vendredi 29 mars 2024

CRITIQUE, CD événement. GLUCK : Don Juan, Semiramis (ballets de Angiolini) – Le Concert des Nations. Jordi savall, direction (1 cd Alia Vox)

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CRITIQUE, CD événement. GLUCK : Don Juan, Semiramis (ballets de Angiolini) – Le Concert des Nations. Jordi savall, direction (1 cd Alia Vox). CLIC de CLASSIQUENEWS été 2022. Enregistré en janvier 2022, à Cardona (Catalogne, Espagne).  Un impi arrogant qui choque et provoque par son esprit aussi querelleur que méprisant… le « Dom Juan » rédigé par Calzabigi, exprimé en musique par Gluck (pour le ballet d’Angiolini) sert une toute autre vision du mythe que celle qu’ont choisi après lui Mozart et Da Ponte. La vivacité du trait qui pilote et défend avec une grande énergie (Allegro presto, plage 13) Jordi Savall met en lumière ce qui séduit tant chez Rousseau : ce Gluck trépidant, direct et franc dont les instrumentistes expriment jusqu’à la frénésie, la transe qui s’enivre d’elle-même. Dès la sinfonia d’ouverture, s’entendent le chant électrisé de la guitare, doublant les cordes qui porte avec beaucoup d’acuité expressive l’élan, la force du désir de possession qui anime le chevalier indécent. Sa lascivité séductrice et racée (Chaconne espagnole, plage 20) mais aussi cour gracieuse (pas de deux avec la nièce du commandeur, plage 22). Le Ballet suit la trame originelle espagnole et met en scène de fait, la statue du Commandeur qui paraît au festin de Dom Juan, avant d’inviter ce dernier à souper dans son propre mausolée de pierre ; voilà qui explique le sous titre de la pièce de Tirso de Molina « Dom Juan ou le festin de pierre ». Le tableau le plus spectaculaire étant le dernier, celui des enfers, où entêté, méprisant, Dom Juan est poursuivi par les démons jusqu’aux profondeurs de la terre, par les furies et leurs serpents qui inspirent le fameux finale, des plus mélodiquement et rythmiquement envoûtants. Ce que souligne la musique ici c’est après la vanité et la morve supérieure du héros, son effondrement psychique, la conscience de sa finitude face aux gémissements des âmes impies comme lui : la séquence exprime cette chute existentielle dans la violence de l’orchestre, cordes et cuivres mordants, fouettés, incisifs et sinueux. Les cors sont mis en avant, et les bois percutants, emportés par la tempête des cordes, en un cataclysme qui s’étire et s’allonge jusqu’à l’expiration du pêcheur vaniteux.

 

Jordi Savall en gluckiste irrésistible :
Les ballets fantastiques d’Angiolini,
La musique frénétique et psychologique de Gluck

 

Même frénésie parfois âpre et sardonique (relief des bassons) dans le ballet qui suit Semiramis des mêmes Gluck, Angiolini, Calzabigi. Ici l’hypertension des cordes offre une autre facette du style frénétique de Gluck, au moment surtout où la Reine est saisie et forcée par le spectre de Ninus d’entrer dans le mausolée : séquence d’enlèvement terrifiante et fantastique.  Jordi Savall sait enrichir la palette des ressources expressives de l’orchestre au delà d’une seule description narrative de l’argument conçu par Calzabigi ; l’horreur est la clé de toute la partition ; les effets dramatiques comme la musique convergeant vers l’issue finale, en tout point, terrifiante voire choquante ; comment les dieux refuseraient-ils à Sémiramis, souveraine toute puissante à Babylone, son choix d’épouser ce… Ninias ? C’est que ce dernier étant son fils sans être connu ainsi de lui-même et de la Reine, ne peut épouser celle qui lui a donné le jour. L’intrigue qui les en empêche et qui les élimine tout simplement offre à la musique de Gluck, cette construction directe, efficace, dramatiquement fulgurante. En cela proche du temps chorégraphique, car le mouvement précipite l’action et renforce les contrastes comme sublime les coups de théâtre, Gluck soigne particulièrement les formes serrées, courtes. Autant de séquences dramatiquement fugaces qui cependant se succèdent avec une grande unité de ton. Fort de ce constat, serviteur d’un temps dramatique autant que psychologique (grâce à la somptueuse musique de Gluck), Jordi Savall prend indéniablement plaisir à ciseler les couleurs et les timbres gluckistes pour intensifier comme caractériser chaque séquence (bien documentée selon le livret de Calzabigi qui est édité dans la notice). Il soigne le rire des cors, la fièvre des cordes, le chant argenté des bois. Ce travail sur la vivacité des timbres est évidemment permise par l’orchestre sur instruments d’époque, Le Concert des Nations, collectif d’individualités formidablement bien électrisées sous la coupe du maestro plutôt inspiré par ce répertoire. La musique de ballet, évidemment profite ici du génie de Gluck ; mais elle regorge de teintes et nuances qui en fait une remarquable tapisserie sonore, digne de l’opéra, comme des chefs d’oeuvres symphoniques de la fin du siècle (Haydn, Mozart…).

 

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CRITIQUE, CD événement. GLUCK : Don Juan, Semiramis (ballets de Angiolini) – Le Concert des Nations. Jordi Savall, direction (1 cd Alia Vox). CLIC de CLASSIQUENEWS été 2022. Enregistré en janvier 2022, à Cardona (Catalogne, Espagne).

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