mardi 19 mars 2024

COMPTE-RENDU, opéra. Dijon, Auditorium, le 16 oct 2020. Zemlinsky, Traumgörge. Marta Gardolinska

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

COMPTE-RENDU, opéra. Dijon, Auditorium, le 16 oct 2020. Zemlinsky, Traumgörge. Marta Gardolinska. Reprise une dizaine de jours après sa création à l’opéra de Nancy, la partition rare de Zemlinsky (portrait ci dessous) émerveille de bout en bout et réhabilite un compositeur injustement négligé. Un moment de pure grâce.

Une production de rêve

ZemlinskyOpéra de jeunesse d’un compositeur âgé de 23 ans, Görge le rêveur fut retiré in extremis de l’affiche de l’opéra de Vienne suite à la démission de son directeur Gustav Mahler, pour être créé posthume à Nuremberg en 1980. L’histoire d’une sorte « d’idiot du village », méprisé pour sa culture et sa naïve volonté de croire et de vouloir vivre ses rêves, a inspiré au compositeur une partition flamboyante, à l’orchestration tour à tour opulente et délicate, et une ligne de chant très souvent exigeante pour les rôles principaux, qui cède avec bonheur à quelques formes closes du plus bel effet. La rareté de l’œuvre a laissé un terrain relativement vierge au metteur en scène Laurent Delvert, qui avait déjà ébloui le public dijonnais il y a deux saisons avec l’inédit Prometeo de Draghi, en proposant une lecture tout en finesse, soulignant efficacement les deux aspects onirique et cauchemardesque de l’intrigue à travers des tableaux visuellement sobres (excellents décors de Philippine Ordinaire), mais d’une grande efficacité dramaturgique : champs de blé, eau courante, le fond ocre qui se transforme en ciel étoilé, contrastant avec le retour au réel de l’épilogue, dessinent un tableau peu chargé qui laisse s’épanouir les voix et une orchestration de chambre adaptée au protocole sanitaire. La scène de l’incendie lors du finale du second acte est du plus bel effet, tandis que la longue note suraiguë d’un violon pétri de tendresse sur laquelle s’achève l’opéra, atteint le sublime.

Il fallait une distribution sans faille pour défendre cette partition luxuriante et redoutable pour les voix, et sur ce plan, on ne peut qu’applaudir à l’homogénéité superlative des chanteurs, tous admirablement impliqués dans cette Zemlinsky-renaissance. Dans le rôle-titre, Daniel Brenna qui avait participé à Dijon il y a quelques années à un Ring mémorable, relève le défi haut la main de sa voix claire de ténor aussi raffiné que puissant ; Gertraud est superbement défendue par une Helena Juntunen aux aigus impressionnants, mais non dénués de délicatesse. Mêmes éloges pour la lumineuse Grete de Susanna Hurrell, à la diction impeccable, comme d’ailleurs tous ses partenaires, comme l’impétueuse Amandine Ammirati, d’une aisance scénique réjouissante dans le rôle de la femme de l’aubergiste. Les autres rôles masculins sont tout aussi convaincants, en particulier le Hans vocalement et physiquement impérial de Allen Boxer, baryton racé à la projection précise, ou le Kaspar encore plus séduisant de Wieland Satter. Les autres rôles secondaires, ainsi que les comédiens, forment une troupe tout entière dévouée à défendre cette magnifique partition, portée à une rare incandescence par la baguette inspirée de la cheffe polonaise Marta Gardolinska à la tête des forces de l’Opéra de Lorraine. Ceux qui n’ont pu assister aux représentations nancéennes ou dijonnaises pourront se rattraper sur France Musique (diffusion du concert le 7 novembre prochain), et éprouver ainsi la profession de foi que délivrent les derniers mots de l’œuvre : « Rêvons et jouons ».

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COMPTE-RENDU, opéra. Dijon, Auditorium, le 16 oct 2020. Zemlinsky, Traumgörge. Daniel Brenna (Görge), Helena Juntunen (Gertraud/La princesse), Susanna Hurrell (Grete), Andrew Greenan (Le meunier), Igor Gnidii (Le pasteur/Matthes), Allen Boxer (Hans), Alexander Sprague (Züngl), Wieland Satter (Kaspar), Aurélie Jarjaye (Marei), Kaëlig Boché (L’aubergiste), Amandine Ammirati (Femme de l’aubergiste), Dana Luccock (Une voix)…Laurent Delvert (Mise en scène), P Ordinaire (Décors). Orch et Chœur de l’Opéra de Lorraine, M Gardolinska (direction).

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