vendredi 19 avril 2024

Compte rendu, récital lyrique. Liège. Opéra Royal de Wallonie, le 5 novembre 2014. Récital Juan Diego Flórez. Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie. Christopher Franklin, direction musicale

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florez juan diego 58-Juan-Diego-FlorezUn concert de Juan Diego Florez, c’est toujours un évènement. C’est donc plein d’enthousiasme que nous avons traversé la frontière pour nous rendre à Liège, où le ténor péruvien faisait halte durant sa tournée consacrée aux airs français, répertoire composant le programme de son dernier récital discographique. Rappelons également que cette date liégeoise était la seule qui voyait le piano du fidèle Vincenzo Scalera remplacé par un orchestre, en l’occurrence celui de la maison wallonne, dirigé par Christopher Franklin, déjà partenaire du chanteur voilà plus d’un an au Théâtre des Champs-Elysées. Autant de raisons qui promettaient de combler nos attentes. Quelle ne fut pas notre déception devant ce que nous appellerons une routine de luxe. Durant toute la première partie du concert, le ténor assure simplement son métier, devant une salle ronronnante et aux applaudissements pondérés. Le chanteur demeure toujours aussi infaillible, le contrôle restant total de la première respiration au dernier son, mais à aucun moment il ne transcende cette fabuleuse maîtrise.

 

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Un feu d’artifice inattendu

 

Reconnaissons que l’air de Gérald sied merveilleusement bien à son instrument, une voix mixte inconnue jusqu’alors faisant son apparition, la diction française s’avérant comme à l’ordinaire digne d’éloges, ainsi qu’il en est du doux balancement de la sérénade d’Henri Smith extrait de la rare Jolie Fille de Perth de Bizet, superbement phrasée.

Avec Werther, Juan Diego Florez touche aux limites de sa voix, notamment dans le lied d’Ossian, audiblement trop large pour ses moyens, malgré un indéfectible soutien de la part du chef. Le chanteur parvient pourtant à ne jamais grossir l’émission, couronnant cet air d’aigus percutants.

En revanche, on apprécie pleinement un air d’entrée détaillé avec beaucoup de poésie, servi par une déclamation du texte de haute école, la beauté de la musique de Massenet faisant le reste.

Néanmoins, nous formons le vœu que ces deux airs restent la seule approche du rôle qu’en fasse le ténor, et qu’il n’aille pas plus loin, pour la santé et la longévité de son exceptionnel instrument.

L’entracte passé, nous renouons avec le souvenir vivace de La Favorite donnée avenue Montaigne l’an passé avec le même ténor, grâce au premier air de Fernand. La cantilène est toujours ciselée avec le même soin, mais la flamme paraît manquer à l’appel. Grâce à l’air d’Iopas tiré des Troyens de Berlioz, place à une rareté, chantée avec un art qu’on ne réentendra pas de sitôt.

Mais c’est avec la cavatine de Roméo que tout bascule. Juan Diego Florez semble soudain fendre l’armure et sortir de lui-même, le technicien – toujours d’une impériale sûreté – s’effaçant devant l’interprète, déroulant un phrasé d’une infinie tendresse, osant une reprise piano du plus bel effet, et achevant l’air sur un mezzo-forte lentement enflé jusqu’au forte, crescendo électrisant mettant le feu à la salle, qui éclate soudain en ovations, sortant de sa réserve polie pour crier littéralement son plaisir. La fête tant attendue bat enfin son plein, il était temps !

Avec Pâris, le ténor demeure sur les mêmes sommets, s’amusant visiblement comme un petit fou. Aigus insolents, nuances multiples, texte distillé avec une gourmandise palpable, tant de qualités que couronne un contre-ut retentissant,  salué par un public en furie.

La salle est définitivement conquise et le fait bruyamment savoir, revirement aussi spectaculaire qu’inattendu. L’ambiance dans le théâtre liégeois a changé du tout au tout, et les spectateurs, déchaînés, en redemandent.

Premier bis : la cavatine de Gaston tirée de la Jérusalem verdienne, phrasée avec une élégance infinie, jusqu’au un ut aussi souple que séduisant.

Second bis, comme une étape obligée : les neufs contre-uts de la Fille du Régiment, qui tiennent, pour le ténor, de la promenade de santé. Mieux encore, ces notes paraissent remettre la voix du chanteur dans son axe naturel, comme un retour aux sources, véritable fontaine de jouvence pour son instrument. Aigus insolents et facilité déconcertante, que demander de plus ?

La soirée prendrait-elle fin avec ce tour de force ? Que nenni ! Place à une autre découverte : le premier air de Georges Brown extrait de la Dame Blanche de Boieldieu, « Ah ! Quel plaisir d’être soldat », à la gaieté contagieuse, plein de vaillance et d’esprit, lui aussi chapeauté de son contre-ut cadentiel, qui fuse comme un tir d’arquebuse.

Le public est en délire, tape des mains et des pieds à en faire crouler le théâtre, encouragé dans sa liesse par le directeur des lieux, visiblement heureux de la joie qui règne en sa maison.

Seul écart au programme intégralement français qui faisait loi ce soir, une « Donna è mobile » superbe, charmeuse, avec sa vocalise incluant l’ut dièse, et son inévitable aigu final frappant haut et fort, longuement tenu, pour le plus grand bonheur de tous… et le nôtre.

Le récital peut à présent s’arrêter là, le chanteur l’ayant amplement mérité.

S’arrêter là ? Les spectateurs ne l’entendent pas de cette oreille et sont bien décidés à obtenir un ultime rappel. Ce sera une reprise de l’air de Pâris, émaillé de facéties aussi imprévues qu’un saut d’octave piano là où chacun attend l’incisivité du timbre, ou encore une interrogation « qu’est-ce que c’est, évohé ? ». L’assistance rit aux éclats devant tant d’humour, et le chanteur affiche avec elle une complicité réjouissante, avant de retrouver sa concentration pour un dernier ut spectaculaire, peut-être le plus beau de la soirée. Un bonheur !

On aura garde de ne pas oublier les autres artisans de ce récital jubilatoire, à savoir l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, galvanisé par un tel soliste, et le chef, Christopher Franklin, toujours impeccable tant dans les pièces orchestrales – notamment une tourbillonnante Ouverture du rarissime Toréador d’Adam – que dans les airs, remarquables d’équilibre sonore et d’attention au ténor. Une soirée qui nous aura pris par surprise, et dont on se souviendra longtemps.

Liège. Opéra Royal de Wallonie, 5 novembre 2014. Adolphe Adam : Le Toréador, Ouverture. Léo Delibes : Lakmé, « Prendre le dessin d’un bijou… Fantaisie, ô divin mensonge ». Georges Bizet : Carmen, Ouverture ; La Jolie Fille de Perth, « A la voix d’un amant fidèle » ; L’Arlésienne, Suite et Farandole. Jules Massenet : Werther, « Ô nature pleine de grâce », « Pourquoi me réveiller ». Gaetano Donizetti : La Favorite, « Un ange, une femme inconnue » ; Ouverture. Hector Berlioz : Les Troyens, « Ô blonde Cérès ; Ballet. Charles Gounod : Roméo et Juliette, « L’amour ! L’amour !… Ah! Lève-toi, soleil ». Jacques Offenbach : La Belle Hélène, « Au mont Ida ». Juan Diego Flórez, ténor. Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie. Christopher Franklin, direction musicale

 

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