Gustav Mahler fut surtout connu, de son vivant, comme chef dâorchestre. Cette activitĂ© principale bien quâelle lui permit de subvenir Ă ses besoins et Ă ceux de sa famille, fut cependant vĂ©cue comme un calvaire nĂ©cessaire, dâautant plus contraignant quâelle empĂȘchait le compositeur de sâadonner Ă sa seule passion, lâĂ©criture. Câest donc selon un rituel trĂšs organisĂ© que Mahler, chaque Ă©tĂ©, se coupait du monde urbain et de lâactivitĂ© musicale du restant de lâannĂ©e, pour sâabsorber dans lâĂ©dification de son Ćuvre, vocale et symphonique.
Au total, il écrira dix symphonies et de nombreux cycles de lieder dont le plus célÚbre demeure le Chant de la terre (Das lied von der erde).
1. Naissance et apprentissage : Ă©closion du chef d’orchestre
Mahler est nĂ© en BohĂȘme Ă Kalist, le 7 juillet 1860. Il passe cependant son enfance en Moravie oĂč ses parents se sont Ă©tablis. Lâadolescent de 15 ans, rentre au conservatoire de Vienne (1875), pour Ă©tudier entre autres disciplines, le piano. A l’UniversitĂ©, il sâintĂ©resse aussi aux confĂ©rences donnĂ©es par Anton Bruckner. Il se prĂ©sente Ă son premier concours, et compose Das Klagende Lied, une Ćuvre conçue Ă lâorigine comme un opĂ©ra mais quâil remaniera par la suite, en cantate. RecalĂ©, il sâoriente vers le mĂ©tier de chef dâorchestre. Sa maĂźtrise de la baguette s’affirme progressivement. A chaque nouveau poste, Mahler enrichit son style, Ă©tend sa culture, approfondit sa connaissance des partitions.
Il dirige des orchestres de plus en plus importants, sur le plan du prestige et du niveau musical. Bbad Hall, Ljubljana (1881), Olomouc (1882), Kassel (1884), Prague (1885), Leipzig (1886), Budapest (1891), sont autant dâĂ©tapes franchies pendant ses annĂ©es de formation. A Prague, il dirige les opĂ©ras de Gluck, Mozart Beethoven et Wagner. A Leipzig, en 1887, il se confronte mĂȘme au cycle de l’Anneau du Nibelung, aprĂšs qu’Arthur Nikisch soit tombĂ© malade. Finalement, il se fixe pendant six annĂ©es, comme chef Ă lâOpĂ©ra de Hambourg, jusquâen 1897.
ParallĂšlement Ă la direction d’orchestre, il s’organise pour que pendant les mois d’Ă©tĂ©, le temps de repos qui lui est permis, soit destinĂ© Ă l’Ă©criture. Ainsi, il prend ses habitudes de composer pendant la pause estivale, tout dâabord Ă Steinbach-am-Attersee.
LĂ , il conçoit sa premiĂšre symphonie, dite Titan, ainsi que les lieder « des Knaben Wunderhorn » ou “Cor enchantĂ© de l’enfant”.
2. 1897-1907 : le directeur musical de l’OpĂ©ra de Vienne
LâannĂ©e 1897, est capitale. A 37 ans, il change de sensibilitĂ© religieuse, et du judaĂŻsme se convertit au catholicisme, pour occuper le trĂšs prestigieux poste de directeur musical de lâOpĂ©ra de Vienne. Pendant les dix annĂ©es qui suivent, il affine sa maniĂšre et sa mĂ©thode, Ă©largit les rĂ©pertoires abordĂ©s, non sans se tailler une rĂ©putation de perfectionniste pointilleux. Or, le chef exige des rĂ©pĂ©titions prĂ©alables, se montre intraitable dans la prĂ©paration des Ćuvres. Le niveau musical de l’orchestre et de l’Institution Viennoise, gagne Ă©videmment en qualitĂ©.
AprĂšs rĂ©pĂ©titions et reprĂ©sentations, Mahler se replie dans sa demeure dâĂ©tĂ© de Myernigg, oĂč il se fait construire un ermitage de bois, Ă©difiĂ© en pleine nature, au bord du lac Wörthersee. Câest dans ce milieu prĂ©servĂ©, sur le motif naturel, quâil compose la majoritĂ© de son Ćuvre symphonique, de la DeuxiĂšme Ă la HuitiĂšme symphonie.
LâannĂ©e oĂč Debussy créé PellĂ©as et Massenet rĂ©vise son Werther pour baryton, Mahler Ă©pouse Alma Schindler en 1902. Il a 42 ans et son Ă©pouse, 24. Le couple aura deux filles, dont lâaĂźnĂ©e mourra en 1907 causant le sentiment dâune perte irrĂ©mĂ©diable, et dans le cĆur du compositeur, une profonde meurtrissure, la sensation d’un malĂ©diction qui ravive des traumatismes de l’enfance, quand jeune, il survĂ©cut Ă ses 7 frĂšres et soeurs, morts en bas Ăąge.
A cela sâajoutent les difficultĂ©s de se faire un nom comme compositeur. Mahler ne suscitera guĂšre dâattention et de reconnaissance quâĂ partir de sa TroisiĂšme Symphonie, qui dĂ©clenche immĂ©diatement son premier grand succĂšs publique.
1907 marque plusieurs Ă©preuves douloureuses. LâannĂ©e oĂč meurt sa fille, il perd aussi son emploi Ă lâOpĂ©ra de Vienne, certainement Ă la suite dâun contexte violemment antisĂ©mite. Il tentera de se dĂ©fendre, mais en vain. En outre, les mĂ©decins diagnostiquent une maladie de cĆur qui lâoblige Ă changer de mode de vie. Lui qui aimait les promenades dans la montagne, la bicyclette et la nage, se voit condamnĂ© sâil veut survivre, au train du moindre effort.
Le couple bat de lâaile. Alma qui est une pianiste accomplie et une musicienne avisĂ©e, encourage son mari mais sur le plan affectif se dĂ©tache de lui. Mahler ressent tout cela et sâen ouvre Ă Sigmond Freud, avec lequel il fera une promenade salvatrice, selon ses mots, en 1910.
3. La maturité du créateur
Si dans lâintimitĂ©, lâhomme souffre en silence, endurant pour lui-mĂȘme des crises dâangoisses de plus en plus intenses, lâheure du compositeur, en revanche, a bel et bien sonnĂ©.
En 1910, la crĂ©ation Ă Munich de sa HuitiĂšme symphonie, dite Symphonie des Mille, dans le cadre de lâExposition Universelle, suscite une ovation unanime.
Sâil compte de fervents admirateurs qui reconnaissent lâĂ©tendue de son Ćuvre rĂ©formatrice et visionnaire, dont le jeune Alban Berg, Mahler nâeut jamais cependant une totale reconnaissance. Les critiques ont pour une bonne part aider Ă sa perte, soulignant son style vulgaire et systĂ©matique. Le climat dâinquiĂ©tude et la pression qui pĂšse sur les juifs, lâamĂšnent Ă accepter en 1908, la direction dâune premiĂšre saison au Metropolitan opera de New York. HĂ©las, il sera Ă©cartĂ© au profit dâArturo Toscanini. Cependant, mĂȘme si son Ă©tat physique sâest quelque peu dĂ©labrĂ©, il revient en 1909, diriger lâOrchestre philharmonique de New York.
4. La fin
Il achÚve alors sa NeuviÚme symphonie ainsi que le Chant de la terre dont le climat poétique suggÚre un détachement de plus en plus assumé.
Trop malade pour poursuivre son activitĂ© musicale, il demande Ă retourner Ă Vienne oĂč il sâĂ©teint le 18 mai 1911, en prononçant selon la lĂ©gende, le nom de « Mozart ».
5. Aspects de l’oeuvre
Comme compositeur, Mahler interroge la forme musicale, sa capacitĂ© Ă dĂ©velopper un thĂšme, une idĂ©e, Ă approfondir une pensĂ©e. Câest pourquoi hĂ©ritier de la tradition symphonique, des Viennois, des romantiques, de Beethoven principalement, mais aussi de Bruckner, il ne reconnaĂźt finalement quâun seul prĂ©dĂ©cesseur digne de ses convictions : Wagner.
Chacune de ses symphonies repousse toujours plus loin, le cadre formel de la sonate classique, et surtout les rĂ©fĂ©rences poĂ©tiques enrichissant le terreau de l’activitĂ© musicale.
Contrapuntiste remarquable, maniant avec dextĂ©ritĂ© et mĂȘme facilitĂ© la riche texture polyphonique, Mahler multiplie les plans de lectures, de lâĂ©nonciation simple, voire naĂŻve et sincĂšre, Ă sa distanciation amĂšre, cynique, dĂ©risoire, parodique, caricaturale. Amertume et aigreur, mais aussi lyrisme Ă lâĂ©chelle du cosmos, ses Ćuvres expriment chacune lâapsiration Ă la paix, la sĂ©rĂ©nitĂ©, le repos, lâĂ©ternitĂ©, la bĂ©atitude dâautant plus dĂ©sirĂ©e que le destin ne lâaura pas Ă©pargnĂ© ni dans sa vie de pĂšre et dâĂ©poux, ni dans la longue route semĂ©e d’Ă©pines et d’obstacles, au terme de laquelle son oeuvre suscita une progressive reconnaissance voire une comprĂ©hension profonde de son Ćuvr
e. En dĂ©finitive, la juste apprĂ©ciation du cycle symphonique est un apport du XX Ăšme siĂšcle, plus particuliĂšrement de l’industrie du disque. Pas un chef d’orchestre de renom, qui n’est voulu aborder les massifs de la cosmogonie mahlĂ©rienne, afin d’Ă©prouver les vertiges et les aspĂ©ritĂ©s d’une oeuvre exaltante.
6. Classification du cycle symphonique
Le corpus de ses symphonies est habituellement divisé en trois groupes ;
Le premier groupe concerne les quatre premiĂšres symphonies qui partagent les thĂšmes et le climat enchanteur, mais aussi liĂ© Ă lâenfance, du Knaben wunderhorn dont les textes puisent Ă la source des Ă©vocations des poĂštes, Arnim et Brentano.
Le second groupe comprend les trois symphonies suivantes, de la 5Ăš Ă la 7Ăšme : Mahler y expĂ©rimente sans le concours de la voix, de nouveaux expressifs, davantage personnels, puisant dans les seules ressources de lâorchestre, une Ă©nergie sombre et tragique, que lâon aurait tort de rĂ©duire Ă lâexpression dâune tension autobiographique marquĂ©e par le sentiment de lâĂ©chec et de lâeffondrement. La compositeur a lui-mĂȘme indiquĂ© quelque indices quant Ă la façon juste de concevoir son univers symphonique : certes se sont bien deux Ă©nergies qui sâaffrontent en apparence. Mais le fond de la crĂ©ation nâest pas tant de souligner ce qui les oppose, que de constater leur nature antagoniste, de lâabsorber et de la rĂ©soudre dans lâactivitĂ© musicale. Mahler sâest dĂ©clarĂ© du cĂŽtĂ© de Pan, dieu des Ă©nergies imprĂ©visibles de la nature. La place du musicien face Ă la nature qui le dĂ©passe, n’est pas dans le gouffre, mais au bord, sâimprĂ©gnant du mouvement des astres et du cosmos, en communion avec le mystĂšre des Ă©lĂ©ments, dont ses partitions restitueraient la vibration.
Le dernier groupe recouvre les Ćuvres ultimes, Ă partir de la HuitiĂšme symphonie.
Enrichissement de la texture polyphonique, Ă©largissement du spectre sonore, surtout captation des vibrations du cosmos. Mahler ouvre des champs et des perspectives totalement inĂ©dits. Câest la quĂȘte dâun homme, fervent sincĂšre, dĂ©sireux dâabsolu et dâĂ©ternitĂ©. Lui qui sur le manuscrit de la DixiĂšme symphonie, laissĂ©e inachevĂ©e, Ă©crit Ă son Ă©pouse Alma qui lui prĂ©fĂšre son amant, en lâoccurrence Ă lâĂ©poque, lâarchitecte Walter Gropius.
Alchimiste des grandes formes, Mahler nâa jamais perdu pour autant son habilitĂ© de lâorchestration. Une sensibilitĂ© Ă la texture et aux couleurs de lâorchestre, dâune imagination audacieuse, dĂ©concertante, inouĂŻe.
Sa pratique libre de la tonalitĂ©, usant des dissonances aux endroits clĂ©s du dĂ©roulement musical, lâutilisation des instruments dans lâextrĂȘmitĂ© de leur tessiture, crĂ©ant des aspĂ©ritĂ©s de couleurs et de timbres ouvrent la voie Ă lâavant-garde, celle des partisans de lâatonalitĂ©.
Compositeur, il exerce une influence dĂ©terminante sur les auteurs du XX Ăšme siĂšcle : Richard Strauss, ardent spectateur de ses symphonies et prĂ©sent Ă leur crĂ©ation, Alan Berg, Arnold Schönberg, Anton Webern, et les chefs, Bruno Walter et Otto Klemperer, auxquels il n’hĂ©sita pas apporter son soutien dans la progression de leur carriĂšre.
Catalogue indicatif
Les Symphonies
Symphonie n° 1 en ré majeur, Titan (1884-1888)
Symphonie n° 2 en do mineur, Résurrection (1887-1894)
Symphonie n° 3 en ré mineur (1893-1896)
Symphonie n° 4 en sol majeur (1899-1901)
Symphonie n° 5 en do diÚse mineur (1901-1902)
Symphonie n° 6 en la mineur, Tragique (1903-1905)
Symphonie n° 7 en si mineur (1904-1906)
Symphonie n° 8 en mi bémol majeur, Symphonie des mille (1906-1907)
Symphonie n° 9 en ré majeur (1909-1910)
Symphonie n° 10 en fa diÚse majeur (1909-1910), inachevée.
Ćuvres vocales
Das Klagende Lied (Le chant plaintif)
version opéra (1878-1880), version cantate (1896-1898)
Drei Lieder (Trois lieder)
pour ténor et piano (1880)
Lieder und GesÀnge aus der Jungendzeit
( 5 Lieder de jeunesse) pour voix avec piano 1880-1883
Lieder eines fahrenden Gesellen
(Chants d’un compagnon errant)
pour voix et piano ou orchestre (1883-1885)
Wunderhorn-lieder (9 Chants) (1888-1891)
Lieder aus « Des Knaben Wunderhorn »
( 10 Lieder du «Cor EnchantĂ© de l’Enfant»)
pour voix et orchestre (1892-1896, deux autres en 1899 et 1901)
RĂŒckert Lieder 4 lieder pour voix et piano ou orchestre (1901-1903)
Kindertotenlieder 5 lieder pour voix et orchestre (1901-1904)
Lieder eines Fahrenden Geselles 4 lieder (1904)
Das Lied von der Erde (Le chant de la terre)
pour voix et orchestre (1907-1909)
Musique de chambre
Klavierquartett (Quatuor avec piano), composé en 1876.
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