vendredi 19 avril 2024

Compte rendu, récital lyrique. La Garenne Colombes. Théâtre de la Garenne, le 17 octobre 2014. Récital de la soprano Anna Kassian. Bellini, Donizetti, Rossini. Patrick Ivorra, piano.

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anna-kassian-chante-imogene-bellini-2013Le talent de la soprano franco-géorgienne Anna Kassian a été confirmé par le Concours Vincenzo Bellini 2013 : l’artiste démontrait au cours de la finale parisienne, son agilité vocale mais aussi surtout, un tempérament frappant par son intensité et son intelligence dramatique : l’air de folie d’Imogène extrait du Pirate de Bellini – un opéra splendide totalement écarté des scènes lyriques-, mettait à nu, un talent inouï, soudainement présent sur la scène du Concours lyrique. Le récital de ce 17 octobre, dans le théâtre neuf de la Garenne (La Garenne-Collombes, 92) s’inscrit dans les objectifs du Concours : faire rayonner le répertoire bellinien et offrir à ses lauréats du Premier Prix, une date de concert après la remise de la médaille.

« La Kassian », diva bellinienne

Le programme du récital de La Garenne-Colombes montre l’intelligence dramatique dont sait faire preuve la soprano Anna Kassian : déjà dans la succession des airs, passant de Bellini à Donizetti puis Rossini afin de conclure par l’air somptueusement tragique de Bellini, extrait du Pirate. En Lucrezia, Sémiramis, Rosina, Imogène, Anna Kassian revêt toutes les facettes de la passion élégante et digne, dans un style ciselé, celui fin et subtil, articulé et profond du bel canto préverdien. La confirmation est de taille car la jeune diva avait souhaité passer le Concours Bellini fondé par le maestro Marco Guidarini, pour démontrer justement ses aptitudes dans l’art bellinien, elle qui était surtout sollicitée pour Verdi.

anna_kassian_soprano_concours-bellini-2014D’abord, les mélodies si rares et raffinées de Bellini chauffent la voix, de moins en moins dur, de plus en plus chaude, permettant à l‘interprète de raffiner peu à peu son chant intérieur. Ce qui captive chez « La Kassian », c’est outre la puissance et l’agilité, une intelligence intime qui lui permet de colorer en profondeur chacun des personnages abordés. La couleur et l’intention spécifiques que la cantatrice apporte à chaque air offre une leçon de dramatisation à la fois intuitive et claire, d’un bel équilibre expressif. Premier air ample et d’une stature tragique, Lucrezia Borgia. La présence scénique, la profondeur et la sincérité du style prolonge l’enthousiasme du jury du Concours Bellini 2013 qui lui avait valu son premier prix. Le réalisme donizettien, sa faculté à colorer et caractériser un portrait de princesse, intense et fragile à la fois, brille d’un feu convaincant grâce au chant très habité de la soprano qui pour cet air, chante sans partition, occupant tout l’espace de la scène. Avec la Kassian, le récital devient théâtre de la passion : le portrait d’une femme qui aime et se déchire. Sa Sémiramide a noble allure, ses vocalises bien en place, l’émission franche et claire au diapason de l’idéal rossinien: voici de toute évidence une Reine, sûre de son destin, affirmant son autorité.

Passé l’entracte, deux Donizetti plongent dans ce bel canto frémissant et palpitant, celui des amoureuses éperdues, abandonnées (Il Barcaiolo, puis chantée en français : La Corrispondenza amorosa, colorée d’humour et de légèreté filigranée). Révélations d’un programme riche en nuances amoureuses et émotionnelles, les deux Rossini qui suivent, accrochent davantage encore l’attention : véritable scène pathétique et tragique au fort contenu comique cependant (tout l’esprit de Rossini est là), « Adieux à la vie » cristallise les dernières volontés d’une âme encore enivrée et aimante sur le ton facétieux d’une truculence à peine masquée, parfois parodique. Le sensibilité et la finesse d’intonation d’Anna Kassian font mouche là encore dans cette scène dramatique parfaite qui préfigure le climat tragicodélirant de La Voix humaine, une sorte de soliloque dont Rossini tisse toutes les couleurs de la plainte, de la résignation, de l’accablement digne et fragile à la fois. Il faut le talent  d’une immense comédienne pour réussir sans vulgarité ni caricature ce long monologue a voce cola racontant dans le détail les épreuves et défis d’un cœur d’amour épris: « La Kassian » y pourvoit sans failles. Enfin après une Rosina malicieuse à souhait, à la vocalità astucieuse et piquante, voici le grand air tragique d’Imogène, superbe incarnation à laquelle la soprano, tendue, habitée et même hallucinée offre toute sa finesse d’expression, sa formidable versatilité dramatique.

Pianiste fin et nuancé, Patrick Ivorra veille à ne pas couvrir la voix de l’interprète : il prolonge idéalement sa coopération aux éditions antérieures du Concours, et même sa complicité avec Anna Kassian pendant tout le récital, tire profit de cette expérience spécifique où l’instrument ne fait pas qu’accompagner : il instaure un climat (en particulier dans le prélude purement instrumental du grand air d’Imogène), répond à la passion contrastée d’une authentique actrice. Leur duo est convaincant.

 

 

kassian-anna-imogene-bellini-2013

 

En nous offrant comme bis un extrait de L’Amour masqué de Messager, Anna Kassian déploie dans la détente retrouvée, la vivacité comique, d’une légèreté impliquante, d’une amoureuse maîtresse, touchée et de façon tendre et sincère par la bêtise des hommes : « C’est bête un homme… alors vous pensez… deux ! » s’exclame la diva avec un talent de vérité peu commun. Actrice et cantatrice jusqu’à la pointe des cils, Anna Kassian nous fait déjà espérer de nouvelles soirées lyriques toutes aussi convaincantes et inventives. On attend avec impatience sa Despina dans Cosi fan tutte, le nouveau jalon de l’intégrale Mozart Da Ponte sous la direction de Teodor Currentzis, prochain coffret cd à paraître chez Sony classical dont elle devrait être la vedette souhaitons-le, cocasse, fulgurante, enchantée.

Compte rendu, récital lyrique. La Garenne Colombes. Théâtre de la Garenne, le 17 octobre 2014. Récital de la soprano Anna Kassian. Bellini, Donizetti, Rossini.  Patrick Ivorra, piano.

LIRE aussi le compte rendu de notre collaborateur Nicolas Grieneberger lors de la finale du Concours Bellini 2013 à Paris (Conservatoire CRR, rue de Madrid). 

 

 

 

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