Orchestra of Europe, COE). Yannick Nézet-Séguin, direction. Deutsche Grammophon. Enregistrement réalisé en novembre 2012 à Paris. Coup de cœur, CLIC de CLASSIQUENEWS.COM de mars 2014.

Lire aussi notre portrait de Yannick Nézet Séguin

 

 

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