samedi 20 avril 2024

Compte rendu, opéra. Tourcoing. Théâtre Municipal, le 23 avril 2015. Debussy : Pelléas et Mélisande. Guillaume Andrieux, Sabine Devieilhe, Alain Buet… La Grande Ecurie et la Chambre du Roy. Jean-Claude Malgoire, direction. Christian Schiaretti, mise en scène.

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Pelléas et Mélisande de choc à l’Atelier Lyrique de Tourcoing ! Le chef d’oeuvre absolu de Debussy est interprété avec les instruments d’époque de La Grande Ecurie et la Chambre du Roy dirigé par Jean-Claude Malgoire. Une jeune distribution avec des étoiles ascendantes et une mise en scène ouvertement théâtrale, riche en qualités signée Christian Schiaretti, directeur du Théâtre National Populaire.

Un Pelléas et Mélisande pas comme les autres

pelleas-melisande-tourcoing-malgoire-schiaretti-avril-2015-clic-de-classiquenewsL’histoire est celle de la pièce de théâtre symboliste homonyme de Maurice Maeterlinck. La spécificité littéraire et dramaturgique de l’œuvre originelle permet plusieurs lectures de l’opéra. La puissance évocatrice du texte est superbement traduite en musique par Debussy. Ici, Golaud, prince d’Allemonde, perdu dans une forêt, retrouve une fille belle et étrange, Mélisande, qu’il épouse. Elle tombera amoureuse de son beau-frère Pelléas. Peu d’action et beaucoup de descriptions font de la pièce une véritable rareté. Golaud tue son frère et bat Mélisande, la poussant à la mort et à la naissance prématurée d’une petite fille. Dans cette production de l’Atelier Lyrique de Tourcoing, le livret est quelque peu retouché tout comme la partition. Les longs interludes sont abrégés et on y ajoute une scène supplémentaire, la première du dernier acte que Debussy n’a pas utilisée, où quatre servantes (quatre comédiennes) éclairent quelque peu le mystère avant la scène finale de l’opéra. L’approche de Schiaretti est très intéressante. Elle intègre un je ne sais quoi de Shakespearien dans sa plastique (il y signe les décors également ; les fabuleux costumes d’époque sont de Thibaut Welchlin) et dans le travail d’acteur, et dans le flux dramaturgique. Les inspirations protéiformes du metteur en scène se réalisent dans l’unicité indicible du théâtre symboliste, et c’est d’une grande cohérence. Les chanteurs-acteurs sont donc à la fois des êtres mystérieux non dépourvus d’un certain mysticisme, comme ils sont des archétypes atemporels qui veulent se débarrasser de leurs contraintes mais qui n’y arriveront jamais. Une tension perpétuelle habite la salle, un art déclamatoire très français baigne l’auditoire. Le trio des protagonistes investit les personnages avec une intensité étonnante.

Guillaume Andrieux dans une prise de rôle est un jeune Pelléas à la fois affirmé dans un certain désir de liberté comme il est ambigu dans la réalisation de ses désirs. Mi-charmant, mi-nerveux, il est surtout très beau à regarder. Il arrive au sommet de l’expression dans un IV acte passionné, ou l’élan puissant de sa musique ultime paraît le pousser à la perfection. Un Pelléas parfois tremblant (dans les notes aiguës notamment) mais qui à son tour fait aussi trembler. La Mélisande de Sabine Devieilhe (prise de rôle également!) est d’une grande valeur. La jeune soprano incarne une Mélisande complexe ; humaine, ma non troppo, étrange mais jamais caricaturale. Elle se montre excellente comédienne, et même si le rôle n’a pas de véritable virtuosité technique, elle campe une performance tout à fait virtuose par la force de son investissement, une musicalité à la hauteur de la déclamation et du texte, une bonne entente avec ses partenaires et l’orchestre. Mi-absente, mi-troublante, la Mélisande de Devieilhe inspire tout une série d’émotions grâce à une articulation sans reproches et un engagement théâtral des plus convaincants. Tout aussi engagé est le Golaud d’Alain Buet. S’il est plutôt réservé et en retrait, loin des caricatures barbares et à la limite de l’expressionnisme qu’on voit souvent, il est peut-être un peu trop dans la souffrance (est donc moins dans l’amour, la passion, la rage, l’horreur…). Pour un personnage si complexe, nous trouvons qu’il était souvent dans la douceur, non sans affectation. Musicalement ce fut très beau, et pourtant un peu mou au niveau de la gradation dramatique.

pelleas-golaud-yniold-tourcoing-malgoire-schiaretti-avril-2015De la Geneviève de Geneviève Lévesque, comme d’ailleurs de l’Arkel de Renaud Delaigue, nous retenons surtout la présence scénique imposante. Elle paraît quelque peu dépassée par la scène de la lettre, et y brille uniquement pour des raisons, à notre avis, superficielles. Un bon effort. Delaigue a une voix large, qui caresse les oreilles dans le grave peut-être trop délicieux pour un vieux Roi, mais qui est aussi tremblante et instable dans l’aigu. L’Yniold de Liliana Faraon est un brin expressionniste dans le chant, mais au niveau du jeu d’acteur, elle compose un petit garçon isolé tout à fait inquiétant.

Et Debussy sur instruments d’époque ? L’approche de Malgoire, figure importante du baroque, est aussi très intéressante. Avec Schiaretti, ils décident de rapprocher davantage l’oeuvre de son époque et son lieu de création (l’Opéra Comique à Paris) par l’utilisation de la langue parlée ici et là, au lieu du chant. Déjà ainsi une couche supplémentaire d’expression s’installe, s’accordant aux qualités des instruments anciens, au volume peu puissant. Regrettons pourtant les cuivres, souvent approximatifs, parfois faux. Le vibrato sélectif des cordes fait que l’oeuvre est en l’occurrence moins atmosphérique, mais beaucoup plus abstraite, ce qui aide forcément les chanteurs (ou leur donne davantage d’importance, selon le point de vue), jamais couverts par l’orchestre. Si les couleurs sont moins fortes, le contraste est gagnant.

VOIR aussi notre reportage vidéo en 2 volets : Pelléas et Mélisande sur instruments d’époque avec Sabine Devielhe (Mélisande) à Tourcoing sous la direction de Jean-Claude Malgoire.

Illustrations : Guillaume Andrieux et Sabine Devielhe (Pelléas et Mélisande dans la scène de la grotte, cherchant l’anneau perdu). Yniold et Golaud © CLASSIQUENEWS.TV 2015

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