Cette admirable production datant de 2008 trouve sa plénitude grâce à une distribution d’une équilibre proche de la perfection entre beauté vocale et jeux scénique, vivant et naturel. L’esprit buffa si particulier à Mozart et Da ponte trouve son apogée lors de ces représentations. Il est rare de bénéficier à l’opéra d’un tel sens théâtral y compris durant les airs. Tout est vie et mouvement dans cette folle journée. Grâce à un travail en profondeur, chaque personnage est campé avec humour et tendresse. Les décors sont sobres, les costumes flamboyants et les éclairages sculptent l’espace avec un lever et coucher de soleil sur les deux airs de la comtesse, puis la lune dans le jardin, délimitant le nycthémère.
Admirable équilibre entre musique et théâtre
Le Comte de Lucas Meachem est peut être le plus réussi car ce personnage est trop souvent ingrat. La haute stature du chanteur, son charme personnel, une sorte d ‘énergie canalisée mais pas toujours lissée en font un noble aussi irritant qu’attachant. Ses maladresses sont pleines de charmes et l’élégance est toujours là. La voix est magnifique de projection, large et puissante quand il le veut et la tenue de sons pianos très souples, donne beaucoup d‘émotion à ses prières à la Comtesse. L’humour de son jeux lui permet de toujours gagner la sympathie du public ce qui est assez rare dans ce rôle. En filigrane se devine un futur Baron Ochs, du Chevalier à La Rose qui devrait être passionnant. Il forme avec la Comtesse de Nadine Koutchner un couple cohérent. Même large stature vocale, même qualité de timbre, et chez elle, un legato et des pianissimi qui tiennent du rêve éveillé. La grâce de cette Comtesse, mais aussi sa capacité à s’animer et s’encanailler avec Suzanne est pleine de jeunesse. Son regret de ses amours n’est pas plaintif mais récrimination d’un fort tempérament amoureux frustré.
Les Noces de Figaro ne comprend pas vraiment de personnage principal; c’est l’équilibre entre tous qui fait le succès de l’opéra. En mettant en scène un couple comtale plus jeune, plus sympathique et plus vif, tout le théâtre semble rehaussé d’un cran. Ainsi Figaro est particulièrement latin et intelligent. Toujours en mouvement. Le Jeune Dario Solari peut compter sur une énergie peu commune. La voix est ronde, le jeu de l’acteur est virtuose et son charme à quelque chose de félin. L’étoffe d’un Don Juan se fait jour. Anett Fritsch, sa Suzanne, est du vif argent. La tendresse et la passion l’habitent avec une rare intensité. Le timbre est clair et beau. Son jeu est admirable. Elle a tout d’une très grande Suzanne, d’ailleurs elle sera Suzanne au festival de Salzbourg cet été.
Ingborg Gillebo est une Cherubin délicat et séduisant. Le jeu est suffisamment vivant pour être sinon naturel du moins très convaincant. La voix est bien conduite et le timbre agréable. Un Chérubin adolescent encore fragile et pas encore certain de sa séduction pourtant réelle. La Marcelline de Jeanette Fischer est remarquable. Elle campe vocalement et scéniquement un personnage inoubliable et attachant. Son air au milieu du public est un moment d’anthologie. La large voix de Dimitry Ivashchenko (Bartolo) et son jeux extraverti lui permettent de donner corps et présence à son rôle. Il arrive avec humour a le rendre sympathique. Le Don Basile de Gregory Bonfatti est crédible et très présent vocalement dans les ensembles. Elisandra Melian en Barberine est un peu sous employée. Le timbre est un corsé pour le rôle et le tempérament scénique un peu trop énergique loin de l’ingénue habituelle. Tiziano Braci campe un Antonio cauteleux à souhait. Il ressort de l’admirable travail de Marco Arturo Marelli une sympathie pour chaque rôle. Chaque personnage va vers son bonheur à sa manière et partant d’un état va se trouver changé en une journée. Il n’y a pas de vrai « méchant », belle leçon d’ humanité en somme!
Le choeur du Capitole a est admirable de présence vocale et scénique. Le soin apporté aux costumes par Dagmar Niefind et crées au théâtre Real de Madrid est incroyable jusque dans celui des choeurs.
L’orchestre en cordes et bois baroques est très présent. Le chef adopte des tempi plutôt vifs et la théâtralité se déroule comme par évidence . Le temps est suspendu et le spectacle avance avec beaucoup de vie. Les couleurs de l’orchestre sont très belles surtout les bois et les cuivres. Le tandem Robert Gonella au pianoforte et Christopher Waltham au violoncelle forme un continuo vivifiant . Le fait de monter les musiciens hauts dans la fosse a l’avantage de renforcer la cohésion scène/fosse qui est parfaite mais provoque une trop forte présence des cordes graves au détriment des violons, du moins au parterre. Cette forte présence de l’orchestre qui équilibre à mon sens la théâtralité bouillonnante de la mise en scène n’a pas été du gout de certains. Pour ma part l’orchestre mozartien et un vrai partenaire et parfois un personnage à part entière et j’ai beaucoup aimé l’équilibre obtenu par Attilio Cremonesi. Les Noces est à mon avis l’opéra du Trio Da Ponte qu’il a dirigé au Capitole celui qui lui réussi le mieux.
Ce chef d ‘œuvre a fait salle comble avec refus de spectateurs potentiels. Le respect et la vitalité de cette production, son équilibre rare entre chant et théâtre, le travail d ‘équipe exemplaire qui est perceptible, en fait un des plus beaux spectacles du Capitole. Cette reprise est bienvenue et n’ayant pas pris une ride je me réjouis d’imaginer revoir un jour cette belle production. .
Compte-rendu, opéra. Toulouse, Capitole, le 17 avril 2016. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Les Nozze di Figaro. Opera buffa en quatre actes de Lorenzo Da Ponte, d’après La Folle Journée ou le Mariage de Figaro de Beaumarchais ; créé le premier mai 1786 à Vienne. Coproduction avec l’Opéra de Lausanne (2008). Avec : Lucas Maechem, le Comte Alamaviva. Nadine Koutchner, La Comtesse Almaviva. Dario Solari, Figaro. Anett Fritsch, Susanna. Ingeborg Gillebo, Cherubino. Jeanette Fischer, Marcellina. Dimitry Ivaschenko, Bartolo. Gregory Bonfatti, Don Basilio. Mikeldi Atxalandabaso, Don Curzio. Elisandra Melian, Barberina. Tiziano Bracci, Antonio. Zena Baker, Marion Carroué, deux dames. Choeur du Capitole, direction : Alfonso Caiani. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Attilio Cremonesi, direction musicale. Mise en scène et scénographie : Marco Arturo Marelli. Collaborateur à la mise en scène, Enrico de Feo. Costumes, Dagmar Niefind. Lumières, Friedrich Eggert. Photo : David Herrero