samedi 20 avril 2024

COMPTE-RENDU, opéra. GENEVE, le 21 déc 2018. Donizetti : Le Convenienze ed inconvenienze teatrali. Madaras / Pelly.

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Compte rendu, opéra. Genève, Opéra des Nations, le 21 décembre 2018. Donizetti : Le Convenienze ed inconvenienze teatrali. Gergely Madaras / Laurent Pelly. Cette farsa aura traversé presque deux siècles en conservant sa jeunesse et son actualité.  Fruit de l’union des arts et des compétences, l’opéra fait maintenant, le plus souvent, l’objet d’un consensus de tous ses acteurs autour d’un projet partagé. C’est oublier ses enjeux de pouvoir durant les siècles passés, particulièrement du XVIIIe au XIXe S. C’est précisément ce que nous rappelle Donizetti, après Mozart (Der Schauspieldirektor, K 486). Bien avant Sografi et Gilardoni, Goldoni  (L’impresario delle Smirne) avait laissé une vision drôle et féroce du monde lyrique. Le livret qu’illustre le compositeur ne l’est pas moins.

Dans une salle d’opéra d’une petite ville italienne doit être créé le dernier opera seria de Biscroma, qui va en diriger les répétitions. Six chanteurs et quatre acteurs incontournables (le librettiste, le chef, l’imprésario, le directeur du théâtre) vont nous initier aux mystères de la création lyrique. Une prima donna prétentieuse, capricieuse, méprisante à l’endroit de la seconda, chacune d’elles étant promue avec conviction, la première par son mari, Procolo, la seconde par sa mère, Mamma Agata, ajoutez un ténor germanisant bouffi d’orgueil,  Guglielmo, et Pipetto, le contre-ténor, et vous aurez une distribution au sein de laquelle les jalousies, les vanités vont susciter des affrontements constants.

 

 

 

Comédie humaine éblouissante

 

 

 

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L’entente n’est pas davantage de mise entre les autres acteurs. Avant les démissions successives et  la débandade finale, les multiples rebondissements auront permis  de stigmatiser les travers de ce joli monde et de brocarder l’opera seria.
C’est l’occasion pour Donizetti, dont ce n’était pas la première farsa,  d’écrire la musique la plus variée, chargée d’humour comme de sensibilité, réalisant ainsi une sorte de condensé des productions musicales de son temps. Les textes parlés de la version initiale ont été abandonnés au profit de récitatifs. Quelques greffes  opportunes (deux airs d’autres ouvrages de Donizetti et un de Mercadante) permettent de hisser cette bouffonnerie au rang supérieur, en offrant aux solistes des occasions supplémentaires de démonstration belcantistes.
Laurent Pelly, qui signe la mise en scène, jette un regard attendri  sur cette salle d’opéra un peu désuète devenue parking, regard  évidemment partagé par les spectateurs. Sa direction d’acteurs est admirable. Les décors de Chantal Thomas, découverts lors de la création lyonnaise, en juin 2017, sont toujours aussi séduisants et efficaces, servis par les éclairages de Joël Adam. Habilement, c’est à flash-back que nous sommes conviés, le rideau se levant sur le parking très contemporain aménagé dans cet ancien opéra, et se baissant sur l’épisode préalable : sa destruction par une équipe maniant les marteaux-piqueurs. Entre les deux, c’est à la répétition que nous sommes conviés.  La comédie et ses épisodes ne se décrivent pas : toujours juste, elle donne vie à chacun des protagonistes, bien caractérisé, avec son humanité et ses travers. C’est un tourbillon qui nous emporte, où tout concourt au sourire comme à l’émotion.

 

 

 

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A peine sortie du remplacement au pied levé de Joyce di Donato dans Maria Stuarda (au TCE), Patrizia Ciofi retrouve Daria,  la prima donna capricieuse, insolente qu’elle campa si bien à Lyon. La voix est toujours aussi magique, avec un engagement total qui force l’admiration. L’agilité, les modelés, les mezza voce, toutes les qualités sont bien là, auxquelles il faut ajouter un art consommé de comédienne. Elle brûlera les planches, campant à merveille cette diva avec un sens singulier de l’autodérision. Mais la vraie vedette de ce soir, c’est cette Mamma Agata en laquelle s’est mué Laurent Naouri, monumentale mégère, protectrice et possessive de Luigia, qu’il veut promouvoir au premier rôle. Bien sûr le travestissement participe au comique, mais la maîtrise vocale (avec changements de registres) comme dramatique est exceptionnelle.  On adore.  Sa fille,  chantée ce soir par Melody Louledjian, gauche et timide à souhait, se mue en une authentique diva dans l’air ajouté de Fausta. La voix est souple, claire et bien timbrée, longue, et n’appelle que des éloges.  Procolo, David Bizic,  défend bien les intérêts de son envahissante épouse. Si son premier air connaît quelques décalages, celui qui suit « Viva il gran Procolo » est remarquable.  Le Guglielmo de Luciano Botelho ne fait pas oublier Enea Scala, que nous avions apprécié à Lyon. Pour autant, ce ténor, voulu prétentieux au fort accent germanique, est fort bien campé. Le compositeur-chef d’orchestre, Pietro di Bianco, est remarquable, tout comme le poète, Enric Martinez-Castignani. Les récitatifs sont toujours animés par un piano-forte inventif. Les trois grands ensembles débordent de vie. La précision de l’émission en est exemplaire, malgré les tempi imposés par le chef. Le chœur d’hommes du Grand Théâtre de Genève, robuste, nous vaut des figurants hors du commun (spécialistes du maniement des hallebardes !), de la première à la dernière scène. Chaque air, chaque duo (celui de Daria et Mamma Agata, tout particulièrement), le sextuor de la lettre, la parodie de l’air du saule (de l’Otello de Rossini) par Mamma Agata, tout séduit et jamais l’intérêt ne fléchit. Gergely Madaras, maintenant familier de l’Opéra des Nations, dirige avec efficacité l’orchestre de Chambre de Genève. De la légèreté pétillante à la pompe de la marche funèbre comme à la grandiloquence de l’opera seria, toutes les expressions sont justes.

Une réussite achevée,  servie par une distribution d’excellence,  particulièrement bienvenue en cette fin d’année.

 

 

 

 

 

 

 

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Compte rendu, opéra. Genève, Opéra des Nations, le 21 décembre 2018. Donizetti : Le Convenienze ed inconvenienze teatrali. Gergely Madaras / Laurent Pelly. Crédit photographique © Carole Parodi

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